Dans les coulisses de l'affaire Papermaster

Florian Innocente |
L'affaire judiciaire IBM contre Mark Papermaster bat son plein, en attendant de nouveaux développements, les déclarations faites sous serment des protagonistes ont été publiées. On en apprend plus sur l'arrivée mouvementée chez Apple de cet ancien haut responsable de Big Blue.

On trouve ainsi la lettre envoyée par Apple à Mark Papermaster, lui confirmant son embauche en tant que Senior Vice President of Devices Hardware Engineering le 10 octobre dernier. Mais d'autres pièces plus denses précisent encore la chronologie de ce débauchage (voir aussi l'article Papermaster : chronique d'une arrivée contrariée) ainsi que les réactions des protagonistes. À noter que ces informations ont été données à la cour par Danielle Lambert, Vice-Présidente des ressources humaines chez Apple et, à la ville, épouse de Tony Fadell, ex-patron de la division iPod, remplacé par l'homme d'IBM (voir l'article Jeu de chaises musicales chez Apple).

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Apple chasse une tête
Dans une déclaration datée du 31 octobre, Danielle Lambert explique qu'Apple a démarré un an plus tôt la recherche d'un bras droit pour Tony Fadell avec comme objectif que la nouvelle recrue lui succède probablement plus tard.

Cinq mois durant Apple a mené des entretiens avec de nombreux candidats disposant de qualifications dans le domaine de l'électronique grand public. Mais sans trouver la perle rare "bien que plusieurs de ces personnes avaient les compétences requises pour maîtriser la complexité technique d'un iPod et d'un iPhone, il leur manquait les talents nécessaires dans la gestion des équipes pour diriger des projets aussi importants et exigeants. De plus, dans certains cas ils n'auraient pas cadré avec la culture d'Apple"

Apple a dès lors changé son fusil d'épaule et cherché un profil avec des compétences techniques peut-être moins ciblées autour des produits électronique de grande consommation mais avec un bagage important dans la conduite de personnes, et qui se glisserait aisément dans l'atmosphère d'Apple. Une approche déjà utilisée avec succès pour le recrutement de Robert Mansfield (ci-contre), le Senior Vice President de la division Mac. Il dût s'occuper des portables alors même que son bagage technique n'incluait pas de développement de matériels de cette catégorie.


La liste de Mansfield
C'est donc à Bob Mansfield que revint la charge de dresser une liste de candidats répondant à ce profil idéal. Mark Papermaster avec qui il avait travaillé chez IBM fut parmi ses propositions "Vous verrez qu'il est immensément compétent en conception de processeurs, de grands systèmes et en semi-conducteurs. Il n'a pas eu l'avantage de travailler en dehors d'IBM. Je me poserai la question de la différence de rythme entre les développements produits, etc., mais je ne m'en inquièterai pas outre mesure."

Une appréciation partagée par Tim Cook, le patron des opérations chez Apple et autre relation de Papermaster. Il le décrit comme un homme doté d'une "grande intégrité, avec un profil de leader et de solides compétences techniques dans le milieu du processeur". En revanche il pointait son manque d'expérience dans le développement rapide de produits grand public et l'imaginait davantage à un poste de directeur de développement que de responsable d'une division.

Mansfield a donc établi une liste de 8 personnes (PDF), dans laquelle Papermaster n'arrivait qu'à la 6ème place. La quasi totalité sont présentés comme des spécialistes en processeurs et autres systèmes.

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Défilé de candidats
Apple a rencontré les candidats cités par Mansfield en février 2008. Mais aucun n'avait les épaules assez larges pour gérer ces équipes iPod et iPhone, sur un marché très changeant et où il est bon de s'attirer les compétences de jeunes recrues. Le passé de Papermaster dans le développement de solutions serveur ne plaidait pas en sa faveur, mais il avait l'expérience de la conduite d'équipes.

Dans un courrier échangé entre Danielle Lambert et Bob Mansfield ce dernier lui fait part de sa difficulté à trouver quelqu'un qui réponde à tous ces désidératas, et il montre au passage le cloisonnement des décisions stratégiques au sein d'Apple "Je sais que l'objectif de tout ceci ne me concerne pas et je ne veux pas paraître indiscret, mais je veux que vous compreniez que j'essaie juste de vous donner des noms de gens susceptibles de vous intéresser. Aucun d'eux n'a l'expertise de Tony, par exemple… mais ce n'est pas ce que vous m'avez demandé. Désolé, c'est juste un peu confus, et je lis assez mal entre lignes."

