Jonathan Ive devient Chevalier et raconte son métier

Florian Innocente |


C'est aujourd'hui que Jonathan Ive a été élevé au rang de Chevalier de l'Ordre de l'Empire Britannique. Une distinction, dont il avait appris l'annonce en décembre dernier, avec « humilité ». La BBC a consacré un reportage vidéo à cette cérémonie où l'on voit (Sir) Jonathan Ive à Buckingham Palace en grande discussion (avec force mimiques) avec la Princess Anne qui lui remet ses insignes. Il a plus tard expliqué qu'ils avaient discuté voyages en Angleterre (pour lui) et iPad (pour elle).



Avant cela, dans une interview au site The Telegraph, le responsable du design d'Apple est revenu sur la genèse de sa passion pour son métier, sur les principes qui guident les travaux de son équipe et les changements intervenus depuis la disparition de Steve Jobs (aucun…).

Ive revendique deux héritages, celui de son père d'abord. Un enseignant et artisan doué, habile à travailler des ouvrages d'argenterie dont l'observation l'amena progressivement dans cette voie de la conception de produits «J'adorais dessiner, mais toujours au service d'une idée. Je dessinais tout le temps et j'aimais fabriquer des choses.» Ensuite, un héritage reçu d'une tradition de son pays «Dans chaque collège j'ai observé cette remarquable tradition anglaise pour la création et la fabrication. ll est important de se souvenir que l'Angleterre a été le premier pays à s'industrialiser, c'est un argument fort, je pense, pour dire que c'est ici qu'est née ma profession».

L'article rappelle quelques traits de caractère connus de Jonathan Ive, sa propension à parler d'un travail collectif s'agissant des produits d'Apple plutôt que de s'en attribuer les seuls mérites. Son goût pour les détails, même invisibles aux yeux de l'utilisateur : «Aller jusqu'à fignoler le fond du tiroir, parce qu'[il nous] apparaît que c'est la bonne chose à faire. Nous essayons de développer des produits qui semblent en quelque sorte inévitables. Cela vous laisse avec le sentiment que c'est la seule solution qui a du sens», explique-t-il «Nos produits sont des outils et il ne s'agit pas que leur design se mette en travers de leur utilisation. Nous essayons d'apporter de la simplicité et de la clarté, nous essayons de mettre de l'ordre dans un produit. Je crois qu'inconsciemment, les gens sont extrêmement exigeants. Je pense qu'ils savent prendre la mesure du soin qui a été apporté.»

Cette attention accordée à la fabrication pouvait être antinomique d'une société se voulant industrielle et développant une production de masse, explique le designer. Pour autant, quantité et qualité peuvent aller de concert «Le soin apporté à un produit ne doit pas être motivé par le nombre que vous allez en produire».

La fabrication de ce produit doit être le reflet d'un ensemble de valeurs et ne pas être dictée par des impératifs de calendrier ou de concurrence «Nous essayons très sincèrement de faire les meilleurs produits que nous pouvons pour les gens».



À la base, il s'agit de donner une consistance à ce qui n'est parfois qu'une étincelle : «Alors que nous sommes assis ici, en ce moment, l'idée n'existe pas. Et puis vous pouvez avoir cette pensée à peine formée, et tout à coup quelque chose existe bel et bien. Alors que cette pensée, qui est si timide et si fragile prend la forme d'une discussion dans laquelle vous essayez de donner un corps, par les mots, à cette pensée. En règle générale ce qui se passe, c'est une conversation entre deux personnes. Et puis vous commencez à dessiner pour essayer de décrire et de développer cette idée fragile. Puis, une chose remarquable se produit au moment où vous fabriquez le premier objet, ce moment où vous donnez réellement une forme et une dimension à l'idée. Dans l'ensemble du processus, c'est le vrai moment où la transition est la plus importante et où soudain vous pouvez associer plusieurs personnes. Ça suscite de l'intérêt et cela peut galvaniser un groupe de personnes, ce qui est très fort».

À la question de savoir, lequel des nombreux matériels sortis de son labo il est le plus fier, il répond de manière assez attendue : «C'est vraiment très difficile [de choisir]. Notamment parce que l'on a toujours l'impression que ce sur quoi on travaille aujourd'hui est la chose la plus aboutie et la plus importante qu'on ait faite, et donc je dirai qu'il s'agit de ce sur quoi nous planchons actuellement, et bien sûr je ne peux rien vous dire à ce sujet».

Il parle ensuite du terme "design" et de sa signification «C'est un mot qui a fini par vouloir dire tellement de choses qu'il ne veut plus rien dire. Nous ne parlons pas véritablement de design, nous parlons de développer des idées et de fabriquer des produits […] Notre objectif est d'essayer d'apporter de l'ordre et de la simplicité à des problèmes incroyablement complexes, de manière à ce que vous ne vous rendiez pas compte de la solution offerte, que vous n'ayez pas conscience de la difficulté qui se posait et qui fut finalement réglée».

