Labo de Nisus Writer Express

Vincent Absous |
Sous Mac OS X, ce ne sont plus les traitements de texte qui manquent désormais. Au contraire. L'offre est pléthorique : Mellel, Ragtime, Word, OpenOffice.org, etc., l'utilisateur n'a plus que l'embarras du choix. Nombreux sont pourtant ceux qui attendaient avec impatience le portage sous l'Unix d'Apple de Nisus Writer, un traitement de texte très réputé qui faisait (et fait encore) les délices d'un très grand nombre sous Mac OS Classic. Disons-le tout de suite, nous n'utilisions pas Nisus Writer alors, nous n'en parlerons pas plus. Toujours est-il qu'après des mois d'attente et de retard, Nisus a livré une version de son traitement de texte, capable de fonctionner nativement sous Mac OS X. Il ne s'agit pas vraiment d'une mise à niveau, mais plutôt d'une refonte du programme, qui pour l'occasion se voit adjoindre un suffixe, "Express", qui laisse assez entendre qu'il ne reprend que l'essentiel de son aîné. C'est d'ailleurs ce que lui reprochent un grand nombre d'utilisateurs habitués à Nisus Writer 6.5 (voir à ce sujet le test du même logiciel par Anne Cuneo).

Découverte de Nisus Writer Express




Nisus Writer Express est un beau logiciel. Le programme s'inscrit pleinement dans la mode Aqua et semble respecter l'essentiel des préceptes de la Guideline d'Apple. L'interface est claire, sobre. Une barre d'outils, personnalisable évidemment, une fenêtre-tiroir qu'on peut escamoter, qu'on peut aussi personnaliser et qui par défaut propose trois comportements : formatage, écriture et sections. L'utilisateur sélectionnera l'une ou l'autre de ces possibilités, sachant que le tiroir qui sera le plus souvent ouvert sera celui permettant la mise en forme du document.

Les éléments de l'interface sont bien dessinés, bien conçus également. On apprécie par exemple les curseurs horizontaux pour modifier un élément, ce qui permet de se rendre compte instantanément du résultat (il suffit d'essayer avec la taille des caractères pour voir combien une telle possibilité peut être précieuse). Chaque palette composant un tiroir peut être enlevée (en cliquant sur la petite croix à droite), fermée (en cliquant sur le petit triangle bien connu, ou tout simplement sur la barre de titre de la palette) ou déplacée (par simple glisser-déposer). On peut aussi sortir une palette du tiroir et la laisser flotter, en la glissant tout simplement de ce tiroir. Pour la replacer automatiquement dedans, il suffira de cliquer sur la petite croix. On peut aussi créer de nouveaux tiroirs (appelés "Groups" dans le logiciel). On y glissera les palettes que l'on veut depuis la "Bibliothèque des palettes" (accessible depuis le menu Window). On peut encore renommer les palettes, cela permet au moins de franciser quelque peu l'interface. On regrette toutefois que le nombre de palettes ouvertes ne sache pas s'ajuster en fonction de la taille du tiroir (comme sous Word ou Mellel).

Pour le reste, on soulignera la relative simplicité de la barre d'outils, à mille lieues de celle d'un Word. Quelques icônes essentielles et attendues la composent : impression, copier-coller, annulation, etc. C'est là qu'on pourra choisir de visualiser le document sur lequel on travaille en une vue "Page" ou "Draft", c'est-à-dire dans une vue très proche du rendu final sur la page imprimée ou dans une vue plus propice à la frappe au kilomètre.



Par défaut, au lancement du logiciel, c'est le Document Manager qui s'affiche. Ce module gère pour l'utilisateur les fichiers. Dans les faits, ce n'est pas très pratique. En effet, si on le laisse faire, le Document Manager place tous les fichiers au même endroit. Or, le plus souvent, chacun a sa propre organisation de ses documents. Sans se poser ou sans poser de questions, le Document Manager enregistre le document dans un répertoire "Nisus documents", dans le dossier utilisateur. On aura vite fait de décocher "Show the Document Manager" au lancement dans les préférences du logiciel et on aura aussi vite fait d'interdire à NWE d'utiliser même ce gestionnaire.

Nisus au fil des jours

Les "+"
Disons-le d'emblée, Nisus Writer Express est bien plus léger que Word. Autant, sur notre machine, nous avons toujours eu la désagréable sensation que le traitement de texte de Microsoft patinait dès que le document atteignait une certaine taille, autant, NWE s'avère véloce. Le texte complet des Journaux de Marivaux (298 pages, 1,1 Mo) est ouvert relativement rapidement et le parcours de ses différentes pages est bien plus rapide qu'avec le mastodonte de Redmond.

