L'image d'Apple, c'est d'abord celle projetée par ses boutiques. Partout dans le monde, des magasins modernes dans lesquels on trouve les mêmes produits agencés de la même manière. Découvrez le Visual Merchandising (VM), une pratique élevée au rang d'art par Apple.
Vous pouvez vous rendre dans n'importe lequel des 500 Apple Store de la planète, les écrans des ordinateurs portables sont tous inclinés à 76 degrés. Un angle qui ne doit rien au hasard : les visiteurs doivent manipuler l'écran pour l'ajuster à leur vue. C'est, quasiment à leur insu, leur premier contact avec les finitions et la qualité des matériaux des ordinateurs.
Cette anecdote illustre le soin du détail apporté à la présentation des produits dans les Apple Store. Un véritable art baptisé Visual Merchandising (VM), qui donne aux boutiques du constructeur un même air de famille à travers le monde. Malgré des architectures très différentes, les Apple Store respectent un cahier des charges très précis non seulement pour l'agencement au millimètre près des produits, mais aussi pour le design général à l'intérieur comme à l'extérieur de la boutique.
Ce sont les employés qui sont tenus d'appliquer et de maintenir les règles rigides du VM, au sein d'équipes composées de volontaires (pas de prime pour cette mission qu’ils doivent pourtant accomplir avec le plus grand zèle et en assumer la responsabilité). Ils doivent s'assurer que les produits, le mobilier, les visuels, les démos, bref, tout ce qui peut être vu et touché par les clients correspond parfaitement aux standards d'Apple. Une logique industrielle implacable, car il en va de l'image du constructeur, son actif le plus précieux…
Apple utilise une application interne, Plano, qui affiche les plans exacts des emplacements des produits en fonction de leur table. Et pour conserver le secret sur le lancement des nouveautés, il arrive assez régulièrement que les plans soient diffusés seulement quelques jours avant leur mise en rayon, voire la veille pour le lendemain ! Les équipes VM s'arrachent alors les cheveux pour tout mettre en place en un temps extrêmement serré, comme cela avait été le cas pour l’iPhone X.
Le plan pour mettre en place le VM de l’iPhone X avait été envoyé le jeudi après-midi pour un lancement prévu… le vendredi, au petit matin bien sûr. Apple avait eu pitié des employés en livrant des smartphones de démonstration déjà équipés de leur version spécifique d’iOS, celle qui contient des apps et du contenu que les clients peuvent utiliser en magasin (on y reviendra plus bas).
Une brève histoire de l'Apple Store
Depuis l'ouverture des premières boutiques d'Apple aux États-Unis en 2001, celles-ci ont subi de profondes transformations tout en conservant l'objectif fixé par Steve Jobs et Ron Johnson, « offrir une super expérience pour le client ». Après des débuts chez le revendeur Target, Ron Johnson est embauché par le cofondateur d'Apple pour l'aider à bâtir son réseau de boutiques (lire : La petite boutique des souvenirs de Ron Johnson, ancien boss des Apple Store).
Les premiers Apple Store tranchent nettement avec les boutiques « pousse cartons » de la concurrence, qui veulent d'abord vendre des produits. Apple cherche avant tout à mettre en lumière ses Mac — tous connectés à internet via AirPort — et ses solutions logicielles. Autre innovation : le Genius Bar où l'utilisateur peut faire réparer son ordinateur. Les employés ont même accès à un téléphone rouge (filaire !) qui permet d'appeler directement Cupertino !
Rapidement cependant, l'aménagement des boutiques évolue vers quelque chose qui ressemble davantage à ce que l'on connaît actuellement. Les employés sont invités à faire des propositions pour améliorer l'existant. C’est ainsi que la signalétique affichée au plafond est retirée. La caisse enregistreuse est supprimée au profit d’un point de vente mobile baptisé Isaac : c'est d'abord un iPod touch, puis un iPhone, qui sont équipés de l’application EasyPay (une idée française !).
Une nouvelle impulsion est donnée à partir de 2014, lorsque Angela Ahrendts, transfuge de Burberry, prend la tête de la flotte d'Apple Store. Elle rapproche la boutique en ligne des magasins physiques, et surtout retravaille le concept même de l'Apple Store.
Avec l'aide de Jony Ive, la vice-présidente Retail de l'époque opère une transformation physique en profondeur : matériaux haut de gamme, nouveau mobilier, apparition de murs végétaux et d'arbres en pot… En 2015, l'Apple Store de Bruxelles inaugure cette nouvelle signature.
Angela Ahrendts creuse le sillon du luxe avec des boutiques « flagship » toujours plus impressionnantes. Les Champs-Élysées en 2018 et la boutique de Macao la même année sont des exemples flamboyants de ce style qui rehausse encore l'image de prestige d'Apple.
Angela Ahrendts pousse aussi les activités gratuites et les ateliers avec une refonte des sessions Today at Apple qui permettent de découvrir les logiciels, les services et les produits d'Apple. Les appareils sont prêtés durant les ateliers, si on ne les possède pas.
En matière d'aménagement intérieur, la vice-présidente et toute son équipe mettent au rebut les iPad qui ne servaient guère qu'à afficher les prix à côté des produits. Un gain de place qui participe à effacer un peu plus l'aspect « vente » des boutiques. Une volonté qui s'exprime aussi avec ces panneaux soutenant les accessoires sur des billes de bois. De nouveaux présentoirs mettent davantage en valeur les étuis.
C'est aussi durant cette mue que les gros tabourets noirs sur lesquels les clients tuaient le temps en attendant leur rendez-vous ont été changés par de nouveaux modèles en acier et bois clair. Un look plus effilé qui nécessite un petit temps d'adaptation pour éviter de se ramasser par terre1.