Le choix de Papermaster
Apple rencontra Papermaster et au lors de la première réunion Steve Jobs garda secrète la nature exacte du poste. Mais quelques semaines plus tard, la direction de Cupertino préféra lui proposer un rôle dans le développement des Macintosh. Le changement à la tête de la division iPod n'était pas encore pressant et les équipes iPhone et iPod étaient en plein travail sur les nouveaux modèles de 2008. Une nouvelle offre que Papermaster déclina.

Apple revint vers lui en octobre et les choses évoluèrent vers le poste qu'il accepta. Il avait entre temps expliqué à ses interlocuteurs qu'IBM s'apprêtait à lui proposer de nouvelles responsabilités et qu'il n'envisageait pas de les prendre pour les quitter aussitôt afin de rejoindre Apple.

Dans sa déclaration Danielle Lambert souligne qu'à aucun moment de ces discussions ne s'est posée la question d'un conflit d'intérêts "pour la simple raison qu'IBM et Apple ne sont pas concurrents. IBM n'a pas été présent dans le domaine de l'électronique grand public depuis plusieurs années."

Elle ajoute que Papermaster a signé un accord chez Apple stipulant qu'il n'apporterait aucune information confidentielle liée à IBM. Rien dans le poste qui lui a été confié ne l'amènera à partager des informations confidentielles sur les serveurs haute performance ou les microprocesseurs.

Pendant 17 ans, explique Papermaster dans sa propre déclaration (PDF), il a travaillé autour des processeurs POWER et des serveurs d'entreprises. Depuis 2006 il faisait aussi partie des 300 plus importants cadres d'IBM à travers le monde.

Il conteste l'insinuation d'IBM selon laquelle il pourrait travailler dans le cadre des technologies rachetées avec PA Semi et qu'il aiderait à améliorer les ordinateurs et les serveurs d'Apple "Ce n'est en aucun cas le travail pour lequel j'ai été engagé, qui est limité à l'iPod et à l'iPhone. En effet, j'ai été prévenu par Apple que je ne gèrerai pas les actifs de PA Semi dans le cadre de mes responsabilités. J'ai aussi compris que je ne serai pas impliqué dans le développement des microprocesseurs qui sont utilisés dans les iPod et les iPhone, et qu'ils me seraient fournis par des équipes extérieures à mon groupe."

IBM livre ses inquiétudes
Rodney Adkins, le patron de Papermaster, explique dans sa déclaration (PDF) qu'il craint au contraire que les connaissances extrêmement pointues et vastes de son collaborateur ne servent justement aux intérêts d'Apple et au détriment de ceux d'IBM.

Depuis son rachat par Apple, PA Semi ne peut plus utiliser sa licence PowerPC pour créer de nouvelles puces. En outre, certaines technologies n'étaient pas couvertes par cette licence. Autant de pièces de puzzle manquantes que Papermaster pourrait amener afin d'aider Apple à mettre au point des puces pour à remplacer celles d'Intel dans ses serveurs.

Adkins estime également qu'IBM et Apple sont bel et bien concurrents. Big Blue a vendu sa division informatique à Lenovo mais des relations existent toujours. IBM fournit des PowerPC aux fabricants de consoles de jeu et Apple est active sur ce terrain. Les Xserve sont des concurrents aux serveurs d'IBM et enfin IBM produit lui aussi des composants pour les téléphones.

Papermaster part en bons termes
Papermaster s'étonne des poursuites d'IBM à son égard. Il dit avoir travaillé encore 15 jours après avoir signifié son départ et que son ancien employeur n'a pas jugé utile de limiter son accès à des informations confidentielles pendant cette période.

Le 14 octobre Papermaster prévint Apple de sa démission d'IBM et de préciser que son patron, Rodney Adkins, lui avait fait part de sa déception "mais qu'il comprenait." Les inquiétudes liées à PA Semi furent soulevées par ses supérieurs chez IBM mais Papermaster - sans pouvoir révéler le domaine couvert par son nouveau poste - assura qu'elles étaient infondées.

