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Le long déclin de HP

Christophe Laporte

samedi 04 février 2012 à 12:46 • 82

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2011 restera une année noire dans l’histoire de HP. Non pas à cause de problèmes financiers — la société a réalisé un bénéfice de 7,1 milliards de dollars — mais à cause de son incapacité à fixer un cap dans un univers en pleine mutation. HP ne parvient pas à s'adapter à l'ère du post-PC alors que cette société a joué un rôle clé dans les précédentes transitions majeures de l'histoire de l'informatique.

(image : Carlo Poso)


HP n'est pas une société comme les autres, c'est l'une des cinq entreprises « mythiques » de cette industrie. Contrairement à certaines idées répandues, le fameux mythe du garage ne vient pas d'Apple (le garage des parents Jobs a servi seulement dans un deuxième temps à la fabrication des premiers ordinateurs Apple), mais de HP.

En 1938, Bill Hewlett et Dave Packard louent pour 538 $ un garage dans lequel ils vont mettre au point un oscillateur audio qui servira d’appareil de test pour les ingénieurs du son. Walt Disney sera l’un des premiers clients de cette jeune société, qui au fil des années se démarquera dans bien des domaines. La société ne cessera par la suite de se lancer dans de nouveaux marchés : les oscilloscopes, les ordinateurs, l’horloge atomique, les calculatrices, les tables traçantes, les PC, les imprimantes… 

Prototype du premier oscillateur de HP (image : HP)


Incontestablement, HP a toujours été en pointe et a eu la culture de l’innovation. Un exemple ô combien symbolique, elle fut la neuvième entreprise au monde à disposer d’un nom de domaine ! En 1986, elle réserva HP.com.

HP s'est fait un nom au fil du temps grâce à ses produits, mais également grâce à sa culture d'entreprise très forte insufflée par ses fondateurs. Elle fut là encore très en pointe dans bien des domaines. À la fin des années 60, elle fut l’une des premières entreprises aux États-Unis à proposer des horaires flexibles à ses employés. Dans les années 70, touchée par la récession, HP évita une vague de licenciement en proposant à ses employés de prendre leur vendredi contre une réduction de leur salaire de 10 %. Une pratique qui fit des émules dans toute la Silicon Valley.

Au fil des années, HP formalisera sa culture d’entreprise communément connue sous le nom de « The HP Way ». Le site de la société californienne a d’ailleurs une section dans laquelle elle la présente.

HP la résume en quelques lignes ou phrases : « Confiance mutuelle, sincérité, franchise, travail en équipe et engagement pour la qualité, l’innovation et la flexibilité : tels sont les éléments du HP Way. Ces valeurs sont mises en application par les collaborateurs dans le cadre de la réalisation des objectifs de l’entreprise, qui définissent le comportement fondamental en ce qui concerne le bénéfice, les clients, le domaine d’activité, la croissance, les collaborateurs, le style de direction et la responsabilité sociale ».

Les deux cofondateurs de HP "quelques années plus tard" (image : HP)


HP a toujours voulu mettre au coeur de son action la satisfaction client, la place de leader sur les marchés dans lesquels elle s’engage et les profits, lesquels doivent être partagés de manière équitable entre les actionnaires et les employés. Ces idées ont été posées sur le papier en 1958 !

À cette époque, HP avait d’ores et déjà pris conscience que les ventes de ses produits commençaient à décliner au bout de quatre ou cinq ans, à partir du moment où leur avantage technologique commençait à se réduire. Bien entendu, ce phénomène est toujours d’actualité, mais le delta est beaucoup plus court avec la concurrence accrue. Afin de poursuivre son développement, la société se devait d’exploiter de nouvelles idées pour générer toujours plus de revenus.

L'histoire entre Apple et HP est faite de clins d'oeil. Avec le culot qui le caractérisait, Steve Jobs, alors qu’il n’avait que douze ans, trouva dans l’annuaire le numéro de téléphone d’un certain Bill Hewlett — la liste rouge n’existait pas à l’époque. L’adolescent convainc alors le cofondateur de HP de lui donner des composants électroniques. Apparemment charmé par le jeune garçon, Hewlett lui proposa également un petit boulot d’été. À cet instant, Bill Hewlett était sans doute loin d’imaginer que l’adolescent qu’il avait au téléphone allait lui aussi marquer de son empreinte l’histoire de la Silicon Valley.



