À situation exceptionnelle, communication exceptionnelle. Tim Cook publie sur le site d'Apple un « Message à la Communauté Apple en Europe » traduit dans les principales langues du continent qui répond à la décision de la Commission européenne du remboursement de 13 milliards d’euros d’« avantages fiscaux indus » à l'Irlande.
Le CEO, qui accuse Bruxelles de « réécrire l’histoire d’Apple en Europe », commence sa lettre ouverte en rappelant que l'entreprise est présente à Cork depuis 1980, photo de Steve Jobs à l'appui. 36 ans plus tard, elle emploie 6 000 personnes en Irlande et va continuer d'y investir — la construction d'un centre de données est notamment prévue.
Sur le fond de l'affaire, alors que les enquêteurs de la Commission ont conclu qu'Apple avait obtenu un traitement fiscal préférentiel illégal, Tim Cook assure que la firme a suivi les indications de l'administration irlandaise pour se conformer à la législation fiscale en vigueur, indications également données à « n’importe quelle entreprise établie dans le pays. »
« Nous nous trouvons à présent dans la situation inédite de devoir payer rétroactivement des impôts supplémentaires à un gouvernement qui déclare que nous ne lui devons rien de plus que ce que nous avons déjà payé », fait valoir le dirigeant.
L'Irlande, où se situent de nombreux sièges européens de multinationales en raison de sa fiscalité avantageuse, a toujours soutenu Apple face à la Commission européenne et va faire appel de la décision.
« Je suis en profond désaccord avec la décision de la Commission. [...] Il est nécessaire de défendre l'intégrité de notre système fiscal [...] Il est important que nous envoyons le message fort que l'Irlande reste un endroit attractif et stable pour les investissements importants de long terme », a déclaré Michael Noonan, le ministre des Finances irlandais, qui appelle son premier Ministre à refuser le remboursement de 13 milliards d'euros, l'équivalent du budget annuel de l'assurance maladie du pays.
Tim Cook continue en affirmant que Bruxelles veut modifier la législation fiscale irlandaise en fonction de sa propre conception de la fiscalité, ce qui, selon lui, « porterait à la fois un coup dévastateur à la souveraineté des États membres de l’UE en matière fiscale et au principe de sécurité juridique en Europe » :
À la base, l’argumentation de la Commission ne porte pas sur le montant des impôts dont doit s’acquitter Apple, mais sur l’État qui doit les percevoir. [...] Un principe fondamental prévaut dans le monde entier : les bénéfices que réalise une société doivent être imposés dans le pays où la valeur est créée. Dans notre cas, la quasi-totalité de nos activités de recherche et développement ont lieu en Californie, c'est pourquoi nos bénéfices sont en grande partie imposés aux États-Unis. [...] Cependant, la Commission demande aujourd’hui un changement rétroactif de ces règles.
Et de mettre en garde contre un « effet néfaste » sur l’investissement et la création d’emplois en Europe.
Au détour d'une phrase, le CEO charge aussi la Commission d'« un ciblage évident d’Apple », or, l'instance enquête également sur des avantages fiscaux dont auraient pu bénéficier Amazon et McDonald's au Luxembourg.
Mise à jour à 16h08 : c'est le ministre des Finances irlandais qui s'est exprimé, et non le Premier ministre. L'article a été modifié en conséquence.
Voici la lettre ouverte en intégralité :
30 août 2016
Message à la Communauté Apple en Europe
Il y a trente-six ans, bien avant l’iPhone, l’iPod ou même le Mac, Steve Jobs établissait les premiers bureaux d’Apple en Europe. À l'époque, la société avait compris que pour servir ses clients en Europe, il lui faudrait y avoir une base. C’est pourquoi, en octobre 1980, Apple ouvrait à Cork, en Irlande, une usine employant 60 personnes.
À l’époque, la ville de Cork souffrait d’un taux de chômage élevé et ne recevait que très peu d’investissements. Les dirigeants d’Apple, eux, y ont vu un vivier de talents et une communauté prête à accueillir la croissance de leur entreprise, si toutefois cette dernière avait la chance de réussir.
Depuis, nous sommes restés fidèles à Cork malgré des périodes d’incertitude, et aujourd’hui, nous employons près de 6 000 personnes dans toute l’Irlande. La plupart (y compris certains de nos premiers employés) sont toujours à Cork et occupent une grande diversité de fonctions liées à l’activité d’Apple dans le monde. D’innombrables entreprises multinationales ont suivi nos traces en investissant dans cette ville. À l’heure actuelle, l’économie locale y est plus prospère que jamais.
