10-K : Apple en pleine croissance

Anthony Nelzin-Santos |
10-K © Anthony NelzinRégulièrement, la SEC (Securities and Exchange Commission) demande aux entreprises (cotées en bourse ou non, dès lors que leur capital est détenu par plus de 500 actionnaires) de lui fournir des rapports d'activité. Chaque trimestre, elles fournissent le rapport 10-Q, et en cas de changement majeur comme le départ du PDG, elles doivent remplir le formulaire 8-K. Le plus intéressant est certainement le formulaire 10-K, qui fait le bilan de l'année. Apple ayant bouclé son année fiscale, elle vient de déposer ce long document d'une centaine de pages que nous vous proposons de vous résumer.

Les risques opérationnels
Le 10-K est un rapport d'un type un peu particulier : le gendarme américain de la bourse demande aux sociétés d'y faire le bilan de leur activité, ce qui veut dire identifier leurs forces, mais aussi leurs faiblesses. Il fait donc la part belle aux risques opérationnels qui pourraient avoir une influence — réelle ou pas — sur la santé financière de la société concernée.

La chaîne de fabrication
Si Apple possède encore des usines à Cork (Irlande) et à Elk Grove (Californie), celles-ci sont d'abord et avant tout réservées à l'assemblage final des machines (notamment les configurations personnalisées), et sont doublées d'un centre d'appel et de plates-formes logistiques. L'essentiel de l'activité manufacturière d'Apple est réalisé par des sous-traitants asiatiques et notamment chinois.

La dépendance à certains de ces sous-traitants est un risque opérationnel pour Apple : si la firme de Cupertino essaye de diversifier au maximum ses sources d'approvisionnement, elle utilise un seul partenaire pour certains composants. C'est par exemple le cas pour le capteur photo de l'iPhone 4S (Sony), pour les coques en aluminium monocorps (Catcher Technologies), pour les processeurs A5 (Samsung), ou encore pour la feutrine de la Smart Cover (un fabricant vietnamien).

Ces partenariats privilégiés permettent à Apple de développer des composants personnalisés et hautement qualitatifs main dans la main avec les fabricants, mais sont aussi un risque. En cas de problème technique, la chaîne de fabrication peut être mise à mal : Apple rappelle par exemple le danger des risques naturels, comme le tremblement de terre japonais ou les inondations thaïlandaises, qui ont perturbé l'activité de ses partenaires. D'autres risques existent, notamment relationnels et juridiques : les relations entre Apple et Samsung Semiconductor ne sont pas au beau fixe en raison des conflits juridiques entre Apple et Samsung Electronics.

Evolution de l'action Apple pendant l'exercice 2011


L'équipe dirigeante et les employés
Apple le dit à mots couverts : une grande partie de son succès est dû à la vision de Steve Jobs, CEO de mars 1998 à août 2011 (par intérim de mars 1998 à janvier 2000), et de sa relation avec les équipes dirigeantes et le conseil d'administration. La capacité d'Apple à avoir une excellente équipe dirigeante (celle en place, chapeautée par Tim Cook, a construit le succès d'Apple au long des années 2000), à la garder (Tim Cook est lié à Apple par un accord financier de 10 ans), et à conserver ses meilleurs talents et en attirer de nouveaux est la clef du renouvellement de ses coups d'éclat des dix dernières années.

La fluctuation des devises
Parmi divers risques, Apple note celui de la fluctuation des cours des devises, et notamment la sous-évaluation de certaines monnaies par rapport au dollar — une référence directe à la situation du yuan chinois, dont Apple est une victime malgré elle (lire : Apple, victime de la guerre commerciale entre US et Chine ?). Au-delà des pressions politiques sur fond de guerre commerciale, le cours des devises entraîne l'ajustement permanent des taux de change pratiqués par Apple, avec le risque que l'augmentation des tarifs sur un marché entame l'enthousiasme des clients.

Apple : une multinationale qui s'assume enfin
Depuis de nombreuses années, la situation financière d'Apple croît à un taux exceptionnel, sans que la société elle-même suive. Cela a souvent valu à Apple le surnom de « start-up multinationale ». En 2011, la firme de Cupertino semble avoir pris la mesure de son statut.

Un nombre d'employés en forte hausse
De 49 400 employés ETP (équivalent à temps plein), Apple est passée à 60 400 employés ETP, auxquels il faut ajouter 2 900 salariés ETP qui sont des consultants ou à temps partiel. Apple embauche désormais plus de 10 000 personnes par an, l'équivalent de la moitié de sa masse salariale en 2008. La firme de Cupertino reste un nain dans le domaine face aux 90 000 employés de Microsoft, aux 168 000 salariés de Sony, ou aux 310 000 employés de HP, mais sa structure est bien différente.