«La simplicité ne signifie pas l'absence de désordre, celle-ci en est simplement une conséquence. La simplicité désigne essentiellement l'ambition et la situation d'un objet et d'un produit. L'absence de désordre signifie simplement qu'il n'y a pas de fouillis. Mais ce n'est pas ça la simplicité. La quête de la simplicité doit s'immiscer à chaque niveau du processus. C'est véritablement fondamental».



Le journaliste a alors abordé le goût d'Apple depuis quelque temps pour le skeuomorphisme dans l'interface de quelques logiciels (comme iCal, Carnet d'Adresses ou Localiser mes amis). Il se traduit par des effets de matières très réalistes, imitations de cuir ou de bois, de coutures… À cette évocation, le designer a botté en touche, comme le raconte le journaliste :
Ive fait une petite grimace, mais c'est un signe de sympathie plutôt qu'une suggestion qu'il n'aime pas ce genre de choses. Du moins c'est ainsi que je l'ai interprété. Il refuse de se laisser entraîner sur le sujet, offrant une réponse diplomatique : "Mon objectif est avant toute chose de travailler avec les autres équipes sur les idées de produits et de concevoir le hardware, c'est cela notre travail et notre responsabilité. En ce qui concerne ce dont vous me parlez, je n'y suis pas vraiment associé.


On en déduira ce que l'on veut sur son appétence pour ces ornements graphiques, lui qui verse plutôt dans la retenue sur les lignes et les formes…



La liste des succès rencontrés par les produits d'Apple ne doit pas faire oublier qu'ils sont nés après moult incertitudes quant à leur faisabilité : «Pour une bonne partie d'un projet, il n'est pas toujours très évident de savoir si nous allons effectivement résoudre le problème. Pendant une période non négligeable, nous ne savons pas s'il va falloir laisser tomber ou non une idée. Et ce fut le cas autant avec l'iPod, l'iPhone que l'iPad».

Et de poursuivre : «Et il y a eu des moments où nous avons travaillé sur un projet, nous en sommes arrivés à un stade très avancé, nous avions les solutions et là vous avez un sentiment d'angoisse, parce que vous essayez d'exprimer des valeurs pour vous-même et pour les autres de manière un peu trop prononcée. Ce qui veut peut-être dire que ce que vous faites n'est pas assez bon. Dans un certain nombre d'occasions, nous avons fait preuve d'honnêteté envers nous-mêmes et nous nous sommes dit "ce n'est pas assez bon, il faut qu'on s'arrête. Et c'est très difficile.» Malheureusement, Ive n'a pas illustré ces explications par des exemples concrets, mais il a insisté sur le fait que de savoir dire non ou stopper des projets représentait une part importante de son travail.

Il a également abordé la répartition des tâches entre chacun, parlant d'un travail de groupe où les disciplines s'entremêlent : «Alors qu'on est réunis pour discuter d'un produit, vous auriez du mal à deviner qui est l'ingénieur spécialisé en électrotechnique, le mécanicien ou le designer industriel». Puis il explique aussi : «L'une des choses particulièrement précieuses dans notre travail chez Apple, c'est que beaucoup d'entre nous dans l'équipe de design ont travaillé ensemble depuis au moins 15 ans et c'est quelque chose de merveilleux que ce processus d'apprentissage en groupe. Et l'une des choses fondamentales, est de faire des erreurs ensemble. On n'apprend jamais mieux qu'en essayant beaucoup de choses et en échouant souvent».



Quant à la question de savoir si les choses ont changé depuis la disparition de Steve Jobs et son remplacement par Tim Cook, Ive répond par la négative : «Nous concevons les produits exactement de la même manière qu'il y a deux ans, cinq ans, dix ans. Ce n'est pas seulement notre petit groupe qui fonctionne à l'identique, il y a tout un groupe autour de nous qui procède ainsi». L'équipe est une valeur et un atout sur lequel Ive compte pour assurer la pérennité d'Apple : «Nous sommes devenus plutôt accro à l'apprentissage au sein d'un groupe de personnes, à essayer à nous tous de résoudre des problèmes très compliqués. Et nous en récoltons une très grande satisfaction à procéder ainsi. Tout particulièrement lorsque vous êtes assis dans un avion et qu'il s'avère que la majorité des gens sont en train d'utiliser quelque chose sur lequel vous avez souffert collectivement. C'est une belle récompense».



