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Comment Palm et webOS ont sombré

Stéphane Moussie

Friday 08 June 2012 à 16:00 • 32

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La période 2007-2012 aura été plus que mouvementée pour Palm. Synonyme de PDA dans les années 1990, Palm a dû se réinventer il y a cinq ans, quand Apple a présenté l'iPhone. Nouvelles équipes, luttes intestines, changements de stratégies, acquisition par HP... Palm est passé par tous les états. De l'entreprise il ne reste plus aujourd'hui qu'un Open WebOS en piteux état raconte longuement The Verge. Retour sur cet itinéraire chaotique.


Le choc iPhone
9 janvier 2007, Steve Jobs annonce l'iPhone. Pour expliquer en quoi l'iPhone est si révolutionnaire et incomparable, le CEO pointe les smartphones aux claviers physiques « en plastique » qui « ne peuvent pas changer selon l'application. » Pour mieux marquer la rupture qu'introduit l'iPhone, juste avant de dévoiler son design, un de ces smartphones populaires est affiché à l'écran. Il s'agit du Palm Treo.



Outre le matériel, le système d'exploitation de Palm est antique. Alors que la version 6 de Palm OS, nommée Cobalt, est finalisée, le constructeur continue à ajouter des mises à jour à son système d'exploitation dévoilé en 2002. Or Palm ne prend pas tout de suite conscience de l'importance de l'iPhone, notamment car un de ses téléphones d'entrée de gamme, le Centro, rencontre un énorme succès.

Les mois passent et l'entreprise réalise finalement qu'elle a besoin d'un nouvel OS. Toutefois, elle ne possède plus ni Palm OS 5, ni Cobalt. PalmSource, la division de Palm qui développait ces deux systèmes d'exploitation, a été achetée par Access en novembre 2005.

Commence alors un recrutement intensif. Ed Colligan, CEO de Palm, embauche Paul Mercer et des employés de sa nouvelle entreprise, Iventor. Mercer est le fondateur de Pixo, une compagnie spécialisée dans les environnements de développement qui a été absorbée par Apple en 2001 avant le lancement de l'iPod. Le logiciel de l'iPod ne serait pas ce qu'il est sans Pixo.

Un autre personnage clé est embauché : Jon Rubinstein. Là encore, il existe un lien entre Rubinstein et Apple. Il fut à la tête de la division iPod jusqu'en 2004. Son carnet d'adresses bien rempli et son précédent poste à Cupertino en font l'homme idéal pour mener l'équipe qui devra concevoir le concurrent de l'iPhone (lire : Newsweek : Rubinstein, Apple et Palm).

Quelques coups de rabots (rationalisation de la gamme, réduction des coûts, annulation de plusieurs projets...) et de fil plus tard, Rubinstein parvient à monter une dream team. Matias Duarte, qui avait travaillé chez Danger — il est maintenant responsable l'expérience utilisateur d'Android —, est placé à la tête de l'équipe qui s'occupe de l'interface utilisateur du futur OS de Palm.

Jon Rubinstein


« Steve [Jobs] savait ce qui se passait. [...] Il savait qu'une fois qu'on commençait à tirer sur le fil, les départs allaient continuer » commente une source de The Verge. « Nous devons tout faire pour arrêter ça » déclare alors le patron d'Apple. Il propose alors un accord à Ed Colligan pour que les deux sociétés ne se débauchent pas leurs salariés. Il rappelle aussi à son homologue qu'Apple dispose de plus de brevets et d'argent dans le cas où les deux sociétés finiraient par se retrouver en justice. Une menace à peine voilée.

Dans un premier temps, Colligan envisage des concessions, puis il se ravise. « Votre proposition de se mettre d'accord pour qu'aucune de nos deux sociétés n'embauche les employés de l'autre est non seulement mauvaise, mais très certainement illégale » répond le CEO de Palm à celui d'Apple (lire aussi L'affaire pour entente illicite sur le débauchage continue & Suites de l'affaire sur l'entente illicite sur le débauchage).

