Tim Cook a profité de ce lundi férié pour répondre aux questions de Kara Swisher, du New York Times. Une interview1 sous forme de podcast au long cours, qui touche bon nombre de sujets d'actualité.
Le CEO d'Apple est revenu sur l'application iOS du réseau social Parler, supprimée de l'App Store peu après l'assaut des partisans de Donald Trump sur le Capitole de Washington — bon nombre d'entre eux ont utilisé cette application pour coordonner leurs attaques. Une mise à jour de l'app a été rejetée récemment, car des propos haineux s'y échangent toujours.
Tim Cook espère toujours que l'application de Parler reviendra dans la boutique, « nous travaillons dur pour avoir tout le monde dans l'App Store, pas pour rejeter des gens ». Mais pour cela, il faudra que Parler mette en place une modération qui tienne la route. « Je pense qu'avoir plus de réseaux sociaux est mieux que d'en avoir moins ».
Interrogé sur la désinformation qui se propage et prospère grâce aux réseaux sociaux, le CEO fait valoir la différence d'Apple qui croit en la « curation », l'organisation ordonnée du contenu comme dans l'App Store et Apple News : « nous avons des éditeurs humains qui sélectionnent les histoires importantes ». Ce qui permet aux services « d'éviter toute la désinformation qui a cours ailleurs ».
La réalité, affirme-t-il, c'est que certaines zones d'internet sont devenus des « endroits sombres » et que sans curation, la désinformation se propage et s'amplifie. Malheureusement, selon lui, les outils permettant la collecte de données pour le suivi publicitaire servent à des fins de désinformation ou extrémistes.
Facebook et le suivi publicitaire
iOS 14.5, dont la version finale sortira « dans les prochaines semaines », compte parmi ses nombreuses nouveautés un nouveau panneau qui va obliger une application à demander à l'utilisateur l'autorisation de le suivre, afin d'afficher des publicités personnalisées. Cette fonction ATT (pour App Tracking Transparency) a soulevé un vent de panique auprès des régies publicitaires, et aussi chez Facebook.
Pour défendre le suivi publicitaire et les réclames personnalisées, le réseau social a expliqué que l'initiative d'Apple allait affecter les petits commerces. Tim Cook ne s'attendait pas à une telle levée de boucliers, car en bout de course, il s'agit simplement de donner le choix à l'utilisateur. « C'est difficile d'être contre ça ». Selon lui, les arguments de Facebook ne tiennent pas la route.
Tim Cook pense qu'il est possible de faire de la publicité en ligne et d'être rentable « sans avoir à suivre les gens sans qu'ils le sachent ». Il renvoie dans les cordes Facebook, qui estime qu'Apple est un de ses principaux concurrents : « Oh, je pense que nous sommes concurrents pour certaines choses. Mais non, si on me demandait qui étaient nos principaux concurrents, [Facebook] n'en ferait pas partie. Nous ne sommes pas dans le business des réseaux sociaux ».
App Store et concurrence
Le procès avec Epic Games s'ouvrant dans moins d'un mois, le 3 mai, le podcast permet à Tim Cook de resservir les mêmes arguments qui seront sans aucun doute au cœur de la défense d'Apple. Il rappelle ainsi que 85% des développeurs ne paient aucune commission, qu'il n'y a pas de commission prélevée sur les ventes de biens physiques, et que les 15% payés par Prime Video le sont par tous les services de streaming — c'est dans les faits beaucoup plus compliqué que ça et Amazon en a profité pendant des années avant que les autres puissent en bénéficier.
Pour défendre le mécanisme de paiement des achats intégrés, qui permet à Apple de toucher sa com' sur chaque transaction, Tim Cook explique que cette obligation est nécessaire pour renforcer la confiance de l'utilisateur. « Je pense que c'est ce que nos utilisateurs veulent », assure-t-il, bien qu'ils n'aient jamais eu la possibilité de tester et, peut-être, d'apprécier un autre système.
Pas question non plus d'autoriser des boutiques alternatives : « Si vous commencez à [permettre l'installation d'apps en dehors de l'App Store] , vous allez casser le modèle de confidentialité et de sécurité ». Cela reviendrait à « ouvrir un vecteur important » de problèmes de sécurité. Mais c'est ce qui se passe sur Mac depuis toujours, sans pour autant que la plateforme macOS soit devenue un enfer pour la confidentialité et la sécurité de l'utilisateur…
Le CEO d'Apple met beaucoup en avant les efforts de curation accomplis par Apple, pour organiser et promouvoir les applications. C'est une partie « importante » de l'App Store, chaque semaine 100 000 apps sont examinées et 40 000 sont rejetées, « la plupart du temps parce qu'elle ne fonctionnent pas ou qu'elles ne fonctionnent pas comme elles le devraient ». Si Apple perd le contrôle sur l'App Store, alors elle perdra la supervision du contenu, prévient-il : « vous imaginez ce qui se passerait dans la boutique très rapidement ».
