Brevets : anecdotes autour d'Apple

Florian Innocente |
Dans un article sur le système de brevets américains et les tourments judiciaires qu'il entraine aujourd'hui dans l'industrie high-tech, le New York Times s'appuie à plusieurs reprises sur des exemples ou anecdotes liés à Apple.

Vlingo
Avant toute chose, le quotidien raconte l'amère expérience de Michael Phillips, cofondateur de Vlingo et inventeur de l'assistant vocal du même nom. Fort de trente années d'expérience dans ce domaine, il était parvenu à éveiller l'intérêt d'Apple et de Google en 2006 puis à nouer un partenariat avec Siri, société créée en 2007 puis achetée par Apple en 2010.



En 2008, Nuance, par la voix de son PDG Paul Ricci, menaça Vlingo d'attaques en justice pour violations de brevets. L'ultimatum était simple, pour se prémunir de toute attaque, Michael Phillips devait vendre Vlingo à Nuance.

Devant le refus de Phillips, Nuance déposa une première plainte, et cinq autres allaient suivre. Cet épisode fit s'éloigner Apple et Google, Siri abandonna son partenariat au profit de Nuance et Michael Phillips dût investir en frais de justice les millions de dollars récoltés initialement pour sa R&D.

Vlingo sortit gagnant du premier procès, mais l'affaire lui avait coûté la bagatelle 3 millions de dollars, entre les frais de justice et l'acquisition de brevets pour se défendre et contre-attaquer. Au final, Vlingo accepta de se vendre à Nuance. Michael Phillips finit par aller travailler pour Nuance, mais pour quelques mois seulement, avant de s'en aller et de tenter aujourd'hui de se relancer dans un domaine qui ne soit pas pollué par les batailles de brevets.

Apple
L'article du New York Times fait remonter la volonté d'Apple, sous la seconde période Jobs, de défendre bec et ongles sa propriété intellectuelle à une défaite cinglante.

À l'été 2006, six mois avant l'annonce de l'iPhone, Apple était parvenue à un accord avec Creative Technology, en lui payant 100 millions de dollars pour un brevet très général sur les baladeurs MP3. Jobs, dans le communiqué de presse, n'avait pas caché son mécontentement, écrivant que Creative avait eu « beaucoup de chance » avec ce vieux brevet.

Le patron d'Apple réunit alors ses principaux lieutenants et, évoquant l'iPhone, leur fit part de sa volonté de le breveter des pieds à la tête. Il n'en a d'ailleurs pas fait mystère lors de la présentation du téléphone, en prévenant clairement que cet appareil était bardé de technologies brevetées. Cela figurait quasiment comme l'une de ses grandes caractéristiques.



Nancy R. Heinen, l'ancienne responsable juridique d'Apple jusqu'en 2006, s'en souvient ainsi : « Sa position [Steve Jobs] était que si quelqu'un chez Apple pouvait rêver de quelque chose, alors nous devions faire une demande de brevet, parce que même si nous n'allions jamais le réaliser, c'était un outil de défense ».

Dès lors, sur un rythme mensuel, les ingénieurs d'Apple venaient présenter leurs inventions et idées à des avocats spécialisés en propriété intellectuelle. L'une de ces sessions est racontée par un participant resté anonyme.

Un ingénieur proposa un système pour étudier les préférences d'un utilisateur surfant sur le Web. « Déjà breveté » répondit l'un des trois avocats. Deux réponses identiques furent données, au sujet de petites modifications apportées à des logiciels d'Apple.

Pour autant, raconte l'un de ces anciens avocats d'Apple, « Même si nous savions que ce ne serait pas approuvé, nous déposions la demande de toute façon. À tout le moins, cela empêcherait une autre société de déposer l'idée ».

Au bout d'une douzaine d'autres inventions potentiellement brevetables, un ingénieur présent exprima son refus de participer plus avant à cette réunion. Il estimait qu'une entreprise ne devrait pas avoir la propriété de concepts logiciels de base.

Aux États-Unis, poursuit le NYT, l'année 2011 a vu le dépôt de 540 000 brevets informatiques ou liés à ce domaine. Google s'est vu accorder 2 700 brevets en 12 ans, Microsoft 21 000, et 4 100 pour Apple.

Si l'on parle souvent des attaques d'Apple en direction d'une poignée de ses concurrents (lesquels lui rendent volontiers la pareille), ce sont environ 135 attaques qu'a subies la Pomme depuis 2006. Notamment de patents trolls désireux de monnayer leurs stocks de brevets, des idées qui généralement ne se sont jamais matérialisées en produits.

L'article revient aussi sur le fameux "brevet Siri" (n°8 086 604, ou plus prosaïquement, brevet de recherche universelle), qu'Apple a pu utiliser avec succès contre Samsung et par extension, Android. (lire Samsung met à jour le Galaxy S III pour y retirer la recherche universelle).

Apple a soumis pas moins de 10 fois ce brevet qui définit une méthode pour lancer une recherche en sollicitant plusieurs sources d'informations simultanément. Proposé avant que n'existent l'iPhone et Siri, Apple en a progressivement affiné les détails et le cadre d'application avant qu'il soit finalement accordé.

Pour un expert interrogé sur les différentes itérations, la substance de l'invention n'a guère évolué, mais l'obstination a fini par payer auprès d'un organisme confronté à une masse toujours en expansion de documents à analyser dans des délais de quelques jours seulement.

Les opinions sur la manière dont fonctionne le système des brevets sont l'occasion d'opinions tranchées, mais les premiers à en souffrir sont les start-ups estiment certaines des personnes interrogées « C'est là que naît le progrès, si vous passez tout votre temps au tribunal, vous ne créerez pas grand-chose » regrette Michael Phillips.