Sur le même sujet :
- Jonathan Ive et la philosophie du design chez Apple
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avatar Rigat0n | 
Ah enfin, autre chose que de la br******** ! J'adore la plupart des produits d'Ive mais force est de constater que certains manque un peu de l'ergonomie légendaire d'Apple et que les dernières directions prises par Apple en matière d'interface (regardez-moi ce Carnet d'Adresses) ne sont pas brillantes. Pourtant, à chacune de ses interviews décrivait son travail comme une sorte d'intervention divine, alliant la beauté, la simplicité, l'ergonomie, le truc parfait, quoi... Suffit de regarder une vidéo de présentation de l'iPad pour voir Ive se jeter des fleurs à grands renforts de "amazing". Bref, tout ça pour dire que j'ai démarré la lecture de cet article assez blasé mais que j'ai vite dû me rendre à l'évidence : ici, il dit des choses très justes, en faisant la part belle au collectif et en renonçant à défendre les interfaces douteuses de quelques applis Apple, ce qui est bienvenue. Merci, Mr Ive.
avatar Steeve J. | 
Respect Sir !
avatar Anonyme (non vérifié) | 
Ça va être plus compliqué de tenir le stylet de sa cintiq avec une épée…
avatar BenUp | 
Les boules même pas d'armure !!!
avatar iNabil | 
Je suis satisfait de l'ergonomie du carnet d'adresse surtout qu'avant il ne ressemblait vraiment à rien... Je crois qu'il s'occupe uniquement du design des machines, en tout cas vu le boulot qu'il fait je suis la aussi tres content
avatar YARK | 
Bah chez nous, on a Didier Barbelivien et ...Steve Ballmer (français??? Star de la vente liée???) qui ont été faits Chevaliers de la Légion d'Honneur par KékéRolex. Autant dire que la crédibilité d'un tel fait ait un certain plomb dans l'aile pour nous autres franchouillards...
avatar pat3 | 
Faut arrêter avec le carnet d'adresse… La métaphore du bureau aussi, c'était du skeuomorphisme avant l'heure, et toutes les icônes du bureau s'ingénient depuis le début à singer les objets du réel. Là, c'est un simple effet de texture qui fait scandale… Mais avez vous songé à ce que cet effet préparait la déclinaison tactile, notamment sur iPad, qui reprend de nombreux effets pseudo-réaliste pour renforcer l'impression de réel du tactile? La visée est le remplacement du papier, et lui ressembler n'est qu'une transition avant de le faire disparaître… quant à Ive, plutôt peu bavard, c'est intéressant de voir qu'il ne parle que de travail d'équipe, de conception expérimentale avec essai et erreur… de sueur, quoi. @rigat0n étonnant que tu puisses encore confondre publicité (forcément exagératrice) et description. C'est d'avoir les objets dans les mains et d'en faire usage qui a assis la valeur des ibidules, clairement; la publicité est souvent arrivée bien après que les objets aient été dans les mains des usagers.
avatar Lucieaus | 
Fais moi mal, Jony Jony Jony !
avatar jeffindabox | 
Et il ne parle pas de son métier de faussaire ?
avatar Laurent93190 | 
Bof. C'est d'un autre temps et je ne trouve pas que ça colle à la philosophie Apple. Mais bon pour certains la particule c'est se donner plus d'importance.
avatar Marksanders | 
Pourquoi il est à genoux?la vielle ce prend t'elle pour son supérieur ?des illuminatis voilà ce que c'est
avatar béber1 | 
pat3 pas tout à fait, il y a eu en effet des vidéos lors des keynotes où l'on voyait se succéder plusieurs personnalités de la Pomme -dont Ives- vanter, chacun sous leurs angles de compétences, les produits présentés lors de la keynote. Mais comme tu le dis, cela reste des messages de com promotionnelles faites pour lancer un produit, et il faudrait être vraiment crédule ou un inconditionnel irrécupérable pour prendre au 1er degré ce genre de message. Ce qui serait étonnant, ce serait de voir des membre des équipes faisant part de leurs doute et réticences: -"Ouais euh, on lance aujourd'hui ce produit que d'aucun disent extraordinaire mais que pour ma part je sens pas trop..." buzz assuré
avatar sopcaja | 
Félicitation Ive , il le mérite .. Quand on regarde cette vidéo [b] http://www.youtube.com/watch?v=ahtHKCQUD2k&feature=related [/b] le MacBook Pro semble extrêmement simple mais Ive et ses collègues et les ingénieurs qui ont créer un processus de construction ont dû travailler comme des fous. Dieter Rams dit juste quand il déclare qu'un bon design est un design qui se laisse oublier. Un design qui doit être intuitif et logique (contrairement au processus permettant de l'atteindre qui peut être extrêmement complexe). Aujourd'hui, même le métier de programmeur/architecte tend vers la même chose. Un bon code est un code simple avec une séparation des "briques logicielles" (classes / modules / fonctions) qui paraît logique. Cette séparation peut cependant être par contre complexe à découvrir.