Personne n'est infaillible, et Apple non plus. Les exemples sont innombrables de ces apps qui passent sous le radar et tentent de tromper ou d'arnaquer les utilisateurs, comme l'app clone de Raccourcis ci-dessus (avec un abonnement de 10 $ par semaine !), cette histoire de vol de bitcoins par une app bidon validée par la boutique, ou encore le scandale des applications parasites.
Réalité augmentée
Moment incontournable dans chaque interview de Tim Cook, le passage obligé sur la réalité augmentée alors que les rumeurs sur un casque d'Apple tournent à plein régime. Bien sûr, le CEO ne peut rien dire des projets d'Apple, mais le podcast est l'occasion de donner un exemple de ce à quoi l'AR peut servir.
« Nous avons une très bonne conversation en ce moment. Elle pourrait sans doute être encore mieux si nous pouvions "augmenter" notre discussion avec des graphiques ou d'autres choses qui pourraient apparaitre », décrit-il. Une sorte d'iMessage en réalité augmentée, en quelque sorte ! Tim Cook pense que l'AR a toute sa place dans les domaines de la santé, de l'éducation, du jeu vidéo, de la vente au détail… « Je vois déjà la réalité augmentée décoller dans plusieurs de ces secteurs avec un smartphone ».
Elon Musk et Tesla
En décembre, Elon Musk révélait qu'il avait voulu vendre Tesla à Apple au dixième de la valeur actuelle de l'entreprise… mais que Tim Cook s'était refusé à le rencontrer. Interrogé sur cette anecdote, le patron d'Apple assure n'avoir jamais parlé à Elon Musk, mais il a pour lui « une grande admiration et un grand respect pour l'entreprise qu'il a bâtie ».
« Je pense que Tesla a accompli un travail remarquable non seulement pour se lancer sur ce marché, mais aussi pour rester à la première place pendant si longtemps dans le segment des voitures électriques ». Bien évidemment, Tim Cook n'ira pas plus loin, si ce n'est qu'à son avis, la conduite sans chauffeur est « une technologie centrale ». En prenant un peu de recul, la voiture est « un robot : une voiture autonome, c'est un robot. Et il y a beaucoup de choses possibles à faire avec l'autonomie ».
Apple travaille sur tout cela en interne, admet-il, mais « beaucoup [de ces technologies] ne verront jamais le jour ». Tim Cook se refuse à en dire plus, notamment sur cette question pourtant très intéressante : « Est-ce que ce sera la forme d'une voiture ou de la technologie dans la voiture ? ». Le fameux projet Titan vogue constamment entre ces deux possibilités, à en croire les rumeurs.
Tim Apple et le vote par iPhone
Après une réunion, Donald Trump avait remercié un certain « Tim Apple » pour sa contribution. Un nom qui est resté collé à la peau de Tim Cook, qui s'en est même amusé sur son compte Twitter. Le podcast de Kara Swisher est l'occasion pour lui de revenir sur la politique américaine qui a changé de bord avec l'administration Biden. Il explique qu'il travaillera avec cette dernière, comme il l'avait fait sous la présidence Trump.
Plus intéressant, il « rêve » qu'il soit un jour possible de voter depuis son iPhone. « Nous faisons nos comptes bancaires sur des téléphones. Nous avons nos données de santé sur nos téléphones. Nous avons plus d'informations sur nous dans un téléphone que dans nos maisons. Et pourquoi pas [le vote] ? ». Le vote électronique est une vieille lune qui pose de sérieuses interrogations sur la sécurité. Peut-être qu'Apple pourrait s'intéresser à ce problème, bien que cela n'empêchera pas la politisation de cette forme de vote — en particulier par le camp qui perd.
Sur le plus long terme, et c'est peut-être la réponse la plus étonnante donnée par Tim Cook dans cette interview, il pense qu'il ne sera probablement plus à la tête d'Apple dans dix ans — il est entré dans sa 60e année . « Je peux vous dire que je m'y sens très bien en ce moment. Et il n'y a aucune échéance en vue. Mais dix ans de plus, c'est beaucoup de temps et probablement pas dix ans encore [à la tête d'Apple] ». Il ignore ce qu'il fera dans dix ans, « j'aime tellement cette entreprise, c'est difficile d'imaginer ma vie sans elle ».
-
L'enregistrement remonte au 27 mars, pour être précis. ↩︎