Sur le même sujet :
- Brevets logiciels : origines d'une folie industrielle

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avatar @MathieuChabod | 
D'un côté c'est dommage pour les techno non utilisées, de l'autre se ferait-ont à leur place ? Une idée peut servir plus tard ... Débat sans fin.
avatar Ast2001 | 
Il me semble avoir lu aujourd'hui des news indiquant qu'Apple et Google avec maintenant un budget 'brevet' (dépôts et procès) plus important que leur budget R&D. Cela fait réfléchir. Surtout s'agissant de brevets logiciels (qui sont en train d'ailleurs de revenir d'actualité à la commission Européenne :-( ).
avatar RickDeckard | 
"Les opinions sur la manière dont fonctionne le système des brevets sont l'occasion d'opinions tranchées, mais les premiers à en souffrir sont les start-ups estiment certaines des personnes interrogées « C'est là que naît le progrès, si vous passez tout votre temps au tribunal, vous ne créerez pas grand-chose » regrette Michael Phillips." Dans le système actuel, c'est exactement ça. La réelle capacité d'innovation se limite maintenant aux mains des entreprises ayant le plus gros département juridique. Une start-up qui démarre maintenant a dès le départ une épée de Damoclès sur la tête, celle de se faire bouffer par une world company tatillonne qui a réussi, fort de son budget brevet illimité, à faire breveter des trucs absurdes tels que des éléments d'interface qui existe depuis que l'informatique existe, par exemple. Pour moi, ce ne sont clairement pas des anecdotes, c'est bien plus grave.
avatar Immacule | 
« Même si nous savions que ce ne serait pas approuvé, nous déposions la demande de toute façon. À tout le moins, cela empêcherait une autre société de déposer l'idée ». Euh ... c'est quoi la difference avec un patent troll la ? Bel aveux, bien revelateur de l'etat d'esprit de l'entreprise !
avatar Domsou | 
@Immacule : « nous devions faire une demande de brevet, parce que même si nous n'allions jamais le réaliser, c'était un outil de défense ». On voit bien l'idée en tête : défense.
avatar MrFloyd | 
Je ne sais pas si on peut en vouloir à Apple - ou à toute autre entreprise - de jouer le jeu auquel elle est confrontée. C'est Darwinien : mange ou sois mangé. Ce qui est regrettable c'est cette folie sur les brevets logiciels. Tout à fait d'accord avec les commentaires : ça bouffe les start-ups et c'est une forme d'attaque et non de défense. Je parle sous contrôle des plus spécialistes que moi : Le système français était plus protectionniste (droits d'auteur + protection des procédés et non des logiciels) jusqu'à ce que le débat devienne incontournablement multinational, non ?
avatar liocec | 
Le gros souci c'est qu'une PME ne peut pas se défendre contre une attaque d'une grosse société qui viendrait copier ouvertement son brevet. Ill n'y a pas de commission de protection gratuite, du coup déposer un brevet, les plans et les explications associés, c'est prendre le risque de se faire copier, à contrario d'une enveloppe Soleau qui protège en cachant l'idée, mais uniquement valide en France malheureusement.
avatar PA5CAL | 
@ RickDeckard : "... celle de se faire bouffer par une world company tatillonne qui a réussi, fort de son budget brevet illimité, à faire breveter ..." C'est même pire que ça. Même sans avoir déposé de brevet, les grosses boîtes peuvent intenter des procès longs et coûteux contre de petites entreprises, et parvenir (y compris en perdant) à les ruiner afin de les anéantir et/ou de récupérer leurs droits de propriété intellectuelle. L'article cite le cas de Vlingo contre Nuance, qui a dû se faire racheter par son adversaire après avoir gagné. A une époque, on a également parlé des nombreuses entreprises qui intéressaient ou faisaient de l'ombre à Micorsoft, et qui ont succombé au terrorisme juridique de la firme.
avatar jipeca | 
Heu... artticle légèrement... (!) tronqué et un peu...(!) partisan non !? Extrait du NYT: (source http://www.nytimes.com/2012/10/08/technology/patent-wars-among-tech-giants-can-stifle-competition.html?_r=2&emc=na&) ... Vlingo was a tiny upstart on this battlefield, but as recent litigation involving Apple and Samsung shows, technology giants have also waged wars among themselves. In the smartphone industry alone, according to a Stanford University analysis, as much as $20 billion was spent on patent litigation and patent purchases in the last two years — an amount equal to eight Mars rover missions. Last year, for the first time, spending by Apple and Google on patent lawsuits and unusually big-dollar patent purchases exceeded spending on research and development of new products, according to public filings. ... Almost every major technology company is involved in ongoing patent battles, but the most significant player is Apple, industry executives say, because of its influence and the size of its claims: in August in California, the company won a $1 billion patent infringement judgment against Samsung. Former Apple employees say senior executives made a deliberate decision over the last decade, after Apple was a victim of patent attacks, to use patents as leverage against competitors to the iPhone, the company’s biggest source of profits. ... Apple collects more than $1 billion a week in iPhone and related sales. “I am skeptical whether patents are needed in the software industry to provide adequate incentives,” Judge Posner wrote in an e-mail. One consequence of all this litigation, policy makers and academics say, is that patent disputes are suffocating the culture of start-ups that has long fueled job growth and technological innovation. ... Apple collects more than $1 billion a week in iPhone and related sales. A trop vouloir raconter ce qu'on veux faire entendre... on finit par dire n'importe quoi.

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