Xerox, le vrai pĂšre du Macintosh ? La visite au PARC (1/3)
Apple a de tout temps revendiquĂ© la paternitĂ© des innovations du Lisa (qui fĂȘte ses 37 ans le 19 janvier) et du Macintosh (36 ans le 24 janvier) : souris, icĂŽnes, menus dĂ©roulants, fenĂȘtres⊠Encore aujourd'hui, la marque conclut ainsi chacun de ses communiquĂ©s de presse : « Apple a rĂ©volutionnĂ© la technologie personnelle en lançant le Macintosh en 1984 », preuve du rĂŽle incontournable que ce petit ordinateur â et son aĂźnĂ©e Lisa, jetĂ©e avec l'eau du bain â a jouĂ© Ă l'Ă©poque.
Pourtant, on lit parfois que « Xerox avait tout inventĂ© » dĂšs les annĂ©es 70, dans les murs du Palo Alto Research Center, son centre de recherches situĂ© dans cette ville californienne voisine du siĂšge d'Apple. Steve Jobs lui-mĂȘme n'a-t-il pas dĂ©clarĂ©, Ă la suite de Pablo Picasso, que « les bons artistes copient, les grands artistes volent » ?
- La visite au PARC
- La naissance du Lisa
- Le procĂšs
Car oui, personne ne le nie, Steve Jobs et plusieurs ingénieurs d'Apple ont visité le PARC à deux reprises en novembre 1979 et se sont fait présenter quelques-unes des créations du centre. Nous ne résumerons pas une décennie de recherche et développement en quelques pages, mais nous voulions revenir sur l'influence de ces visites pour les deux bébés d'Apple, Lisa et Macintosh (encore aujourd'hui, Apple omet volontairement les déterminants devant le nom de ses principaux produits, ce qui contribue à les personnifier).
Le dossier que nous ouvrons aujourd'hui se prolongera avec une deuxiÚme partie consacrée aux innovations imaginées pour le Lisa et le Macintosh, puis une troisiÚme consacrée au procÚs qui opposera les deux marques.

Ăcartons tout de suite un premier dĂ©bat : Apple n'a pas inventĂ© la souris. Pas plus que Xerox. Comme nous avons eu l'occasion de le dĂ©tailler sur L'Aventure Apple, on se souvient que des trackballs (qui ne sont finalement que des souris Ă lâenvers) avaient Ă©tĂ© brevetĂ©s dĂšs les annĂ©es 40, et la souris telle quâon la connaĂźt aujourdâhui, dĂšs les annĂ©es 60 par Douglas Engelbart.
Celui-ci avait mĂȘme rĂ©alisĂ© une dĂ©monstration publique (qui sera surnommĂ©e avec le temps « la mĂšre de toutes les dĂ©mos ») de cet objet en 1968, associĂ© Ă un Ă©cran sur lequel il pouvait sĂ©lectionner, afficher ou masquer du texte, cliquer sur un « lien », tracer des formes ou gĂ©rer des fichiers. Sur cette interface, on ne trouvait cependant ni icĂŽnes, ni menus, ni fenĂȘtres, et il fallait toujours entrer des commandes au clavier et Ă l'aide de touches de fonctions.
La mĂȘme annĂ©e, un serveur de Telefunken disposait dĂ©jĂ dâune souris parmi ses options. Et en 1973, lâAlto de Xerox, jamais commercialisĂ© mais utilisĂ© en rĂ©seau au PARC et distribuĂ© Ă plusieurs centaines d'universitaires en quelques annĂ©es, associait pour la premiĂšre fois une souris Ă l'interface d'un ordinateur pleinement fonctionnel.

Sous la pression de Steve Jobs, plusieurs améliorations essentielles sont apportées à la souris et lui donnent ses lettres de noblesse. En exigeant que celle-ci puisse fonctionner aussi bien sur une table en Formica que sur son pantalon en jean, il pousse ses partenaires industriels dans leurs derniers retranchements, permettant de plus d'en diviser le prix de revient par vingt.
Il rĂ©ussit lĂ oĂč les concepteurs de l'Alto avaient peinĂ© : il faut dire que la bille en mĂ©tal de la souris Xerox exigeait une surface particuliĂšre pour ĂȘtre utilisĂ©e et qu'elle s'encrassait vite. Ă tel point que les utilisateurs de l'Alto pouvaient Ă tout moment rapporter leur souris au labo de Xerox et l'Ă©changer contre une souris reconditionnĂ©e, un souvenir partagĂ© par un ingĂ©nieur du PARC, Geoff Thompson, sur le site oldmouse.com.