De même, la recherche des occurrences d'un terme est assez bien conçue. La combinaison Pomme+F ouvre un nouveau tiroir qui lui est dédié. C'est bien plus clair que dans de nombreux autres traitements de texte. La simple recherche est d'une redoutable efficacité. Dans le même document, il n'a fallu que quelques toutes petites secondes pour parcourir l'ensemble des 298 pages et établir le relevé exhaustif des trente-huit occurrences du mot "spectateur". Il ne lui aura pas fallu trop longtemps pour faire la même chose avec cette fois le pronom personnel "je" (4 782 occurrences). Surtout, ce qu'on apprécie grandement, c'est qu'une fenêtre dresse la liste complète de ces occurrences, plaçant alors le terme recherché dans un court extrait. Un clic sur l'une d'elles, et la fenêtre principale du document affiche immédiatement la page et le passage où se trouve la chaîne de caractères recherchée. La même chose se produit si la recherche se fait en vue d'un remplacement ultérieur : un clic sur l'occurrence et l'on peut procéder au remplacement occurrence par occurrence (on peut aussi, heureusement, "remplacer tout" d'un seul coup). Ce tiroir est bien plus pratique que ce que propose Microsoft avec Word qui surimpose une fenêtre de recherche et de résultats encombrante. Il est toutefois possible d'effectuer une recherche dans une fenêtre plutôt que dans un tiroir (il suffit de le préciser dans les préférences du logiciel).

En revanche, pas de doute, dès qu'on veut affiner la recherche, surtout dans le but de remplacer ensuite l'élément trouvé, cela se complique nettement. Il faut alors cliquer sur la petite icône, à côté de la zone de saisie de la recherche et définir des critères, malheureusement assez abscons : "AnyWord", "az", "AZ", etc., autant d'éléments qu'une pratique régulière de la recherche permet de comprendre, mais qui risquent de laisser coi le novice. Tout cela permet évidemment de trouver les termes commençant par exemple par une majuscule, ou comportant une capitale en telle ou telle position, etc. ; de rechercher aussi les caractères spéciaux, les répétitions, les chiffres, etc. Il est possible d'additionner les critères de recherche et de remplacement. En revanche, il est impossible d'effectuer une recherche ou un remplacement en spécifiant un ou plusieurs critères répondant à une contrainte liée au style. Pas moyen donc de remplacer d'un coup d'un seul toutes les chaînes de caractères auxquelles le style souligné a été appliqué par le style italique.

Nisus Writer Express est fourni avec Thesaurus, un autre logiciel, avec lequel il fonctionne pourtant de manière très intime puisqu'une des palettes du tiroir Writing donne accès directement au dictionnaire encyclopédique qui permet de découvrir des informations intéressantes sur les réalités évoquées. Si le module Thesaurus reconnaît le mot, son icône apparaît et livre un accès à ses acceptions, à ses synonymes, etc. C'est évidemment très bien, mais c'est réservé aux seuls utilisateurs anglophones.

Reconnaissons toutefois que NWE gère très bien les langues. Le logiciel a su s'appuyer sur la gestion multilingue du système. Ainsi, depuis le tiroir Writing, l'utilisateur a la possibilité de passer d'une langue à l'autre (en fonction des idiomes précisés dans les préférences). Une section, un paragraphe, une phrase, un mot du texte pourront être en anglais, un autre passage en français, un autre en chinois... À partir de là, le programme corrige l'orthographe en fonction de langue précisée. D'ailleurs, dès qu'une faute est soulignée, dans cette palette langage, apparaît une liste de corrections. Il n'est ainsi plus nécessaire de cliquer droit sur le mot. C'est une très bonne chose. De plus, il est possible de demander à Nisus de basculer également automatiquement le clavier dans la langue choisie. plus la peine de passer par les Préférences Système, ni même la Barre de menus. Tout se fait en un clin d'œil.

Le même tiroir Writing donne un accès immédiat aux statistiques du document en cours. C'est un outil très pratique, notamment pour les journalistes astreints à respecter un certain nombre de signes. NWE donne donc, dynamiquement, le nombre total de signes saisis, le nombre de mots et le nombre de paragraphes aussi.

NWE gère l'insertion des images (mais même Textedit, qu'on oublie trop souvent, le permet). En revanche, une fois l'image insérée (par glisser-déposer ou après être passé par la fenêtre de dialogue habituelle), on ne peut pas faire grand-chose d'autre que de la redimensionner. Ce n'est pas vraiment une lacune, Nisus Writer Express ne prétend pas être un programme de PAO. Un bon point : il reconnaît le format PDF, pratique quand on sait que c'est le format par défaut des captures d'écran sous Mac OS X 10.2 et 10.3.