La difficile émergence de webOS
Alors que les arrivées de nouveaux talents continuent, l'équipe d'Iventor travaille sur un nouvel OS basé sur Java au nom de code Prima. Mais Prima est très vite une catastrophe. Le système de débugging est archaïque, le crash d'une application entraîne le crash de toutes les autres, il est impossible de centrer du texte facilement, le moindre changement dans l'interface nécessite des efforts de développement énormes, etc.

Or, Palm, pressé de montrer son système aux développeurs tiers qui sont indispensables pour faire de Prima un succès, organise une conférence début 2008. Les réactions sont sévères : le système d'exploitation est trop complexe et trop différent de ce qui se fait ailleurs.

Verizon, un des plus importants opérateurs télécom américain, doit soutenir le smartphone porte-étendard de Nova, le nom officiel de l'OS. Verizon fait finalement faux bond et se retire, obligeant Palm à signer avec Sprint, un opérateur bien plus petit. L'argent, le temps et la patience viennent à manquer alors que Colligan et Rubinstein doivent présenter le Pre au prochain CES.

Ed Colligan


Le développement de Nova fait du surplace et les ingénieurs sont extrêmement frustrés par les limitations du système. « Plutôt que d'avoir quelqu'un qui écrit du code pour centrer le texte, on peut se reposer sur les épaules d'un géant et laisser WebKit le faire. » Greg Simon, plateform director, et Andy Grignon, le vice-président, viennent d'avoir une idée : utiliser le moteur libre de rendu web WebKit, dont le contributeur principal est Apple, à la place de Java.

Les deux employés obtiennent l'autorisation de monter une équipe pour travailler sur ce projet qui est nommé Luna. Une véritable start-up est alors en place à l'intérieur de Palm. Tous les membres de l'équipe s'attachent alors vivement à faire mieux que Prima et montent au sein même de l'entreprise un concurrent.

Un mois plus tard, Luna fonctionne. Pour faire un choix entre Prima et Luna, Palm teste différentes fonctionnalités essentielles sur les deux plateformes. À chaque fois Luna fait mieux que Prima, que ce soit en terme de rapidité de développement qu'en terme de qualité intrinsèque de la fonction dans le produit fini. Luna devient alors le futur OS de Palm.

Pour ne pas inquiéter son partenaire Sprint de ce changement de système, l'entreprise parle juste d'une retouche de l'interface. Plus important encore, Palm doit marquer les esprits lors de sa conférence de présentation au CES début 2009. « Nous nous sommes entraînés comme s'il s'agissait d'un événement Apple » souligne un membre de l'entreprise qui a participé à l'organisation de la prestation.



webOS est né et il est très bien reçu par la critique. Il est le premier OS conçu pour le tactile à apporter une réponse originale à iPhone OS. Le Palm Pre sort le 5 juin 2009 aux États-Unis... avec une version de webOS remplie de bugs et de carences. Les mises à jour s'enchaînent et à la fin de l'année arrive webOS 2.0. Blowfish, le nom de code de cette mise à jour majeure, finit de supprimer tout le code de Prima dont webOS se servait encore.

Entre temps, le Pre est un échec. Le lancement exclusif chez Sprint est mis en cause, tout comme les campagnes de publicité qui sont vivement critiquées.

Tout n'est pas perdu pour autant. Palm parvient à conclure un partenariat avec Verizon. L'opérateur commande une énorme quantité de Pre Plus et Pixi Plus et souhaite faire du Pre Plus son porte-étendard en 2010. Peine perdue, le Motorola Droid lancé en novembre rafle la mise et s'impose comme le concurrent de l'iPhone. L'argent que Verizon avait prévu d'allouer aux smartphones de Palm sert en partie à financer les campagnes marketing du Motorola Droid.

L'opérateur porte l'estocade finale à Palm en refusant de recevoir la majorité des terminaux pourtant fabriqués spécialement pour lui. La mésaventure coûte plusieurs centaines millions de dollars à l'entreprise et une seule issue apparaît possible pour survivre : se faire acheter.

