Quarante ans. Cela fait déjà quarante ans que le petit Macintosh nous accompagne au quotidien. Quarante ans de clic, de double-clic, de Commande-C et Commande-V, de Corbeille, de menu Pomme et de petite case en à gauche pour fermer la fenêtre. Le Mac et nous, on est devenus tellement intimes qu'on en oublie qu'il y a eu un « avant », et que le petit nouveau, avec son écran en noir et blanc et sa petite souris, a réellement bouleversé le paysage informatique. La preuve avec cette revue de presse des articles du début de l'année 1984.
L'Apple 3 se morfond de son succès modeste. Lisa est handicapé par son prix prohibitif, malgré son génie incontestable. Que devait faire maman Apple ? Essayer de produire un rejeton qui allie le succès de l'Apple 2 et l'originalité de Lisa. Le nouveau-né s'appelle Macintosh. — L'Ordinateur Individuel, mars 1984
La première impression ressentie face au Macintosh, est d'avoir devant soi, autre chose qu'un micro-ordinateur ; ou plutôt, un micro-ordinateur d'un autre type. — SVM, mars 1984
La souris, pas si facile à expliquer
Il est étonnant de constater à quel point la souris avait surpris les journalistes invités à découvrir le Macintosh. Certains d'entre eux, sans doute inquiets de ne pas être pris au sérieux dans le monde informatique de l'époque, avaient d'ailleurs choisi d'écrire le terme entre guillemets. Les lecteurs découvraient donc que la « souris » était un dispositif qui remplaçait toutes les commandes informatiques conventionnelles. InfoWorld la décrivait comme « un petit ustensile posé sur le bureau et relié au Mac par un câble », tandis que Byte résumait ainsi le concept : « quand vous déplacez la souris sur une surface horizontale, le curseur se déplace dans la même direction sur l'écran. »
L'Ordinateur Individuel précisait le rôle de ce périphérique : « C'est ainsi que sont pointées les commandes, dans une sorte de menu illustré. » Golden, de son côté, ajoutait que « toutes les commandes s'effectuent uniquement par pointage de lignes de choix, au moyen de la souris à une touche, à l'intérieur des menus qui apparaissent à l'écran. » Résultat, les testeurs saluaient unanimement « un système qui ne nécessite même plus d'apprentissage. Plus de ligne de code, plus de manuel à lire. »
Même Science & Vie Micro, qui titrait pourtant « La montagne accouche d'une souris » et se montrait un brin blasé face au « fabuleux coup marketing que représente le Macintosh », devait bien reconnaître que « sans être une vraie nouveauté, la souris peut épargner tout apprentissage fastidieux aux profanes de l'informatique. » Le journaliste, comme ses confrères, n'échappait pas à l'exercice de pédagogie pour décrire le fonctionnement du nouveau périphérique : « pour donner un ordre à l'ordinateur, il suffit de placer le curseur sur un symbole (une feuille de papier, une horloge, une corbeille à papier…) ou une commande (couper, copier, coller…) et d'appuyer sur le bouton de la souris. » Seul aspect négatif, là aussi pointé par SVM : « certains trouveront prodigieusement énervant d'avoir faire sans cesse de la place, sur un bureau encombré, pour cette satané petite souris ! »
Le premier ordinateur vraiment conçu pour nous, les humains
SVM n'hésitait pas, dans son test complet de mars 1984, à enfoncer le clou : « Le dialogue par images rend insipides et laborieux les systèmes d'exploitation classiques. Cette façon de dialoguer avec l'ordinateur est bien plus facile à apprendre. » InfoWorld précisait que « les fichiers apparaissent à l'écran sous forme de petites images (appelées icônes) que les utilisateurs peuvent sélectionner en les pointant du curseur avant de cliquer sur le bouton de la souris. »
