Walt Mossberg prend sa retraite et se souvient de Bill Gates chez Taco Bell

Anthony Nelzin-Santos |

Deux mois après avoir annoncé son départ à la retraite, le journaliste Walt Mossberg organise sa dernière Code Conference, le grand raout annuel des techies de la cote ouest. Lui qui s’est assis des centaines de fois dans le fauteuil de l’intervieweur a cette fois pris la place de l’interviewé face à Dick Costolo, ancien CEO de Twitter qui s’intéresse désormais à la santé connectée. L’occasion pour ce vétéran de la presse tech d’évoquer ses liens avec Bill Gates et Steve Jobs.

Walt Mossberg et Steve Jobs en 2007. Image CC BY Joi Ito.
Walt Mossberg et Steve Jobs en 2007. Image CC BY Joi Ito.

Alors que la plupart des journalistes tech de sa génération venaient de l’industrie, Walt Mossberg a fait ses classes au Wall Street Journal, où il a couvert pendant près de 20 ans l’actualité nationale et internationale. La première édition de sa chronique « Personal Technology », publiée le 17 octobre 1991, s’ouvre sur une phrase restée célèbre : « les ordinateurs personnels sont trop compliqués, et ce n’est pas votre faute. »

En privilégiant les produits et les usages plutôt que les entreprises et l’analyse, il a participé à l’émancipation d’une rubrique « tech », dont les sujets spécifiques sont encore trop souvent noyés dans la rubrique « éco ». Progressiste quand John C. Dvorak était conservateur, intéressé par Cupertino quand Mary Jo Foley lorgnait sur Redmond, discret quand Mark Stephen était exubérant, il a pris une place particulière dans le paysage de la presse tech américaine.

Celle d’un critique qui, par la portée du Wall Street Journal et l’autorité de sa chronique, avait l’allure d’un « faiseur de rois ». Craint par certains, respecté par tous, il a noué des liens avec quelques-unes des figures les plus importantes de l’industrie. Au point qu’il soit parfois obligé de se défendre d’accusations de connivence : « certains se plaindront de la surreprésentation d’Apple », expliquait-il dans sa dernière chronique au Wall Street Journal en forme de « top 12 », mais « Apple a présenté plus de produits inspirants et innovants (…) qu’aucune autre société ».

Mossberg était l’un des rares journalistes pouvant se targuer d’avoir une ligne directe vers Steve Jobs, mais il n’a jamais été dans le secret des dieux. Bill Gates, lui, l’invitait volontiers à passer quelques jours « en immersion » chez Microsoft. Lors de ces visites annuelles, explique-t-il à Dick Costolo, « je rencontrais beaucoup de directeurs produit et quelques ingénieurs […] je voyais de futurs produits. » Chaque rendez-vous était résumé dans un mémo, l’ensemble des mémos étant transmis à Bill Gates, qui rencontrait ensuite Mossberg pour une sorte de débriefing.

Une année, on m’a dit « Bill voudrait vous inviter à dîner, et réaliser l’interview à cette occasion. » Je me rends donc dans son bureau — mais vous savez […], même à l’époque, ils avaient beaucoup de bâtiments. J’étais garé dans un bâtiment, mais le temps que j’aille jusqu’à son bureau, je m’étais éloigné d’un bon kilomètre.

Il devait être 6 ou 7 heures du soir […], et nous nous lançons dans une grande discussion, assez animée. Bill et moi pouvions avoir des querelles : il se levait et faisait de grands gestes des mains, je faisais de grands gestes des mains en retour. C’était plutôt théâtral avec des pointes de véritable colère, mais j’ai beaucoup appris de lui. Je ne sais pas s’il a beaucoup appris de moi, mais nous avions de bonnes discussions.

Bref, il avait oublié de m’inviter à dîner, et j’avais oublié qu’il devait m’inviter à dîner. Le téléphone sonne : c’est Melinda (NdR : Gates, la femme de Bill Gates). Il est 10 heures du soir, nous sommes toujours dans son bureau, il n’y a personne d’autre que nous dans le bâtiment […]. Je ne peux entendre qu’un côté de la conversation — « oh merde, j’ai oublié de l’inviter à dîner. » Il couvre le combiné : « Melinda est au téléphone et dit que je suis un imbécile parce que j’ai oublié de vous inviter à dîner. Vous n’êtes pas fâché ? » Non, dites-lui que j’apprécie la discussion, que tout va bien.

Et donc il répond : « je rentre bientôt ». C’est l’homme le plus riche du monde ! Il raccroche et dit : « je vous raccompagne jusqu’à votre voiture, je dois rentrer. » Et puis : « vous savez, je dois manger un bout avant de rentrer, et je comptais passer prendre quelque chose à emporter chez Taco Bell » (NdR : une chaîne de restauration rapide avec un thème tex-mex à la réputation fluctuante). […] Je lui réponds : « merci, mais je vais juste prendre ma voiture et je demanderais le room service à l’hôtel. »

Donc nous sortons de son bureau et nous marchons vers l’ascenseur, et il dit : « oh, je reviens tout de suite, je dois repasser par mon bureau. […] Je n’ai pas d’argent sur moi. » Sa fortune s’élève à quoi ? 100 milliards de dollars, ou une autre somme immense ? Alors je lui dis : « qu’est-ce qu’il vous faut ? Je peux vous donner 10 dollars. » Il répond : « non non non ». […] Il revient en agitant triomphalement un billet de 10 dollars et me conduit à ma voiture, et j’imagine qu’il est allé chez Taco Bell.

