Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’Amazon n’aime pas la loi Darcos, qui l’oblige depuis 2023 à facturer 3 € de frais de port sur toute commande de livres inférieure à 35 €. Cette législation française vise à protéger les libraires indépendants face au géant du commerce américain, mais elle n’a pas eu les effets escomptés selon Frédéric Duval, le directeur général d’Amazon France. Il détaille ses arguments dans un article publié sur le site institutionnel de l’entreprise et s’il défend évidemment son employeur, il a des arguments intéressants à faire valoir.
Il base son analyse sur une enquête d’opinion effectuée en 2024 par l’Ifop à la demande d’Amazon France, ce qui n’est peut-être pas la source la plus objective qui soit, pour indiquer que plus de la moitié des Français ont réduit leurs achats de livres, spécifiquement à cause de la hausse des frais de ports. C’est assez logique au fond, ce qui était jusque-là (quasiment1) gratuit est devenu payant, et pas qu’un peu. Trois euros de frais de port sous la barre de 35 €, c’est un pourcentage potentiellement élevé de la commande et une hausse très nette du prix d’un livre.
Après tout, c’est l’objectif de la loi, qui voulait inciter les Français à acheter dans les librairies autour de chez eux au lieu de passer commande chez Amazon. Pour autant, la réalité est moins belle si l’on en croit le directeur général, qui évoque notamment une baisse générale du marché du livre, à hauteur de 3 % en volume pour 2024 selon GFK, un cabinet d’études spécialisé sur le sujet. Plus gênant pour la législation française, cette baisse est bien une exception locale, puisque c’est la pire baisse en Europe.
Non seulement on achète moins de livres, mais les libraires ne profitent pas de la loi, toujours selon Amazon. Sans donner ses sources cette fois (on peut supposer que c’est encore GFK), Frédéric Duval indique que les clients privilégient en réalité majoritairement les hypermarchés et grandes chaînes culturelles aux acteurs indépendants quand ils se déplacent pour acheter un livre. Seuls 26 % des lecteurs choisissent un petit libraire selon l’entreprise, ce qui s’explique sans doute par l’absence de petits acteurs de proximité sur une bonne partie du territoire, et notamment hors des grandes villes. De ce fait, les librairies ont vu leurs ventes diminuer en 2024 et alors qu’il y avait eu une forte croissance des ouvertures de nouveaux lieux en 2022 et 2023, la situation était moins positive l’an dernier.
Si ces arguments ne suffisent pas à vous convaincre, la firme américaine en a encore sous le pied. La commune de Paris accueille 20 % des librairies françaises pour seulement 3 % de la population. À l’inverse, près de la moitié des commandes de livres effectuées sur Amazon sont destinées à des petites villes et des zones rurales, qui sont aussi les lieux moins bien desservis par les libraires indépendants. Depuis la mise en œuvre de la loi, le site estime que plus de cent millions d’euros de frais de port ont été dépensés par les clients français pour recevoir des livres.
Amazon a tout fait pour éviter les effets négatifs de la loi Darcos, notamment en utilisant les casiers de retrait proches des points de vente de livres, une idée combattue par le gouvernement. L’entreprise a tout intérêt de supprimer ces 3 € de frais de port obligatoires pour vendre davantage, il ne faut pas se leurrer sur ses réels motifs. Néanmoins, on peut aussi reconnaître qu’Amazon a de solides arguments et je sais à titre personnel que je fais moins d’achats impulsifs de livres depuis l’application de la loi. J’essaie de combiner plusieurs commandes pour atteindre 35 € et j’en oublie au passage ou le temps de réflexion m’amène à reconsidérer un achat. Tant mieux pour mon compte bancaire, tant pis pour la culture (et le compte bancaire de Jeff Bezos).
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Amazon demandait un centime symbolique lorsqu’il envoyait un livre, puisqu’une précédente loi interdisait déjà les livraisons gratuites. ↩︎