Le succès des Apple Store
36 000 de ses 60 400 employés (soit environ 60 %) travaillent pour la branche Retail d'Apple. Apple a ouvert 40 nouvelles boutiques en 2011, dont 28 hors des États-Unis, finissant ainsi l'année à la tête de 357 Apple Store (245 aux États-Unis, 112 à l'international). En raison des travaux et rénovations en cours, une moyenne de 326 boutiques étaient ouvertes cette année.

La demande pour l'iPhone, l'iPad, et le Mac ont dynamisé les Apple Store, qui ont généré 13 % des ventes de 2011, et dont le chiffre d'affaires est en hausse de 44 % par rapport à 2010. Les loyers et frais des Apple Store coûtent à Apple 2,4 milliards de dollars, mais ils ont généré un chiffre d'affaires de 14,13 milliards de dollars en 2011 — 2,5 fois le Japon, ou la moitié de ce que rapportent les Amériques. En moyenne, chaque personne entrant dans un Apple Store dépense 50 $.

Une extension géographique
Cette croissance d'Apple se manifeste aussi dans l'espace : Apple possède ou loue 1,23 million de mètres carrés aux États-Unis, en Europe, au Japon et au Canada notamment, dont de 280 000 mètres carrés d'Apple Store (un peu moins de 800 mètres carrés en moyenne).

On associe souvent Apple à Cupertino, et pour cause : si la ville était autrefois recouverte d'abricotiers, comme toute la vallée, elle est aujourd'hui en grande partie recouverte d'espaces appartenant à Apple. En comptant le nouveau campus, qui devrait sortir de terre d'ici 2015, Apple possède 242 000 mètres carrés de bâti à Cupertino.

En plus de posséder ou louer des espaces de bureaux et des boutiques, Apple possède deux usines (Cork et Elk Grove) et deux data-centers (Newark, Californie et Maiden, Caroline du Nord).

Une société aux reins solides
Cette croissance d'Apple s'assoie sur de solides fondamentaux.

Bénéfices, marge, et cash : la trésorerie d'Apple
La marge brute ne cesse d'augmenter : elle a atteint 40,48 % en 2011. Malgré la disponibilité d'un iPhone 4 à un prix cassé et d'un iPhone 3GS gratuit, Apple ne pense pas devoir revoir sa marge à la baisse : les caisses vont continuer à se remplir.

AAPL

Apple a d'ailleurs ajouté 5,4 milliards de dollars à ses réserves de cash, qui se portent désormais à 81,57 milliards de dollars. Elles pourraient être plus hautes si Apple n'avait pas mis la main à la poche pour s'offrir les brevets de Nortel. Tim Cook a expliqué que tout cet argent ne chatouillait pas Apple : « je ne suis pas dogmatique en ce qui concerne la conservation ou non de nos réserves. » Si Apple s'est servi de son trésor de guerre pour acheter des sociétés, des brevets, et sécuriser ses lignes de production, elle compte continuer à l'utiliser de manière ponctuelle, sans véritable doctrine.

Des records boursiers
De nombreux investisseurs se demandent si Apple ne pourrait pas être tentée de dépenser quelques milliards en versant des dividendes. Raté : la société annonce qu'elle ne compte pas en verser ces prochaines années.

Pas de quoi mettre en colère les 28 543 actionnaires, qui font d'Apple la première société du monde par la capitalisation boursière, avec un record à 426,70 $ dans les jours qui ont suivi la présentation de l'iPhone 4S.

L'internationalisation d'Apple
Point important : Apple s'est totalement dégagée de sa dépendance au marché américain, qui ne représente plus que 38,5 % de son chiffre d'affaires. Le principal levier de croissance d'Apple à l'international est la zone Asie-Pacifique, et tout particulièrement la Chine : le CA y a triplé en un an. Cheval de bataille de Tim Cook depuis plusieurs années, la Chine est aujourd'hui un marché prioritaire pour Apple : elle y ouvre de nombreuses boutiques en nom propre, y noue des partenariats avec de grands distributeurs, et se rapproche toujours plus des opérateurs.

AAPL

Notons que plus des deux tiers de la réserve de cash d'Apple est stockée en dehors des États-Unis. La firme de Cupertino n'a aucune raison de rapatrier ces fonds : tant qu'ils sont à l'étranger, ils ne sont pas soumis à taxation aux États-Unis, et ils peuvent y servir pour les investissements locaux. Comme Google, Apple milite auprès du Sénat américain pour obtenir une exonération temporaire, le temps de rapatrier son trésor de guerre.

iPhone, iPad, Mac : les trois piliers de la santé d'Apple
En 2011, Apple a réalisé un chiffre d'affaires de 108,25 milliards de dollars : elle rentre dans le cercle très fermé des sociétés à 100 milliards de dollars. Elle appuie sa solidité sur trois piliers, iPhone, iPad et Mac, quoiqu'une certaine dépendance à iOS soit un risque potentiel, comme l'a montré le dernier trimestre fiscal. Pour tout comprendre, lisez : Résultats Apple T4 2011 : quelques clefs pour comprendre

