Si Apple a vu plusieurs de ses ingénieurs en intelligence artificielle quitter le navire pour rejoindre Meta, elle n’est pas la seule dans cette situation... et cette même fuite chez Tesla a tout simplement mené à la mort du projet de supercalculateur de la marque, comme le rapporte Bloomberg.

Un très gros supercalculateur...
Annoncé en grandes pompes par Elon Musk durant la « Journée des investisseurs en autonomie » de 2019, le supercalculateur Dojo a été pensé pour récupérer les données des voitures connectées de la marque (avec le consentement de l’utilisateur et sans enfreindre la loi, normalement) afin d’entraîner des modèles complexes d’intelligence artificielle, permettant ainsi de faire évoluer plus vite la conduite autonome promise par la marque depuis... 2016.
La marque avait choisi une approche radicalement différente des autres entreprises créant des fermes à calcul destinées à l’IA : plutôt que de faire confiance à Nvidia, Tesla comptait créer de toutes pièces ses unités de calcul, sur la base de puces système appelées « D1 », dessinées par une équipe dirigée par un ancien d’AMD.

Les puces D1 en elles-mêmes étaient composées d’un processeur 64 bits superscalaire supportant le multi-threading, mélangeant RISC-V et instructions personnalisées. Chacun était relié à ses congénères par un NOC (Network On Chip), permettant la communication rapide entre les processeurs. Chaque ensemble D1 contenait 354 de ces modules, fonctionnant à 2 GHz et permettant une puissance de calcul estimée à 376 téraflops.

Tesla, ce n'est pas que des voitures mais aussi un protocole réseau pour réduire la latence en Ethernet
Les ensembles D1 étaient ensuite réunis en « modules Dojo » par paquet de 25, soit un total de 8 850 processeurs par module, pour une consommation de 15 kWh et une puissance de 9 pétaflops. Chaque cabinet rempli de ces modules développait une puissance de 1 exaflops, et comportait 1,3 To de SRAM.
Le but annoncé par Elon Musk, encore en 2024, était d’atteindre les 100 exaflops avec 3 000 modules, avant d’aller encore plus loin plus tard. Plus d’un milliard de dollars étaient déjà engloutis dans le projet cette année-là.
... pour un superflop
Au fil du temps, le projet a pris du retard, alors que Nvidia enchaînait les cartes toujours plus puissantes, dépassant les capacités des modules Dojo. Mais les difficultés ne faisaient que commencer pour le supercalculateur Tesla : en plus de ce retard, les départs se sont enchaînés.
C’est Ganesh Venkataramanan, responsable du développement des processeurs chez Tesla qui a ouvert le bal en 2023, parti pour fonder sa propre entreprise, Density AI. Il était à ce poste depuis 2018, date à laquelle le précédent responsable développement des puces était lui aussi parti.
Dernièrement, le responsable du design d’Optimus (le robot humanoïde de la firme), Milan Kovac, a pris la poudre d’escampette aussi, suivi par le responsable développement logiciel David Las et Omead Afshar, l’un des plus proches collaborateurs de Musk.
Mais le coup fatal au projet Dojo fut le départ de Peter Bannon, ayant pris le poste de Venkataramanan en 2023, parti rejoindre Density AI avec... 20 ingénieurs du projet.
Vidé de ses effectifs, le projet Dojo ne pouvait plus continuer, et Elon Musk l’a donc clos cette année, non sans tenter une pirouette pour laisser penser que celui-ci était au final inutile.
It doesn’t make sense for Tesla to divide its resources and scale two quite different AI chip designs.
— Elon Musk (@elonmusk) August 8, 2025
The Tesla AI5, AI6 and subsequent chips will be excellent for inference and at least pretty good for training. All effort is focused on that.
Il n’y aurait aucun sens pour Tesla à diviser ses ressources et créer de concert deux designs de puces d’intelligence artificielle différents. Les Tesla AI5, AI6 et leurs descendantes seront d’excellentes puces pour l’inférence, et au moins aussi bonne pour l’entraînement. Tous les efforts sont concentrés sur elles.
Si Elon Musk garde le bénéfice du doute, reste une dépense énorme dans un projet qui est allé droit dans le mur, emportant plus d’un milliards de dollars (dont 500 millions investis par Morgan Stanley). Et au final, la commande de puces Nvidia, AMD et Samsung par le constructeur n’est-elle pas en elle-même le plus flagrant aveu d’échec ?
Le marché semble en avoir décidé autrement, faisant monter suite au message l’action du constructeur de 2,5 %. Reste pour Tesla à colmater la fuite de cerveaux, qui pourrait dans le cas contraire représenter un danger pour les projets à venir de la marque.