HP comme capitaine
Le processus d'acquisition est entouré du plus grand secret, encore aujourd'hui. Le 28 avril 2010, la nouvelle tombe, HP achète Palm pour 1,2 milliard de dollars. Chez Palm, c'est la satisfaction qui l'emporte. Le premier fabricant de PC au monde a l'argent qu'il faut pour mettre au point des produits compétitifs.



Mark Hurd, le CEO de HP de l'époque, voit grand pour webOS. Le système d'exploitation sera intégré à tous les produits, des ordinateurs aux imprimantes. L'entreprise met au point une imprimante à base de webOS qui ne sera jamais commercialisée. HP ne sait pas comment vendre ce périphérique qui a tout d'un smartphone greffé à une imprimante, et qui coûte le prix d'un smartphone...

Mais si Hurd est très enthousiaste, ce n'est pas le cas des financiers de l'entreprise qui redoute la mainmise d'Apple sur les chaînes d'approvisionnement. « Nous avons dit à HP que nous avions besoin de meilleurs écrans [pour le Pre 3]. Ils sont venus nous dire "Apple a tout acheté. Nos fournisseurs nous disent que nous devons leur construire une usine si nous voulons les écrans" et ils n'étaient pas prêt à mettre plusieurs milliards de dollars pour le faire » explique une source à The Verge. La même situation se produit avec le capteur photo.

Sans le soutien financier total de HP, Palm se débrouille avec ce qu'il a. Et c'est à ce moment que les personnes les plus importantes derrière webOS commencent à partir. Matias Duarte, à l'origine de l'interface du système, quitte HP pour rejoindre Google et son équipe Android (lire : [MAJ] Le responsable de l'interface webOS quitte Palm… pour Google ?). En août 2010, le CEO de HP est pris dans une affaire de mauvaise conduite et se fait limoger par le conseil d'administration (lire : HP, un navire sans capitaine). Palm perd son soutien le plus important.

Le désintérêt de Léo Apotheker, le nouveau CEO, pour Palm est visible presque instantanément. Il se dit qu'il a visité le campus de Palm peut-être une fois, mais personne n'est capable de donner la date de sa visite ni son objet. La talentueuse équipe de Palm est alors rapidement la cible de recruteurs. Chaque employé a droit à un entretien individuel avec Rubinstein où celui-ci tente de les convaincre de ne pas partir.

Léo Apotheker


Pendant ce temps, les équipes travaillent sur la TouchPad. En interne, l'équipe logicielle de Palm parle d'une tablette faite avec « les rebuts des composants de l'iPad. » Et pour cause, Apotheker ne veut pas investir dans un produit qui ne rapporte pas immédiatement des bénéfices.

Pour des raisons de comptabilité, HP insiste auprès de Palm pour que la TouchPad sorte en mars. Rubinstein table lui sur un lancement en juin. La TouchPad sort aux États-Unis le premier juillet 2011... et se révèle être un fiasco. Chez HP on explique cet échec de différentes manières. Pour les uns, le système d'exploitation était inachevé, pour les autres, le prix était trop important. Proposée au même tarif que l'iPad 2, la TouchPad ne pouvait pas lutter face à la tablette d'Apple déjà bien établie. Rubinstein quitte son poste de senior vice-president de webOS quelques jours plus tard mais reste chez HP.

HP TouchPad


Le naufrage de webOS
Le 18 août, coup de théâtre, HP annonce qu'il compte se séparer de sa division ordinateur et qu'il réfléchit à une autre stratégie pour webOS (lire : HP s'éloigne du PC et abandonne webOS). Tout le monde est pris par surprise chez Palm. La direction de HP avait laissé intentionnellement de côté Palm dans la prise de cette décision.

La TouchPad Go, la version 7" du TouchPad, vient d'être tuée alors que sa production devait commencer deux jours plus tard. Quant à la version pour Windows de webOS qui vient d'atteindre le stade de la bêta, l'équipe qui la développe est dissoute. Le Pre 3 et le Veer sont tout de même lancés mais ne sont pas soutenus par HP (lire : HP commercialise le Pre 3 en Europe).