Les logiciels étaient également mis à l'honneur, en particulier MacPaint : « Nulle part cette virtuosité artistique n'est plus immédiatement évidente que dans MacPaint » assurait InfoWorld, quand SVM acquiesçait : « c'est un programme puissant, amusant, et utilisable sans clavier. Le triomphe du naturel : pour effacer une partie d'un dessin, il suffit de se servir de la souris comme d'une gomme. L'inclusion de dessins dans un texte réalisé avec MacWrite ne pose aucun problème : on appelle l'album (sorte de tiroir où l'on peut ranger provisoirement textes ou graphismes). On copie le dessin sur le texte ; enfin, on l'amène à l'endroit voulu et à la taille requise. Toutes ces opérations s'effectuent avec la seule souris. »
« C'est tout simplement trop d'un coup. Avec MacPaint, un bon artiste n'a virtuellement plus de limite. Et même un débutant peut créer un graphique tout à fait acceptable pour le travail », complétait Popular Science dans son test de mars 1984. Et InfoWorld de confirmer : « à la rédaction, des personnes qui habituellement se tiennent à l'écart des ordinateurs sont venus jouer avec le Mac, pour voir ce qu'il pouvait faire, et ils ont adoré chaque minute passée avec lui. » Et de surenchérir quelques pages plus loin : « Avec l'IBM PC, les utilisateurs passent environ huit heures à comprendre comment fonctionne l'ordinateur. Avec le Macintosh, l'utilisateur comprend bien plus rapidement comment aller quelque part et faire quelque chose. Les utilisateurs du Mac vont consacrer bien plus de temps et d'énergie à utiliser leurs applications. »
Même son de cloche chez InfoWorld : « Encore plus audacieux : la machine de test était fournie sans aucune documentation. Juste quelques disquettes de logiciels. Mais globalement, la documentation était inutile. En soi, c'est la preuve de la facilité d'usage du Macintosh. Quiconque a utilisé un Lisa trouvera le Mac parfaitement familier, et les autres comprendront bien vite. »
Un matériel hors du commun
Laissons à nouveau la parole à SVM : « Quant à la carte principale, n'ayons pas peur des mots, c'est un chef-d'œuvre : moins de 50 circuits ! Les concepteurs ont passé des mois, voire des années, à supprimer tout circuit inutile, à optimiser l'implantation du matériel. » Autrement dit, « Le Macintosh ne déçoit pas, c'est le moins qu'on puisse dire : voilà enfin, après des années marquées par l'apparition de machines tristement identiques, une petite merveille technique à un prix raisonnable. »
Chez Byte Magazine aussi, en février 1984, l'ambiance était à l'emphase : « En termes de sophistication technologique et d'effet probable sur le marché, le Macintosh surpassera le Lisa autant que le Lisa a surpassé ses prédécesseurs. » Il faut dire qu'Apple avait réalisé des prouesses avec cette machine. Parmi les éléments marquants du Macintosh, on trouvait aussi ce lecteur de microdisquettes Sony de 8,9 cm, une nouveauté que SVM n'hésitait à décrire comme « les plus belles disquettes du monde. » D'après le magazine, « faire ce choix, c'était prendre le risque de s'écarter des standards, mais c'était aussi rendre la vie de l'utilisateur plus facile : beaucoup moins de précautions à prendre, plus d'enveloppes protectrices, une taille plus petite… Un autre avantage non négligeable réside dans les performances obtenues avec ce lecteur : il se situe plus près des disques durs que des lecteurs de disquettes souples. Tout ceci est sous le contrôle complet d'un logiciel inspiré largement de celui de l'Apple II, conçu par Steve Wozniak. »
Mais Apple ne s'était pas contentée de faire ses courses auprès du géant nippon de l'époque. Comme Byte le révélait, « Apple a chargé Sony de modifier le lecteur pour reproduire le comportement des lecteurs Twiggy du Lisa (qui avaient été initialement choisis également pour le Mac) : l'éjection du disque sous le contrôle logiciel et la vitesse variable de rotation du disque. » Apple s'assurait ainsi que les données étaient correctement sauvegardées avant l'éjection et permettait au disque de passer de 270 Ko à 400 Ko, un avantage théorique intéressant face aux rares concurrents ayant déjà adopté ce format.