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Après le départ d'Angela Ahrendts, c'est Deirdre O'Brien qui prend le relais, sans toutefois quitter son poste de vice-présidente des ressources humaines. Le cap est corrigé : sans négliger l'expérience globale et l'image haut de gamme, il s'agit désormais de mieux flécher le parcours client vers la vente et les conseils. Une sorte de retour aux fondamentaux pour remettre le client au centre du jeu (lire : Les Apple Store obligés de renouer les liens avec leurs clients).
Une nuit VM bien agitée
Pendant les « nuits VM », il n'est pas question d'installer les nouveautés en vrac sur les tables ! Sans compter que certains produits, à l'image de l'Apple Watch, doivent être présentés dans des meubles spéciaux. Les consignes sont précises et strictes.
Avant ce qui est aussi appelé « Visual Reset », les employés des Apple Store habilités pour la préparation des lancements reçoivent une alerte dans l'application Hello. La seule information concrète qu'ils reçoivent, outre la date de l'événement, c'est le nombre d'heures et de personnes nécessaires à la préparation.
Le planogramme, ou représentation visuelle de la position des nouveautés au sein de la boutique, est ensuite envoyé sur l'application interne Plano. Il s'agit d'un plan du magasin présentant tous les produits comme ils doivent être placés sur chacune des tables (il en va de même pour les accessoires).
C'est ensuite que le casse-tête arrive ! Il faut en effet se creuser les méninges car si beaucoup de produits changent de place, la plupart d'entre eux restent les mêmes, exception faite des nouveautés bien sûr. Ainsi, lors du lancement de nouveaux iPhone en septembre ou octobre, les anciens modèles restent au catalogue et par conséquent, il faut leur faire une place aussi.
La priorité est donnée aux nouveautés, nommées « Hero Products », tout en laissant de l'espace au reste de la collection toujours en vente. Il faut compter le nombre de références toujours présentes dans le magasin afin de ne pas les gaspiller. Retrait des produits, nettoyage des tables, calcul des emplacements entre chaque nouvel appareil, mise en place des alarmes et adaptateurs… Il faut régulièrement retourner sur Plano pour vérifier que les choses sont bien faites.
Il faut savoir que ces unités de présentation sont équipées d'un logiciel différent, ils ne peuvent donc être mis en vente ni reconditionnés. Il est aussi impossible de les réparer : merci les petits malins qui tordent les châssis ou qui rayent les écrans, qui volent les capuchons des Pencil ou qui écrivent sur les gros câbles des HomePod ! Ces dégradations, dont la France est malheureusement numéro un en Europe (dans la catégorie « pertes, casse, dégradations et vols »… bonjour la réputation), sont comptabilisées et répercutées d'une manière ou d'une autre dans la facture des produits. Autrement dit, c'est le consommateur qui paie la casse et la fauche.
Le casse-tête de la présentation étant réglé, il faut encore s'occuper de la préparation des nouveaux appareils. Il ne suffit pas de les poser sur la table ! Ils doivent être parfaitement à jour et prêts à être manipulés par les clients, ce qui nécessite d'y installer des démos (une opération baptisée imaging en interne).
S'il arrive que certains modèles soient opérationnels immédiatement dès la sortie de boîte, ce n'est pas souvent le cas (les Apple Watch n’ont jamais été « imagées » en amont). Ainsi, le système d'exploitation stable de l'iPhone X est sorti la nuit juste avant la commercialisation du smartphone : coup de panique pour les employés en charge de la VM, il leur a fallu télécharger et installer la nouvelle version d'iOS ainsi que les démos dans un laps de temps très court.
Les démos en question sont souvent très lourdes — il ne s'agit pas de deux ou trois apps ! Chaque appareil doit proposer du contenu dans Photos, des vidéos, un historique dans Safari, des courriels, des messages texte, etc. afin que le client puisse jouer avec le nouvel appareil. En termes de sécurité, il est impossible d'installer une sauvegarde depuis iTunes ou le Finder sur ces terminaux de démo ; le déploiement des versions d'iOS et le transfert de contenus s'effectue en Wi-Fi via un outil de gestion de flotte.
Ce n'est d'ailleurs pas sans poser des soucis dans les Apple Store mal équipés en accès internet sans fil, certains d'entre eux en étant toujours à l'ADSL. Or, une démo pèse de 8 à 14 Go, et c'est sans compter iOS. Durant les nuits VM, chaque seconde compte et le stress augmente au fur et à mesure du téléchargement des contenus. Car il faut que les appareils soient fin prêts à l'ouverture de la boutique ! Il est inconcevable de laisser entre les mains des clients des appareils sur lesquels le déploiement n'est pas terminé, car en plus des contenus l'imaging contient aussi des sécurités parfois longues à activer (jusqu’à 20 minutes par appareil).
Pour que chaque Apple Store soit unique tout en étant parfaitement identique d'un endroit à l'autre de la planète, c'est toute une logistique énorme qui est mise en place. Elle demande aux équipes un engagement de chaque instant ! Même avant la crise sanitaire, il n'était pas rare de voir les employés remettre de l'ordre tout au long de la journée, nettoyer les produits avec les chiffons et le Whoosh!, enrouler les câbles d'alarme, ou encore régler le bon angle des écrans des Mac. Pour que tout soit constamment digne d'une photo officielle.
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Ces tabourets sont, de base, très stables. Mais leurs patins en plastique, indispensables pour l'isolation électrostatique (ça évite de se manger des châtaignes électriques quand la peau fait contact avec le métal), provoquent un certain déséquilibre. Une seconde isolation est d'ailleurs présente entre l'assise et la structure bois/plastique du tabouret. ↩︎