Arm va concevoir des puces complètes pour ses clients, un changement de paradigme complet

Pierre Dandumont |

Le monde des puces compatibles avec le jeu d'instructions ARM est un peu particulier : il est très fragmenté. Jusqu'à maintenant, une société qui voulait proposer une puce ARM avait plusieurs choix et le plus courant était d'acheter une licence à Arm (la société) pour concevoir une puce à partir de « briques » matérielles. Mais ce point va changer, et c'est un gros changement dans la stratégie d'Arm.

Arm va viser les serveurs avec des puces complètes (image Arm)

Reprenons : la conception d'un système sur puce classique consiste à assembler différents composants dans une seule puce. Il peut s'agir d'un GPU, d'un CPU — au sens large — et d'un contrôleur mémoire, mais aussi de composants annexes comme un accélérateur pour les réseaux neuronaux, des blocs de décodage, un contrôleur USB 3.0, etc.

Pour le CPU, trois choix sont assez courants : acheter la licence d'un ou plusieurs cœurs à Arm (par exemple le Cortex X3, le Cortex A710 et le Cortex A510) pour les intégrer, passer par une licence qui permet quelques modifications sur les cœurs en question — ce que Qualcomm a parfois fait — ou, la voie d'Apple, concevoir des CPU compatibles avec le jeu d'instructions. Mais dans tous les cas, l'assemblage et le développement du système sur puce dépendent de la société qui le conçoit et pas d'Arm. Et c'est ce qui va changer.

Arm a en effet présenté le service CSS-Genesis (CSS pour Compute SubSystems) récemment, et c'est un changement important dans la stratégie de la société. Au lieu de laisser ses clients intégrer les différents cœurs, Arm propose de s'occuper du design de la puce, pour livrer un produit clé en main, qui pourra soit être envoyé directement en production, soit intégré dans un ensemble plus grand. Arm indique que le gain pour les sociétés qui ont besoin d'une puce est évident : elle évite toute la phase de conception et permet de gagner jusqu'à 80 « années/ingénieurs1 ».

Arm s'occupe de la conception (image Arm)

Pour le moment, le service ne vise pas encore tous les domaines et se limite à un marché précis : les serveurs. Outre le fait que ce soit un segment en progression, il a l'avantage d'être finalement assez simple, avec des puces très similaires. En effet, la demande va être souvent la même : beaucoup de cœurs, une bande passante mémoire élevée et une connectique standardisée. Dans les serveurs, les fabricants n'ont en effet pas nécessairement besoin d'un GPU rapide, d'un ISP pour mieux traiter les photos ou d'un bloc de décodage pour l'AV1.

Un exemple de bloc produit par Arm (image Arm)

Le produit montré par Arm est un système sur puce composé de 64 cœurs Neoverse N2 — un cœur dérivé du Cortex A710 — qui peut être équipé avec un contrôleur mémoire DDR5 (jusqu'à 256 bits, 320 bits avec la correction d'erreurs) et gérer 64 lignes PCI-Express 5.0. Et qui a surtout l'avantage de pouvoir directement être envoyé en production sur des lignes en 5 nm.

Toute la question liée vient évidemment de la suite : est-ce qu'Arm va proposer la même possibilité pour les appareils mobiles ? Arm dispose de tout le nécessaire avec ses GPU Mali (sauf les modems) et la société pourrait donc concurrencer Qualcomm et Mediatek, deux de ses clients qui conçoivent des systèmes sur puce et les revendent aux fabricants de smartphones. Mais Arm pourrait aussi tout simplement éviter de se mettre à dos deux de ses plus gros clients et se contenter de proposer cette possibilité dans le monde des serveurs, moins dépendants des intermédiaires. Car actuellement, les fabricants conçoivent essentiellement les puces pour leurs propres usages, comme Amazon ou Google, et les « petits » acteurs doivent se contenter des rares puces vendues par des concepteurs de système sur puce… ou se tourner vers du x86.

Dans tous les cas, c'est une première étape pour Arm mais elle augure de potentiels (gros) changements dans l'écosystème si ce nouveau service a du succès.


  1. Imaginez un ingénieur qui travaille pendant 80 ans sur le projet… ou 160 ingénieurs qui travaillent six mois sur le projet.  ↩︎

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#ARM #CPU
avatar SimR69 | 

Je pense que ça s’écrit « années-ingénieurs », et non « années/ingénieurs » qui se lirait « années par ingénieur ».

avatar MarcMame | 

@SimR69

Toutafé

avatar raoolito | 

@SimR69

oui comme « jour homme » en calcul de prod
c logique

avatar iamaware | 

Je crois que cette annonce signifie qu'ARM se lance sur le marché du PC dit "desktop" voire même serveur.
Il vont entrer en concurrence directe avec Intel et/ou les autres puces x86-64 (AMD).

avatar Dimemas | 

et ... Apple !
gros gros changement !

avatar MGA | 

En lien avec la « rumeur » que vous aviez relayée en avril dernier.
De toute façon ARM a aujourd’hui besoin de renforcer sa présence, c’est un des moyens.

avatar fabricepsb71 | 

En tout cas au niveau de la 3D ils restent à l’ARMasse

avatar l3chvck | 

Je suis pas sur que concurrencer ses clients soit la meilleure idée qu’ils aient eu…

avatar debione | 

@l3chvck:

Ils se retrouvent exactement dans la position de Google avec ses Pixels et Microsoft avec sa surface...

Ménager la chèvre et le choux, faire des démonstrations de faisabilité, mais ne pas trop vendre...

avatar marc_os | 

@ l3chvck

> Je suis pas sur que concurrencer ses clients soit la meilleure idée qu’ils aient eu

Je ne pense pas qu'ils veuillent concurrencer des clients comme Apple.
En fait ils offrent deux (très gros) services supplémentaires à de potentiels clients qui 1. disposent de peu d'ingénieurs qualifiés dans le domaine de la conception de circuits en ne faisant pas qu'offrir des design "par défaut", mais aussi des designs quasi clé en main, facilement extensibles qui plus est. Et 2. qui ne disposent pas de fonderie car il proposent de livrer aussi les puces — si j'ai bien compris l'article original qui indique la taille de certaines puces : The smallest 24 core option takes up 53 mm² (Ou alors ils s'arrêtent au layout des puces. Mais comme ce process est intimement lié aux capacités de fonderie...)propo

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