IBM par la voix de son directeur des ressources humaines - Randall MacDonald - lui fit une offre pour rester, mais Papermaster déclina. MacDonald lui signifia alors qu'il estimait que ce départ contrevenait à sa clause de confidentialité.

Pour lui Apple et IBM étaient concurrents. Il se basait pour cela sur une étude comparative des salaires de cadres où les deux entreprises étaient citées. Devant le refus de Papermaster, MacDonald lui expliqua qu'IBM lui paierai son salaire pendant un an pour se tenir hors du circuit. Et il lui conseilla de réfléchir aux conséquences que cette situation pourrait avoir auprès de sa famille.

Les deux parties finirent par s'accorder sur le départ de Papermaster et MacDonald ne s'opposa pas à ce qu'il reste 15 jours de plus pour faciliter la transition. Non sans avoir rappelé que normalement les départs de cette nature sont effectifs immédiatement pour des raisons de sécurité puis de lui dire que "la porte resterait toujours ouverte pour lui chez IBM."

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Les articles de l'affaire Papermaster

crédit image de Une : IBM
avatar yr_75 | 
Je ne comprends pas comment on peut empêcher un cadre de quitter une entreprise pour une autre s'il n'y a pas de clause de concurrence. The Palermo Project Entrepreneuriat et stratégie sur Internet www.thepalermoproject.fr
avatar Anonyme (non vérifié) | 
Merci Florian, c'est très intéressant. On imagine mal toutes ces tractations quand on n'est pas dans le "milieu", c'est vraiment romanesque comme histoire...
avatar Anonyme (non vérifié) | 
Du bon travail de journaliste, avant cet article je me foutais éperdument de cette affaire…
avatar BadoqueAlex | 
Bon article. Ca change ... Mais c'est bien !
avatar Jimmy_ | 
Merci AppleInsider.
avatar Florian Innocente | 
@ Jimmy_ : oui aussi :-)
avatar Anonyme (non vérifié) | 
Bon, c'est pas vraiment comparable mais ça me rappelle l'affaire Bill Gates, ce genre de pratiques a l'air de "bonne guerre" dans le milieu, pourquoi tous ces scandales ? Ce que dit yr_75 est intéressant... Il y a une clause de concurrence au moins ? Bonne soirée à tous ;)
avatar haiku | 
clause de confidentialité = clause de non concurrence à ce niveau d'expertises, il existe souvent ce genre de clause. je ne sais pas en droit américain mais en droit français une telle clause se doit d'être limitée dans le temps et dans l'espace pour être valable et doit remplir certaines conditions. à la justice américaine de décider si cette clause est justifiée ou non.
avatar Stalmicmac | 
Bin moi, ça ne me dérangerai pas que l'on me propose une année payée à rien faire!!! Sympa les vacances... pouvoir bricoler chez moi, faire plein de choses avec mes gamins, faire une air de jeu dehors et tout monter soi-même!!! et tout ça... avec un salaire de cadre supérieur qui tombe chaque mois!!!! pendant 1 an!!!!!!!! dingue!
avatar Orus | 
Si y a bien un truc don on se fout, c'est bien cette histoire insipide.
avatar Atlante | 
Ah tiens, le droit américain ne s'est toujours pas réformer de ces francicisme. "Plaintiff". Il a été viré du droit anglais, mais bon y'a toujours une sacrée proportion de terme fr..
avatar spleen | 
Ben oui...comme l'a dit Orus, on s'en fout totalement de cette histoire. On n'est pas non plus obligé de se taper les fonds de poubelle de la maison Apple...
avatar james85 | 
[quote]Je ne comprends pas comment on peut empêcher un cadre de quitter une entreprise pour une autre s'il n'y a pas de clause de concurrence.[/quote] Il ne s'agit pas d'un cadre lambda, il s'agit d'un des plus hauts dirigeants d'IBM. Ces mecs-là n'ont pas tout à fait les mêmes contrats que les employés classiques (ni les mêmes salaires d'ailleurs). [quote]Si y a bien un truc don on se fout, c'est bien cette histoire insipide. [/quote] Pas tout à fait, puisque tu as pris du temps pour écrire que tu t'en fous :)
avatar california | 
Hmmm, très bon dossier. C'est du lourd. On mesure bien que ça ne rigole vraiment pas à ce niveau d'enjeux. Ils ont du mérite moi je dis.

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