avatar sopcaja | 
En plus ça permet à la reine de faire de la pub pour les écoles britanniques, et de dire "regarder , si le design chez Apple fait l'unanimité , c'est grâce à nous " :-D
avatar pecos | 
Hem... Bravo M. Ives. Pardon, "Sir" Ives. Cela dit, je commence à comprendre qu'il y ait de moins en moins de choses qui dépassent, sur les Macs. En gros ça ressemble à ce qu'il y a (pas) sur le dessus de sa tête... :D (note à l'attention des chauves : je suis déjà très très loin.)
avatar Welcomex | 
"La fabrication de ce produit doit être le reflet d'un ensemble de valeurs et ne pas être dictée par des impératifs de calendrier ou de concurrence " Il a tous dis...Apple ne suis personne,il a tous simplement son propre calendrier,tout en essayant de faire le meilleur produit pour les utilisateurs...
avatar BitNic | 
Ils auraient pu le faire Chevalier de la Table Ronde... Le Prince de La P'Tite Mousse... Hic !
avatar zack101 | 
@welcomex : that's right!!! Sir Ive, the one and only..!! Jobs legacy baby!
avatar Rigat0n | 
@pat3 : J'ai donné cet exemple parce que j'avais la flemme de retrouver une interview où Ive est pédant. Et parfois, il l'est, et quand tu lis ce genre d'interview devant un iMac trop bas car impossible à régler et avec un beau reflet dans la gueule, ça reste dans la tête. Et je vois pas la différence de situation entre ce qu'il dit là et une autre interview. La preuve qu'on peut donner une bonne image de sa société sans s'autocongratuler.
avatar Anonyme (non vérifié) | 
«La simplicité ne signifie pas l'absence de désordre, celle-ci en est simplement une conséquence. La simplicité désigne essentiellement l'ambition et la situation d'un objet et d'un produit. L'absence de désordre signifie simplement qu'il n'y a pas de fouillis. Mais ce n'est pas ça la simplicité. La quête de la simplicité doit s'immiscer à chaque niveau du processus. C'est véritablement fondamental». pff..la destructuration temporelle de l'œuvre..blabalbala..c'est moi ou il se la pète un peu avec des phrases à la con?
avatar Kahouane | 
[quote]Nos produits sont des outils et il ne s'agit pas que leur design se mette en travers de leur utilisation.[/quote] Comme les écrans miroirs, le tout en un indémontable ou le clavier bluetooth sans pavé numérique j'imagine.....
avatar - B'n - | 
@ Kahouane : j'allait citer et écrire exactement la même chose.
avatar RDBILL | 
Nous essayons très sincèrement de faire les meilleurs produits que nous pouvons pour les gens»... Ben l'iPad serait un bien meilleur produit pour les gens si, par exemple, Pages ou Keynote pouvaient enregistrer des fichiers dans DropBox...
avatar Pierre H | 
C'est moi ou l'avant dernière photo (avec les gars autour d'une table qui inspectent le dessous d'un iPad) est super étrange ? Il y a un blob chevelu à gauche de l'image, comme un mauvais ajout...
avatar Florian Innocente | 
[b] Ben l'iPad serait un bien meilleur produit pour les gens si, par exemple, Pages ou Keynote pouvaient enregistrer des fichiers dans DropBox... [/b] Chacun son domaine, le hardware pour lui, le software pour les autres, il le dit à mots couverts d'ailleurs. [b] Pierre H ; C'est moi ou l'avant dernière photo (avec les gars autour d'une table qui inspectent le dessous d'un iPad) est super étrange [/b] C'est toi, j'ai juste fait une capture de cette vidéo (à gauche sur cette page). http://www.apple.com/jobs/fr/corporate.html C'est un mec qui se penche devant la caméra.
avatar J.C | 
Ah, ces cérémonies... Ca me rend nostalgique de la guillotine...
avatar Vivid (non vérifié) | 
>J.C ; moi aussi Et je reste toujours aussi froid à ces apparats que la forme humaine aime tant réalisé, apparats (canne, remise de medaille....) faisant vivre tout une population ne 'produisant' que du superficiel vide de toute utilité, si ce n'est que pour ce gratifier d'être forcément les meilleurs... Et l'individu peut-être superierement doué, il reste néanmoins aussi couillon d'accepté d'y participer. On peut y voir ici la fable de la Fontaine: le corbeau et le renard. con a bouffer du son !(ici le son ce sont les récompenses)

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