Mais si la souris a Ă©tĂ© simplement perfectionnĂ©e par Apple, l'interface graphique a Ă©tĂ© totalement repensĂ©e. Sur l'Alto de 1973, l'interface graphique n'Ă©tait qu'une fonction parmi d'autres. Lors du dĂ©marrage de l'ordinateur, c'est une bĂȘte interface en lignes de commande qui s'affichait. Pour utiliser la souris, il fallait lancer une sorte de Finder sans icĂŽnes, affichant le nom des fichiers sous forme de liste. La souris permettait simplement de dĂ©signer le fichier, puis il fallait appuyer sur le bouton rouge de la souris pour le copier, le jaune pour le renommer, ou le bleu pour le supprimer.
C'était déjà un progrÚs : l'Apple II de 1977 ou le PC de 1981 nécessitaient encore de taper le nom du fichier en toutes lettres, sans se tromper. Pas d'ascenseurs non plus pour l'Alto : pour monter ou descendre dans la liste, il fallait viser le bord de la liste et faire un clic gauche pour descendre ou un clic droit pour monter. Ah oui, parce que les trois boutons de la souris de l'Alto changeaient de fonctions au gré des applications. Parfois, le curseur changeait d'apparence pour indiquer le type de fonctions, et parfois, non.

Ce n'est pas tout : ce Finder, qui s'appelait Neptune, ne permettait pas de lancer les logiciels. C'était surtout un outil destiné à faciliter la gestion des disques et de leurs fichiers. Pour lancer un programme, il fallait quitter Neptune et revenir à l'interface classique, à base de lignes de commandes. On était donc loin de la philosophie du Lisa et du Macintosh, pour lesquels aucun apprentissage n'était requis.
Lançons maintenant Bravo, l'éditeur de texte WYSIWYG de l'Alto. N'y cherchez pas de barre des menus pour copier, coller ou modifier l'apparence du texte, car celle-ci n'avait pas encore été inventée. Pire : le geste permettant de sélectionner du texte à la souris n'avait pas été imaginé par ses concepteurs. Il fallait pointer le début de la sélection avec un clic gauche et la fin avec un clic droit.
Faute de barre des menus, les commandes étaient affichées à l'écran, et un appui sur une touche du clavier déclenchait la fonction associée (L, comme Look, suivi de B, comme Bold, permettait de passer la sélection en gras, tandis que D comme Delete permettait d'effacer la sélection). Bref, la souris était là , mais presque tous ses usages restaient à inventer.

Jef Raskin, Ă l'origine du premier projet Macintosh, rĂ©sumait les choses ainsi : les Ă©quipes Lisa et Macintosh avaient connaissance, comme tous les professionnels de l'Ă©poque, des travaux du PARC, largement mĂ©diatisĂ©s. Lui-mĂȘme avait eu l'occasion d'y travailler en tant qu'assistant de formation de l'UniversitĂ© de Californie, qui entretenait des relations permanentes avec le centre de recherches.
DĂšs leur origine, les Ă©quipes Mac et Lisa ont donc commencĂ© Ă travailler sur la notion d'interface graphique. La visite de 1979 n'a pas dĂ©cidĂ© Apple Ă travailler sur l'interface graphique, elle n'a eu pour objet que de convaincre Steve Jobs lui-mĂȘme de l'intĂ©rĂȘt de cette technologie. Car oui, Steve Jobs n'avait pas immĂ©diatement perçu ce que cette idĂ©e, qui n'Ă©manait pas de lui, avait de gĂ©nial !
Pendant qu'Apple peaufinait ses deux machines, Xerox avait bien amĂ©liorĂ© son interface pour le Xerox Star, sorti en 1982, mais sans atteindre le niveau de perfectionnement qu'Apple visait au mĂȘme moment. En effet, si le Star avait gagnĂ© un bureau dotĂ© d'icĂŽnes, ses concepteurs n'avaient toujours pas compris tout le potentiel de la souris.