Âgé de 70 ans, Mossberg assure que sa décision est définitive. Mais il serait bien dommage qu’il ne compile pas quelques anecdotes de ce calibre dans un livre.

avatar bibyfok | 

C'était ma question!! Haha

avatar 2Bad | 

Bill Gates était aussi allé au mcdo une fois avec des bons de réduction. Comme quoi, ... :-)

avatar Spinnozza | 

À 70 ans il avait quoi comme valeur ajoutée pour une entreprise ???

avatar zoubi2 | 

"À 70 ans il avait quoi comme valeur ajoutée pour une entreprise ???"

Sans doute de ne pas être un petit con sans intérêt...

avatar fabsolar | 

@zoubi2

?
Magique

avatar House M.D. | 

@Spinnozza

La sagesse, l'expérience, les contacts, la confiance… tout ce dont un "jeune trou du cul" ne peut pas se prévaloir.

avatar Ingmar97432 | 

@Spinnozza

Du respect aussi peut-être? Le truc dont vous sembler manquer?
Vous pensez sans doute tout savoir spontanément sans apprentissage ni expérience?

avatar Sindre | 

@Spinnozza

Certainement beaucoup plus que ce que tu pourras apporter tout au long de ta vie.

Pauvre type.

avatar marc_os | 

@Spinnozza :
Certainement bien plus qu'un gamin de 20 ans qui croit déjà tout savoir.

avatar pim | 

C'est intéressant de voir que le mec le plus riche du monde mange très chichement. Et qu'il n'a pas 10 $ sur lui !

avatar C1rc3@0rc | 

"mange tres chichement" n'est pas le terme le mieux adapté.
Par contre il y a un fait assez paradoxal a remarquer: les decideurs ont une capacité a faire passer leurs besoins physiologiques apres leurs intérêts idéologiques, philosophiques ou professionnels.

Ce qui est surprenant c'est que l'on s'étonne que Gates puisse aller manger dans un fast food. Par definition, s'il a les moyens d'aller manger dans un resto étoilé, il a les moyens d'aller dans un fast food! Pourquoi, s'en étonne-t-on? Parce que ce ne serait pas sa place? Parce que le fast food est reservé aux pauvres?
Le pauvre n'a pas de privilège, pas de choix, pas de liberté.
Gates a tous les choix du monde et toutes les libertés que sa fortune lui permet.
Il y a dans cet étonnement une dimension finaliste et superstitieuse remarquable.

Bill Gates n'est pas un surhumain, pas un dieu, ni meme un (techno)prophète.
C'est un humain comme des milliard d'autres mais qui a eu la chance de naître dans une famille riche et puissante et qui a saisie une opportunité de business que sa position l'a amené a rencontrer. Son talent, c'est d'en avoir profité...

Etrangement, on ne s’étonne pas qu'il aille, seul, prendre sa bagnole... pourtant, un milliardaire qui sort a une heure tardive de son bureau, harassé de fatigue, on pourrait s'attendre a ce que son chauffeur vienne le chercher, au moins a la sortie de l'immeuble... Diantre, c'est pas la sécure et tranquille Zurich en plus, c'est les USA!

Il n’empêche, Gates est remarquable sur bien d'autre points.
Et le talent de Mossberg c'est de montrer ce qui est remarquable.

avatar occam | 

@C1rc3@0rc

Observations très fines.

avatar jackhal | 

Ah ! ah ! ah !

avatar pat3 | 

Mossberg a quand même produit les interviews tech les plus fameuses, de vrais régals. Notamment celle avec Steve Jobs déjà très malade et Bill Gates. Franchement, ce mec a donné des lettres de noblesse à son métier. Chapeau.

avatar occam | 

@pat3

Disons qu'il a f a i t son métier. Il appartient à une génération où c'était plus courant. Ça devient rare.

avatar YAZombie | 

Il y a aussi un épisode de Too Embarrassed to Ask très amusant, à trouver ici: https://art19.com/shows/too-embarrassed-to-ask/episodes/4469dbcf-af16-44f5-bc48-2ece34212d48

avatar valerypascal | 

Un cerveau ?pas comme vous vu la question

avatar Applesoft | 

Mossberg rendait les choses très accessibles pour tout le monde. Très conforme à l'esprit Apple de Jobs : user experience. Le reste, il en parlait peu.

Pas de discours technique pour se faire mousser. Pourtant, le gars doit en connaître sur le sujet depuis les années. Juste la volonté de "toucher" Mme Michu en l'intéressant au sujet. Ce qui fait les bons interviewers selon moi. Ardisson du temps de Tout le Monde en Parle faisait de même. Il disait que s'il recevait un grand écrivain américain par ex, son but était de rendre l'interview intéressante pour sa mère. S'il y arrivait, le pari était gagné.

Mossberg faisait un peu de ça.

avatar occam | 

@Applesoft

John Naughton vient de publier dans The Guardian un hommage à Walt Mossberg dont je crois que vous saurez apprécier la teneur :
https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/jun/04/farewell-walt-mossberg-scourge-of-silicon-valley

avatar Average Joe | 

Là où Ardisson était le plus en forme et en phase reste à mon avis feu RDRG (Rive Droite Rive Gauche), le premier JT de la culture, jadis sur Paris Première. On y trouvait déjà Elisabeth Quint, désormais sur Arte.

avatar louisb | 

J'attends le livre avec impatience !

avatar jackhal | 

En attendant, si tu lis l'anglais et que tu ne connais pas déjà (et sinon ça pourra en intéresser d'autres) :
https://www.folklore.org
121 anecdotes sur le développement du premier Mac et sur les gens qui ont travaillé dessus.

avatar Average Joe | 

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