Mais ce n'était pas tout. Byte remarquait aussi qu’« Apple a conçu le Macintosh de manière à ce qu'il puisse être facilement modifié pour tous les marchés en dehors des États-Unis. Plusieurs exemples montrent à quel point les aspects spécifiques à un pays ou à une langue sont habituellement omniprésents, et comment Apple a minimisé les modifications nécessaires », comme l'absence de toute utilisation de l'anglais sur le boîtier, la fréquence d'écran de 60,15 Hz indépendante de l'alimentation électrique, les logiciels dont les ressources en texte et en icônes peuvent être traduites indépendamment du code source, ou encore le clavier entièrement géré par logiciel. Une prise en compte très inhabituelle de cette problématique, qui permettra à Apple de lancer dès le printemps des versions internationales de son Macintosh, là où Byte promettait que « les entreprises ne semblent jamais respecter de telles échéances, alors attendez-vous à ce que des versions étrangères soient expédiées plutôt à la fin de 1984. »
Et quelques défauts, déjà…
Évidemment, du point de vue des professionnels, le Macintosh n'allait pas sans quelques défauts, à commencer par l'aspect monotâche du système, alors que tous ses concurrents (CP/M, MS-DOS 3, Unix) s'alignaient pour normaliser le multitâche, une fonction dont Apple assurait que « l'intérêt pour l'utilisateur normal est plus discutable, un système monotâche rapide (et peu cher) suffisant au non spécialiste. » Les journalistes de Byte se voulaient eux aussi rassurants : « ce n'est pas aussi grave que cela peut paraître ; une seule application peut utiliser plusieurs fenêtres, et des éléments peuvent être coupés et collés d'un document à un autre en les stockant dans l'Album avant de charger le second document. »
La quantité de mémoire vive était aussi souvent pointée du doigt. Apple l'avait bien compris — on se souvient que Steve Jobs avait utilisé un Macintosh doté de 512 Ko de mémoire vive pour présenter le Macintosh à la presse — et l'on apprenait dans le magazine Micro Systèmes de février 1984 qu'Apple France s'était empressée d'expliquer qu'il serait possible de porter la mémoire vive à 512 Ko sans modification de la carte-mère. Personne ne verra jamais la couleur de cette extension, mais les bricoleurs motivés ont pu néanmoins jouer du fer à souder pour porter la mémoire vive à 512 Ko, voire à 2 Mo comme le rappelait Pierre l'année dernière. Une augmentation d'autant plus souhaitable que plusieurs testeurs relevaient que 22 Ko de la mémoire étaient mobilisés pour la gestion de l'écran, jouant le rôle de mémoire vidéo.
Le fait que ses logiciels principaux, MacWrite et MacPaint, soient vendus à part, avait aussi créé une certains frustration chez les testeurs. Tout comme la quasi-obligation d'acquérir un second lecteur de disquettes pour éviter de devoir en permanence intervertir deux disquettes (généralement celle des applications et celle des fichiers).
Qui aurait pu prédire l'impact du Macintosh sur l'informatique ?
Le Macintosh était proposé pour 25 000 Francs, imprimante comprise, sur le marché français (l'équivalent de 8 000 euros en tenant compte de l'inflation). De quoi faire faire dire à L’Ordinateur Individuel : « Avec un tel éventail, Macintosh devrait prendre une belle place sur le marché. Son prix modéré, au regard de ses capacités, y contribuera. Le créneau visé est manifestement celui occupé actuellement par l'IBM PC. » Une vision confortée par la revue Golden, qui n'hésitait pas à parler de « troisième standard de la micro-informatique », après l'Apple II et l'IBM-PC.
Avec le Macintosh, Apple ne vend pas seulement un ordinateur, mais aussi un état d'esprit, une façon d'être. Les gens d'Apple se révèlent être de redoutables vendeurs en même temps que d'excellents techniciens. — SVM, mars 1984
Même Microsoft semblait y croire dur comme fer : « Microsoft a consacré une part importante de ses ressources au nouveau venu, et l'entreprise espère tirer la moitié de ses revenus de 1984 et 1985 des applications dédiées au Macintosh » rapportait InfoWorld. Les avis étaient moins optimistes dans le quotidien The Dispatcher qui, le 24 janvier, rappelait que « nombre d'analystes pensent que le Macintosh pourrait être la dernière chance d'Apple d'endiguer l'érosion de ses parts de marché, et qu'un échec remettrait en cause le rôle d'Apple parmi les marques dominant l'industrie. »
Byte l'assurait pourtant : « Le Macintosh est un superbe exemple de ce que la technologie américaine peut accomplir lorsqu'on lui en donne l'opportunité. » Rappelant la paternité du Lisa, « premier ordinateur commercialisé utilisant l'interface souris-fenêtre-bureau », Byte prédisait que, comme son prédécesseur, il serait rapidement imité : « les entreprises qui copieront le Macintosh peineront à atteindre son rapport prix/performance, et peu d'entreprises ont les moyens de reproduire l'effort d'Apple dans le design et la fabrication — Apple est la seule compagnie américaine qui ne vit pas sous la tyrannie permanente des résultats du prochain trimestre fiscal. »