Le succès qui a permis la croissance d’Apple à Cork est le fruit de produits innovants qui font le bonheur de nos clients. Cette réussite a contribué à la création et au maintien en Europe de plus de 1,5 million d’emplois et ce, tant chez Apple que pour des centaines de milliers de développeurs d’apps très créatifs qui prospèrent sur l’App Store. Sans oublier les fabricants, les fournisseurs et les sous-traitants. Un nombre incalculable de petites et moyennes entreprises dépendent d’Apple, et nous sommes très fiers de contribuer à leur prospérité.
En tant que citoyens et acteurs d’une entreprise responsable, nous sommes également fiers de contribuer aux économies locales en Europe comme partout ailleurs. D’ailleurs, avec la croissance de notre activité, nous sommes aujourd’hui le premier contribuable d’Irlande, le premier contribuable des États-Unis et le premier contribuable du monde.
Au fil des années, l’administration irlandaise nous a indiqué comment nous conformer à la législation fiscale en vigueur, comme elle le fait pour n’importe quelle entreprise établie dans le pays. En Irlande, de même que dans chaque pays où nous exerçons notre activité, nous respectons la législation nationale et payons les impôts dont nous sommes redevables.
La Commission européenne a entrepris de réécrire l’histoire d’Apple en Europe, ignorant au passage la législation fiscale irlandaise et bouleversant par là même le système fiscal international. L’annonce du 30 août 2016 sous-entend que l’Irlande aurait accordé à Apple un traitement fiscal spécial. Cette affirmation n’a aucun fondement, dans la réalité comme en droit. Nous n’avons jamais demandé, ni reçu, de traitement spécial. Nous nous trouvons à présent dans la situation inédite de devoir payer rétroactivement des impôts supplémentaires à un gouvernement qui déclare que nous ne lui devons rien de plus que ce que nous avons déjà payé.
L’approche de la Commission est sans précédent et a des implications graves dont la portée est étendue. De fait, la Commission propose de modifier la législation fiscale irlandaise en fonction de sa propre conception de la fiscalité. Et de ce que celle-ci aurait dû être, selon elle. Une telle mesure porterait à la fois un coup dévastateur à la souveraineté des États membres de l’UE en matière fiscale et au principe de sécurité juridique en Europe. L’Irlande elle-même a indiqué qu’elle entendait faire appel de la décision de la Commission, et nous ferons de même. Apple est convaincue que cette décision sera annulée.
À la base, l’argumentation de la Commission ne porte pas sur le montant des impôts dont doit s’acquitter Apple, mais sur l’État qui doit les percevoir.
La fiscalité à laquelle sont soumises les entreprises multinationales est complexe. Toutefois, un principe fondamental prévaut dans le monde entier : les bénéfices que réalise une société doivent être imposés dans le pays où la valeur est créée. Apple, l’Irlande et les États-Unis sont en accord sur ce principe.
Dans notre cas, la quasi-totalité de nos activités de recherche et développement ont lieu en Californie, c'est pourquoi nos bénéfices sont en grande partie imposés aux États-Unis. De la même manière, les entreprises européennes exerçant une activité aux États-Unis sont soumises à ce régime. Cependant, la Commission demande aujourd’hui un changement rétroactif de ces règles.
Au-delà du ciblage évident d’Apple, l’effet le plus profond et le plus néfaste de cette décision se fera ressentir sur l’investissement et la création d’emplois en Europe. Si l’on suit le raisonnement de la Commission, chaque entreprise en Irlande et dans toute l’Europe risque d’être soudainement soumise à une imposition définie par des lois qui n’ont jamais existé.
Apple soutient depuis longtemps l’idée d’une réforme fiscale internationale dans un objectif de simplification et de clarté. Nous estimons cependant que ces changements doivent se faire dans le respect de la procédure législative, selon laquelle les propositions sont discutées par les dirigeants et les citoyens des pays concernés. Et, comme toute nouvelle législation, celle-ci devrait s’appliquer à compter de son adoption, et non de façon rétroactive.
Nous sommes engagés vis-à-vis de l’Irlande et nous continuerons d’y investir, de croître et de servir nos clients avec la même passion et la même implication. Nous sommes par ailleurs intimement convaincus que les bases et les principes légaux sur lesquels s’est bâtie l’UE finiront par l’emporter.
Tim Cook