Nouveaux détails sur le pacte de non agression dans la Silicon Valley

Florian Innocente |

Le "pacte de non-agression" entre Apple, Google, Adobe et d'autres grands de la Silicon Valley avait en réalité des ramifications au sein de très nombreuses entreprises, a constaté PandoDaily en épluchant des pièces versées au dossier. Un procès va s'ouvrir le 27 mai à San José, ce recours collectif rassemble 60 000 plaignants et un dédommagement global de 9 milliards de dollars a été évoqué (lire 60 000 plaignants contre l'ancien pacte de non-agression entre Apple, Google et d'autres).

Cette affaire impliquait à l'origine Apple, Google, Adobe, Intuit, Pixar, Disney, LucasFilms et Intel. Un accord avait été trouvé avec le gouvernement, et des amendes payées. Un second front judiciaire s'est ouvert avec l'aval donné en janvier à la constitution d'un recours collectif pour les employés qui estiment avoir eu leurs évolutions de carrière potentiellement freinées ou empêchées.

Jobs et Schmidt au lancement de l'iPhone

Dans les documents consultés par PandoDaily, sont mentionnés des accords similaires, appuyés par des échanges de mail, entre Google et eBay ou Google et Dell. Mais la liste est longue de ces entreprises où il fallait éviter d'aller tout de go essayer de débaucher un salarié, ou alors s'en tenir à certains échelons inférieurs uniquement.

En janvier 2008, le document de Google précisant ces pactes de non-agression était passé en deux ans de 2 à 9 pages. Il y avait les entreprises où les débauchages devaient être limités (Microsoft, Novell, Oracle ou encore Sun). Pour celles-ci il fallait éviter de contacter un cadre dirigeant dans les divisions produits, ventes ou administration. C'était autorisé à des niveaux de hiérarchie inférieurs et aucun veto n'était en place pour les ingénieurs.

D'autres entreprises appartenaient à la liste des "Ne pas appeler" [PDF], celles où il était interdit de tenter un débauchage direct : Apple, Intel, Paypal, Comcast et Genentech (son président, Arthur D. Levinson, a un temps figuré au conseil d'Apple et de Google avant de démissionner du second en 2009). Les exceptions à cette règle étaient réservées aux employés de ces entreprises qui avaient fait le premier pas de contacter Google ou qui avaient manifesté leur volonté de quitter leur employeur. Si la personne en question avait un rôle important, un haut responsable de Google devait informer cet employeur, par courtoisie, qu'une offre de recrutement était sur la table. Des gens en particulier chez Intuit ne devaient absolument pas être approchés.

À un degré moindre il y avait aussi la liste des entreprises dites "sensibles" et comprenant par exemple eBay, AskJeeves, ou Earthlink. Çà et là ces documents écrits montrent que leurs auteurs savaient qu'ils marchaient sur des oeufs, avec des risques d'enfreindre la loi, il était de bon ton de régler certains détails de vive voix.

Les documents rassemblés pour ce procès contiennent aussi des échanges par mail entre les dirigeants de ces groupes. Michael Dell par exemple se plaint en 2007 auprès d'Eric Schmidt d'une offre faite à l'un de ses responsables des ventes et suggère que Google et Dell s'accordent pour ne pas se lancer dans un débauchage actif de leurs salariés respectifs. Schmidt donne alors consigne aux ressources humaines de Google de mettre Dell sur la liste des entreprises à « ne pas appeler ».

Schmidt, encore, reçoit en 2005 un appel courroucé de Meg Whitman (aujourd'hui PDG de HP, à cette époque à la tête d'eBay) qui s'émeut des pratiques de recrutement de Google : son directeur des opérations a été courtisé. En réponse, Schmidt demande que cette affaire soit réglée - qualifiant Whitman « d'amie » - et que le recruteur de Google soit licencié.

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Il y a les mails de 2005 entre Steve Jobs et l'un des cofondateurs de Google, Sergey Brin, où le patron d'Apple brandit la menace « d'entrer en guerre ». Le patron d'Apple est « hors de lui », raconte Brin à demi-amusé, car il apparaît que Google tente un raid sur l'équipe de développeurs de Safari.

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Brin a, d'un côté, répondu à Jobs que Google ne préparait aucun navigateur (Chrome ne sortira que trois ans plus tard). Dans les faits, un projet « d'amélioration » de Firefox (Google est un contributeur pour Mozilla) est dans l'air, mais sans rien de plus précis. De l'autre, il s'enquiert d'éventuels efforts de recrutements auprès d'Apple. Il apparaît en effet qu'un ingénieur de très haut niveau de l'équipe Safari a été repéré par Google et que son départ pourrait en entrainer d'autres. Deux ingénieurs Safari ont été directement approchés et un troisième pourrait l'être.

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Google n'était pas le seul à avoir constitué des listes fournies d'entreprises où il s'agissait de faire attention dans les opérations de recrutement. Celle d'Apple comprenait aussi Microsoft, AMD, Foxconn, Nvidia ou encore des enseignes de distribution de matériels électroniques : Best Buy, PC Mall, Mac Zone, etc. Il y a eu aussi des cas où les promoteurs de cette entente sont tombés sur un os. Ainsi Steve Jobs qui a échoué à convaincre son homologue chez Palm, Ed Colligan (lire Pacte de non-agression : lorsque Steve Jobs menaçait Palm).

avatar MrFloyd | 

Difficile de faire la part entre légal, éthique, illégal, non éthique.
Qu'une entreprise demande à une autre de ne pas chasser sur ses terres c'est normal. Qu'elles s'entendent pour qu'une candidature émanant d'un employé soit rejetée pour cause de non agression c'est moche. Mais visiblement l'accord prévoit ces cas et les tolère. Et dans ce cas je ne vois pas le préjudice.

avatar spootymilk | 

Le préjudice n'est, bien sur, pas pour les entreprise mais pour les salariés. Effectivement en terme d'évolution de carrière il y souvent un saut lors d'un changement d'entreprise. Car quand un salarié est doue, il peut lui aussi faire jouer la concurrence : "qui paye le plus pour m'avoir ?"

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