Ils avaient fait le choix d'ajouter des touches de fonctions sur les cÎtés du clavier de la machine, pour copier, ouvrir, déplacer, rechercher ou encore afficher les propriétés. Ces touches s'appliquaient à la sélection active, qu'il s'agisse d'un paragraphe de texte, d'une portion d'image ou de l'icÎne d'un fichier, d'un dossier ou d'un disque.
Pour dĂ©placer une icĂŽne, il fallait donc la sĂ©lectionner d'un clic, appuyer sur « Move » et cliquer sur son nouvel emplacement. Pour souligner un mot, il fallait le sĂ©lectionner, puis appuyer sur « Prop(riĂ©tĂ©s) » et cliquer sur « SoulignĂ© » dans la fenĂȘtre qui s'affichait. Et tout cela Ă©tait lent, terriblement lent, mĂȘme comparĂ© au petit Macintosh. Et pourtant le Star coĂ»tait plus de 16 000 $âŠ

Il proposait cependant quelques fonctions fort bien pensées, comme l'icÎne des imprimantes affichées directement sur le bureau, permettant d'y déplacer un document à imprimer (une fonction qui attendra le SystÚme 7 chez Apple).
Ă suivreâŠ
Aaah enfin un article payant đđ„łđđŒ
Je vais aller dĂ©guster celui-ci đ
HonnĂȘtement avec tout ce qu'on avait racontĂ©, je croyais le systĂšme de Xerox plus Ă©voluĂ©, Apple remonte dans mon estime. Merci pour ces dĂ©tails instructifs. Apple a bien inventĂ© l'interface graphique moderne.
@Madalvée
"HonnĂȘtement avec tout ce qu'on avait racontĂ©, je croyais le systĂšme de Xerox plus Ă©voluĂ©"
Moi aussi...
@zoubi2
C'était mon cas également.
Merci pour cet article trĂšs intĂ©ressant ; j'attends la suite avec impatience đ
@Madalvée
Non ïŁż nâa pas inventĂ© lâinterface graphique elle a seulement copiĂ© puis formatĂšrent amĂ©liorer. Grosse diffĂ©rence en inventer et amĂ©liorer.
@ hirtrey : « Non ïŁż nâa pas inventĂ© lâinterface graphique elle a seulement copiĂ© puis formatĂšrent amĂ©liorer. Grosse diffĂ©rence en inventer et amĂ©liorer. »
MadalvĂ©e avait pourtant bien pris la peine de prĂ©ciser quâil parlait de lâinterface graphique moderne.
Il faudrait vraiment ĂȘtre de mauvaise foi (ou simplement ignorant de lâhistoire des interfaces) pour nier quâil y a eu nettement moins dâĂ©volution depuis lâinterface du Mac de 1984 que dans les annĂ©es qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©es.
En sâinspirant des travaux prĂ©cĂ©dents sur les interfaces graphiques, en les modifiant Ă sa façon et en y ajoutant des morceaux inĂ©dits, Apple a bel et bien créé (si tu nâaimes pas le terme « inventer ») lâinterface graphique moderne (pour ordinateurs personnels traditionnels â parce que ce qui mĂ©riterait le plus de porter le nom dâinterface graphique moderne de nos jours, câest celle quâon trouve sur les smartphones et tablettes).
Tout le monde a fini par sâaligner Ă peu prĂšs sur le modĂšle dĂ©fini en 1983/1984.
Est-ce parce quâon ne peut pas faire mieux ? Personne de sensĂ© ne lancerait une telle affirmation. Le fait que personne nâa jusque lĂ rĂ©ussi Ă proposer quelque chose de plus convaincant (en dehors dâamĂ©liorations progressives du modĂšle de base) ne signifie pas que câest impossible, juste que, malgrĂ© quelques expĂ©rimentations de-ci de-lĂ , on nâa pas encore rĂ©ussi Ă le trouver. Et bien sĂ»r, il devient de plus en plus difficile dâenvisager dây arriver, en raison de lâinertie liĂ©e Ă la force des habitudes et Ă la taille du parc logiciel existant.
Un article comme je les aime pour les ieuvs đ€Ș !
Documenté, précis et concis ! Merci
Effectivement, cela remet en perpective tout ce qui a Ă©tĂ© dit et dĂ©formĂ© ( Steve Jobs a tout volĂ©, il nâa rien inventĂ© et patati et patata....)
On attend la suite avec impatience