Par ailleurs, l'éditeur s'appuie sur la reconnaissance du format .doc pour vanter son produit. Sur ce point, il ne faut pas se faire d'illusions : Nisus Writer Express ouvre très bien les documents Word qui ne contiennent que du texte. Dès que la mise en page se fait plus complexe, le résultat est forcément décevant. Un document de 80 pages contenant de nombreuses illustrations a été ouvert sans problèmes, et relativement rapidement, mais les images, pourtant placées isolément sur des lignes, n'ont pas toujours retrouvé leur place initiale. Ne parlons pas des tableaux : NWE ne les reconnaît tout simplement pas, nous en parlerons plus bas).

Passons rapidement sur la possibilité de créer des sections à l'intérieur d'un même document. La chose est connue, essentielle même dans de nombreux cas. L'utilisateur de Word ne sera pas dépaysé. Le saut de section peut être continu, peut entraîner un saut sur la page suivante ou sur la page paire/impaire suivante. Passons aussi sur la création de colonnes, sur l'édition des en-têtes et pieds de pages, sur la numérotation automatique des pages. Tout cela, NWE le propose et le fait bien. Malheureusement, il y a un certain nombre de choses que le traitement de texte ne fait pas. Et ce ne sont pas les moindres...

Les "—"

On a du mal à le croire, mais NWE ne propose pas de gestion des styles. Cela n'existe pas. Autant, le dire, on exagère à peine, cela tend à ravaler le programme au rang de simple éditeur de texte. Pas de feuille de styles, donc pas de souplesse, et une grosse, très grosse perte de temps. Autant dire qu'en production, le logiciel devient quasiment inutilisable. S'il faut appliquer un à un les attributs aux caractères et aux paragraphes, on imagine mal comment un thésard, par exemple, s'en sortira. La seule consolation qu'on aura peut-être alors est que Nisus Writer Express permet la sélection multiple et discontinue. Rares sont encore les programmes qui l'autorisent. Word, dans sa version v.X le permet, Mellel, non. Il s'avère pourtant que c'est une fonction très bien venue, mais qui ne peut véritablement pas pallier l'absence de gestion des feuilles de styles.

Pas de tableaux. NWE ne permet pas à l'utilisateur de créer des tableaux ! Là aussi, on a du mal à le croire. Certes, Nisus promet cette fonction pour une version prochaine, mais quand même ! Partant, l'utilisation régulière du programme impose à l'utilisateur de faire une croix sur la réalisation d'un certain nombre de documents.

Et ce n'est pas tout. NWE ne gère pas les notes de bas de page ou de fin de documents. Définitivement, le logiciel n'est pas (encore) pour les utilisateurs avancés, ceux qui sont appelés à rédiger des documents journalistiques, scientifiques, romanesques, etc. et qui cherchent un logiciel stable et rapide (ce qu'est NWE). Tout étudiant ou chercheur a besoin de pourvoir rejeter certaines informations en bas de page. On peut encore imaginer de se passer d'un créateur d'index ou de table des matières, on n’imagine vraiment pas de se passer de la création de notes de bas de page. On comprend bien que Nisus ait pris soin de spécifier par un suffixe (Express) que cette version d'un logiciel phare sous Mac OS Classic présentait de sérieuses lacunes.

Autre manque, bien plus anecdotique, celui d'une barre d'état qui indique très clairement où l'on se trouve dans un document. Pour savoir sur quelle page d'un document on est en train de travailler, il faut se référer à la palette "Page Zoom", palette qui se trouve par défaut en bas du tiroir "Writing" et qui n'apparaît pas systématiquement aux yeux du rédacteur. La déplacer plus haut entraînera du coup le décalage vers le bas d'une autre palette, peut-être elle aussi importante.

Conclusion

Nombreux sont ceux qui attendaient avec impatience le portage sous Mac OS X de Nisus Writer. Avec cette version Express, l'éditeur les a souvent déçus. Il manque beaucoup, beaucoup de fonctions importantes. Certes, le logiciel est certainement l'un des plus beaux traitements de texte du marché (cela a son importance), mais il ne peut rivaliser avec d'autres produits dans le cadre d'une utilisation professionnelle ou universitaire. La concurrence fait bien mieux, et parfois pour moins cher. Mellel que nous testions il y a quelques mois, propose ainsi ce qui fait encore défaut à NWE : l'écriture de droite à gauche, la gestion des tableaux, celle des styles, etc. Pour autant, le logiciel va évoluer, cela ne fait pas de doute. Les prochaines versions verront très certainement l'arrivée des fonctions qui font aujourd'hui défaut. Acheter NWE aujourd'hui, c'est faire un pari sur l'avenir. De ce fait, la note n'est qu'un instantané de l'état du logiciel aujourd'hui. Les versions 1.5, 1.9, etc., seront bien mieux notées.

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