Une décennie plus tard, alors qu’Apple était sur le point d’être créé, Steve Jobs et Mike Markkula eurent toutes les peines du monde à convaincre Wozniak de démissionner de HP, une société à laquelle il était fondamentalement attaché. D’ailleurs, Wozniak avait présenté à ses supérieurs les schémas électroniques qu’il avait conçus pour l’Apple I durant ses heures de travail. Wozniak voulait les mettre également à la disposition de HP. Heureusement pour Apple, les responsables de HP, bien qu’impressionnés par le travail de Woz, estimèrent qu’ils ne pouvaient développer un tel produit, préférant se concentrer sur le haut de gamme.

image : newtc_uk


Trente ans plus tard, HP est la seule société à obtenir le droit de commercialiser un iPod sous sa marque dans des conditions d'ailleurs particulièrement humiliantes. Mais le long déclin de HP avait sans doute déjà commencé. Une statistique le reflète bien, le plus haut historique de l’action HP remonte au 13 juillet 2000.

Cette façon si spéciale de faire, HP l'a sans doute mis progressivement de côté dans les années 90, selon Jim Collins, à qui l'on doit plusieurs livres sur le monde de l’entreprise. HP a commencé à bafouer ses valeurs et à confondre ce qui constituait son ADN et certaines pratiques opérationnelles qu’elle avait développées au fil du temps. Les choses ne firent ensuite que s’accélérer avec l’arrivée aux manettes de la charismatique Carly Fiorina en 1999.



Deux faits majeurs ont marqué le début de son mandat : la scission de HP en deux entités afin de mieux les valoriser auprès des marchés financiers. La première, Agilent Technologies, société qui regroupe les activités historiques de HP dans les domaines du test et de la mesure, l'analyse chimique et le médical. La seconde, qui conservera le nom de HP, comprend toutes les activités des secteurs de l'informatique et de l'imagerie.

Et d'autre part le rachat de Compaq. Une opération colossale pour une société qui jusque-là avait pour habitude de racheter uniquement des entreprises bien plus petites qu’elle. La fusion fut douloureuse. Et pour ne rien arranger, les deux sociétés avaient des cultures d'entreprise radicalement différentes. La boite d’ingénieurs se mariait avec un vulgaire pousseur de cartons.

Petit à petit, l’ADN de HP s’est dilué. Et le nouveau maître à bord en 2010, Leo Apotheker, en prit acte en quelque sorte en décidant de transformer l’une des plus importantes sociétés de son secteur en banale « SSII ». C’était grossièrement son plan avant qu’il soit remercié en 2011. L’ancien de SAP avait décidé notamment de se séparer de son activité de constructeur informatique (pas assez rentable) pour se focaliser sur les services. À cette période, l’échec le plus flagrant est sans doute le rachat de Palm. Plutôt que de développer une stratégie sur le long terme axée sur webOS pour s’imposer sur le marché des tablettes et des smartphones, HP a préféré abandonner sans persévérer.



HP ne va pas fermer boutique de sitôt. La société, si elle a perdu de son génie, continue d’être rentable et est un acteur important dans bien des marchés. Mais cette société vit incontestablement une période sombre. Dans la biographie qui lui est consacrée, Steve Jobs résume très bien la situation, affirmant que la société vit une triste époque : « Hewlett et Packard ont bâti une grande entreprise, et ils pensaient l’avoir mise entre de bonnes mains. Mais aujourd’hui, elle est démantelée et détruite. C’est tragique. J’espère avoir laissé un héritage plus solide, pour que cela n’arrive jamais à Apple ».

Apple sans Steve Jobs ne va pas non plus faire faillite de sitôt, contrairement à ce que certains imaginent, voire souhaitent. Avec un trésor de guerre de 100 milliards de dollars, la firme de Cupertino a le temps de voir venir. Mais si elle renie ses racines, Apple pourrait connaitre le même sort que HP et devenir une société comme les autres. C'est probablement le plus grand danger qui guette Apple.

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