HP Pre 3


« Léo [Apotheker] est la pire des personnes qui soit... la chose la plus toxique et de loin » déclare une source de The Verge. Un autre témoignage est moins sévère et fait une analogie avec Microsoft et son OS mobile. La firme de Redmond dépense des milliards de dollars chaque année pour se faire une petite place sur le marché du mobile, une situation qu'Apotheker n'a pas envie d'imiter. « C'est une décision tout à fait juste » estime cette autre source.

HP envisage de vendre webOS. Deux sociétés se montrent intéressées : Google et Apple. Aucun accord n'a été couché sur du papier (lire : webOS : HP voulait 1,2 milliard de dollars), mais Google est bien en pourparlers avec HP. Quant à Apple, elle ne serait là que pour faire monter le prix ou éviter que la firme de Mountain View ne s'empare de webOS. Au final, Palo Alto revoit sa stratégie et décide de ne pas offrir à un concurrent, même contre une grosse somme, sa plateforme.

Le 22 septembre 2011, « le conseil estime que le poste de PDG de HP exige maintenant des qualités supplémentaires pour exécuter avec succès la stratégie de l'entreprise. » La sentence est irrévocable, Apotheker démissionne et Meg Withman prend sa place.

Palm est alors un champ de ruines. L'équipe qui travaille sur le matériel est déserte et celle sur le logiciel fonctionne au ralenti. Complètement esseulées, ces équipes n'ont plus aucune consigne et l'hémorragie continue. Quelques ingénieurs planchent sur Enyo, un framework basé sur webOS et en font une démonstration sur un iPad 2.



Meg Whitman, le nouveau CEO, rencontre les équipes de Palm début novembre et leur indique honnêtement qu'elle ne sait pas encore quoi faire de cette division. Un mois plus tard, Whitman annonce que webOS va devenir open source. Une décision prise par défaut. HP ne veut pas jeter à la poubelle le travail réalisé par Palm mais il ne compte pas non plus sortir de nouveaux produits webOS. S'en suit une nouvelle vague de départs importants : Andy Grignon, un ancien d'Apple, fonde sa propre entreprise, Brian Hernacki, spécialiste de la sécurité, part chez Intel, etc.

Fin janvier 2012, HP dresse la feuille de route d'openWebOS, le système basé sur les modules open source de webOS 3.0. Open webOS 1.0 est prévu pour septembre. Quant à Jon Rubinstein, il quitte HP le 27 janvier par la petite porte. Quelques jours après son départ, Rubinstein se confie à The Verge :

« Ça a été épuisant pendant quatre ans et demi. Ce que nous avons accompli en quatre ans et demi a été incroyable. Et je ne pense pas que les gens s'en rendent compte — ce que nous avons fait au cours de cette période a été incroyable. Vous savez, webOS a fait ses débuts environ six mois avant que je n'arrive chez Palm. Ils venaient juste de commencer. Ce n'était pas le webOS que l'on connaît aujourd'hui. C'était quelque chose de différent. Nous l'avons fait évoluer au fil du temps, mais ce fut une énorme quantité de travail pour un grand nombre de personnes, pendant plusieurs années. Donc quatre ans et demi après... je vais faire une pause. »


Le mois dernier, on apprennait que Google avait débauché une grande partie de l'équipe de développement d'Enyo (lire : Open webOS : une partie de l'équipe file chez Google). Les développeurs rejoignent les rangs des employés travaillant sur Chrome. Chez HP, plus personne ou presque n'est à recenser dans l'équipe webOS.

Une situation qui rend « pratiquement impossible » la sortie d'un nouvel appareil équipé de webOS selon une source proche du dossier. Quant à la partie logicielle, le scepticisme règne sur une disponibilité de webOS 1.0 pour septembre. La firme de Palo Alto pourrait garder dans ses comptes Palm jusqu'au premier juillet... dans un souci d'optimisation fiscale. Meg Withman pourrait ensuite s'en débarrasser.

Palm — autrefois d'or — et webOS semblent avoir définitivement coulé.

Sur le même sujet :
- Le long déclin de HP

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