De belles rĂ©fĂ©rences Franquin, et Seron !Dans la BD ces dessinateurs ont aussi innovĂ© en crĂ©ant tous les deux de belles prouesses technologiques. Jâai toujours voulu une Turbo 2 et une Zorglubmobile. Finalement le Comte de Champignac câest les champignons Ă la place de le pomme.
(dupliqué)
Merci pour cet article fourni ! HĂąte de lire la suite !
Merci pour ce trĂšs bon article et hĂąte de lire la suite pour en apprendre plus ! đ
Chouette article .. Merci
Aaaaaaaaah ! Merci pour cet article, jâai encore appris quelque chose sur un Ă©pisode que je croyais connaĂźtre par cĆur.
Et je retrouve la plume qui mâavait fait adorer lâAventure Apple !
Bonjour Ă tous,
Article passionnant !
Vivement la suite car on suit cette odyssée en redécouvrant les origines.
Si en plus, vous citez Les petits hommes et Ranxerox, je vais mâabonner Ă vie !
Câest du vĂ©ritable travail dâĂ©criture et câest passionnant.
Une lecture pour tous les révisionnistes qui hantent les forums en déversant leur bile...
Cela en étonnera beaucoup, mais il faut bien comprendre que dans les groupes ayant atteint une taille suffisante pour avoir un centre de recherches séparé, le PDG est le plus souvent totalement indifférent à leur activité, et n'y met jamais les pieds, tout occupé qu'il est à passer le cap des prochains résultats trimestriels ....
Le centre de recherche n'est lĂ que pour proclamer aux investisseurs qui s'en inquiĂšteraient "vous voyez, on fait de la recherche, et on y consacre mĂȘme beaucoup d'argent !".
@MacGĂ©
"Ă suivreâŠ"
NOOOOOONNNNNNNNNN.......
:p
Super article, une série trÚs intéressante.
Câest toujours passionnant de voir le chemin parcouru par tous ces Ă©lĂ©ments dont la prĂ©sence nous semble si Ă©vidente aujourdâhui !
Ils avaient fait le choix d'ajouter des touches de fonctions sur les cÎtés du clavier de la machine, pour copier, ouvrir, déplacer, rechercher ou encore afficher les propriétés. Ces touches s'appliquaient à la sélection active
Donc Apple a copié Xerox en créant la Touch Bar.
Tellement cool de lire les commentaires ici ! Ăa fait du bien quand câest constructif et pacifiĂ© !
Super article, merci !
Superbe article (et retour dans... le passĂ©) il n'y a qu'Ă voir la taille des disques de sauvegarde de l'Alto, toute une Ă©poque, tout Ă©tait Ă dĂ©couvrir, du cĂŽtĂ© ingĂ©nierie comme du client. Ăa me rappelle ma premiĂšre imprimante Ă 8 aiguilles. Toute une Ă©poque.
Merci MacG pour l'article!
Je pense que rien que pour sa contribution historique, Apple devrait racheter Xerox, pour le principe, et lier définitivement les deux firmes.
Merci pour ce trÚs bel article bien documenté.
Super article, je pense que je vais mâabonner. Dommage que certains commentaires pensent plus au "Ta vu finalement Xerox a juste fait ça et Apple ont fait mieux nanana" au lieu de profiter de lâhistoire et de remercier ces diffĂ©rents acteurs qui ont contribuer Ă lâinformatique moderne brique par brique.
Je vais pas ĂȘtre mĂ©chant mais un article similaire est dĂ©jĂ disponible sur MacG datant de 2011 et Ă©crit par Arnaud de la GrandiĂšre.
Nostalgie ... le nettoyage des souris Ă boules đ§
Il faudra aussi faire un article sur la petite visite de courtoisie de Jobs Ă Amiga Inc.
Commodore et son ordinateur Amiga 1000, sorti en 1985, avec 10 ans d'avance technologique sur les Macintosh et les PC d'alors (grùce au multitùche préemptif, aux coprocesseurs dédiés etc...)
L'ordinateur d'Andy Warhol... merci Jay miner !
Souvenirs du show introductif au Lincoln Center (1985) : https://thenewstack.io/time-andy-warhol-demod-amiga/
On y parle de Jobs et de Xerox...
Vous auriez pu prĂ©venir que seulement la premiĂšre partie Ă©tait en accĂšs libreâŠ
Merci quand mĂȘme mais un peu déçu pour le coupâŠ