Bref, si l'on devait résumer le 10-K de cette année, on pourrait se contenter de dire que tout va bien sous le soleil de Cupertino…
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#AAPL
avatar nayals | 
'Elles pourraient être plus hautes si Apple n'avait pas mis la main à la poche pour s'offrir les brevets de Nortel. Tim Cook a expliqué que tout cet argent ne chatouillait pas Apple : « je ne suis pas dogmatique en ce qui concerne la conservation ou non de nos réserves. » Si Apple s'est servi de son trésor de guerre pour acheter des sociétés, des brevets, et sécuriser ses lignes de production, elle compte continuer à l'utiliser de manière ponctuelle, sans véritable doctrine.' Ça sent le copier-coller de l'article concernant le T4 d'Apple, non ? ;D
avatar ankhinephes | 
En même temps, la situation n'a pas beaucoup changé depuis, non ? :-)
avatar readrom | 
Très bon article, clair et précis. Merci.
avatar Florian Innocente | 
@ankhinephes : c'est le moins qu'on puisse dire.
avatar SimonBHB | 
Très bon article merci
avatar Bcpst | 
"elle est aujourd'hui en grande partie recouverte d'espaces appartenant à Apple. En comptant le nouveau campus, qui devrait sortir de terre d'ici 2015, Apple possède 242 000 mètres carrés de bâti à Cupertino." La superficie de Cupertino est de 28,3 km2 (wikipedia). Apple possede donc une "grosse partie" de cupertino inferieure a 1%, ce qui n'est quand meme pas beaucoup surtout quand on voit la "gueule" de la ville...
avatar Anthony Nelzin-Santos | 
@Bcpst : bâti / terrain. Tu prends le quart nord-est de Cupertino, tu es chez Apple : beaucoup de bureaux, mais encore plus de parkings et d'autres espaces qui ne sont pas comptés dans cette superficie.
avatar rom54 | 
La reussite d'Apple c'est surtout d'avoir su garder les pieds sur terre et de ne pas voir fait comme les autres en devenant une entreprise financière vivant de la speculation sur sa cotation... (ou alors il faut faire comme Microsoft et ne garder l'activité informatique que dans l'objectif monopolistique et pour éviter d'être traite comme une entreprise purement financière) L'activité d'Apple et sa seule (vraie) source de revenus c'est son coeur de metier: développer, produire et vendre des materiels(et logiciel) informatique... Le resultat et la! Et les autres entreprises du secteurs feraient bien de faire pareil. Parmi divers risques:"La fluctuation des devises" Certes une entreprise dont les benefices sont lies a la vente a l'international est dépendante du cours des devises. Mais cela peut etre autant en negatif qu'en positif. De plus si la production est multilocalisee (et non pas concentree) alors les impacts sont bien plus faibles. De plus l'erreur est de parler de la sous-evaluation du yuan: c'est le dollars qui est sur-evalue par rapport a sa valeur reelle (taux d'endettement record de l'Amérique et productivité nulle)... Et comme les choses evoluent, il faut que les entreprises comme Apple commencent a se poser la question de la perspective de vendre (et d'espérer des bénéfices) depuis un pays aussi surendette (que les USA)...
avatar Steeve J. | 
Donc on peut dire BRAVO Apple !!! Elle a réussit a passer en quelques mois les deux plus gros soucis que les actionnaires se fesaient : la passassion de pouvoir de Steve Jobs a Tim Cook et surtout le décès de Steve Jobs. Maintenant on va voir la suite même si je suis très confiant pour l'avenir car l'âme de son fondateur n'est pas près de s'envoler de Cupertino !!!. Et surtout quand on repense à tout le chemin parcouru : c'était pas gagné d'avance.
avatar mistik | 
Très bon article. Je préfère les pommes aux abricots même ceux de Cupertino !
avatar Average Joe | 
Tiens j'ignorais que Apple avait encore des centres de production (enfin, d'assemblage) en Californie et en Irlande. Que fabrique-t-on encore en Irlande, d'ailleurs, maintenant que les XServe n'existent plus ?
avatar lmouillart | 
@Average Joe toutes les machines à destination de l'Europe sont assemblés la bas. Les laptop, imac, et mac pro sont en BTO donc on ne peut pas les délocaliser en chine.
avatar ssssteffff | 
@lmouillart, en es-tu sûr ? Mes deux MacBook (un 13" unibody et un 13" blanc) commandés ces 2/3 dernières années sont tous les deux partis de Chine (cf. suivi UPS).
avatar Average Joe | 
j'imagine que imouillart parlait des machines customisées. C'est évident que tout est produit en Chine, au moins en pièces détachées, quitte à être ensuite assemblées à Cork ou Elk Grove, auquel cas cela peut ne pas être mentionné sur le carton. C'est le monde à l'envers par rapport à l'industrie il y a quelques années.

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