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Angela Ahrendts et les arts créatifs en Apple Store à « l'ère de l'automatisation »

Florian Innocente

vendredi 19 mai 2017 à 13:30 • 23

AAPL

« Les centres commerciaux ne vont pas disparaître. Les gens ont toujours besoin de quelque part où aller, mais ils doivent évoluer. Pour ceux qui ont proposé du divertissement, des lieux où boire et manger, il fut un temps où il y avait la règle des 80/20 : 80 % de shopping et 20 % d'expériences. Il doit s'inverser aujourd'hui, parce que tout ce qui est shopping, vous pouvez le faire plus vite en ligne et pour moins cher », explique Angela Ahrendts, dans une interview cette semaine à Linkedin.

Elle y parle de l'énorme transformation qu'opère en ce moment Apple dans ses 400 boutiques (avec difficulté toutefois) et de l'introduction de "Today at Apple" dans les 500 au total.

Au dernier trimestre, cette activité du Retail chez Apple a affiché une croissance de 18 %. La Pomme compte maintenant 67 000 employés à travers le monde dans ses magasins. La fidélité à leur employeur est forte, souligne Ahrendts, de l'ordre de 85 % parmi le personnel à plein temps et jusqu'à 88 % aux États-Unis.

La "Senior Vice President, Apple Retail" est arrivée en 2014, après le limogeage de son prédécesseur. Parmi les rendez-vous instaurés pour resserrer les liens avec ses équipes éparpillées sur la planète, elle cite ses vidéos hebdomadaires, des clips de 3 minutes chacun dans lesquelles trois thèmes sont abordés. Un mode de communication informel dont elle disait, fin 2015, qu'il lui avait été inspiré par l'observation de ses enfants, rivés sur Snapchat et WhatsApp avec leurs amis restés en Angleterre.

Cette habitude a fait des émules, des employés qui, à leur tour, se sont mis à lui envoyer des vidéos à propos de leur travail, dit-elle. Des exposés de ce qui se passe sur le terrain et qui sont ensuite repartagés pour certains.

Elle revient également sur une initiative lancée en juin dernier mais dont on n'avait pas beaucoup entendu parler depuis. Ces employés s'étaient vu soumettre une liste de 20 projets qu'Apple pourrait lancer et dont ils devaient sélectionner les plus importants à leurs yeux.

Après écrémage des réponses, 7 sujets « assez proches des valeurs d'Apple » ont été retenus et font l'objet de programmes pilotes ou ont été déjà mis en place. C'est le cas des salles "Boardroom" prévues dans certains des nouveaux Apple Store pour mieux accueillir les professionnels et les jeunes entreprises qui se lancent et qui peuvent chercher un accompagnement technique.

La Boardroom d'Apple Cologne
La Boardroom d'Apple Regent Street à Londres

C'est aussi et surtout le cas du programme "Today at Apple" inauguré en grande pompe cette semaine. Ce qu'Angela Ahrendts appelle le « logiciel » des Apple Store. Tous viennent de renforcer leur programmation en ateliers gratuits. Parents, enfants, enseignants ou entreprises peuvent s'inscrire à des rendez-vous quotidiens pour perfectionner leurs connaissances des produits de la marque et de logiciels ou matériels de tierces parties.

Un service après-vente multi-facettes

Ces rendez-vous sont articulés autour de quatre grandes thématiques — des « passions », comme les appelle Ahrendts : la photo et la vidéo, la musique, l'art et le design ainsi que le codage. Chacun avec des niveaux de difficulté variables selon qu'on est débutant ou pas. Des intervenants extérieurs, spécialistes dans leur domaine, conduiront parfois ces ateliers qui peuvent se dérouler en extérieur. L'un d'entre eux par exemple, sur la photo, emmènera les participants pendant deux heures à pied dans Paris, avec une photographe professionnelle.

Les « arts créatifs » vont faire leur grand retour, pronostique Angela Ahrendts. Ce programme "Today at Apple" est là pour s'y préparer. On viendra moins dans un Apple Store pour y consommer à tout crin ou tuer le temps sur internet que pour participer à ces événements.

"L'avenue" à Regent Street
"Town Hall" avec son écran géant et un espace de démonstration avec places assises pour quelques dizaines de personnes

Rien que l'abandon du terme "store" dans le nom des magasins illustre cette volonté, tout comme Apple avait abandonné le terme "computer" à l'heure de l'iPhone. Le nouveau vocabulaire des magasins — "Avenue", "Forum", "Town Hall" (assemblée publique) — participe à cette mutation dont Angela Ahrendts explicite l'impérieuse nécessité :

Si l'on croit tout ce qu'on lit, on sait de quelle manière le monde [du travail, ndlr] sera automatisé dans les 5 ou 10 prochaines années. En ce qui nous concerne, nous pensons qu'il va y avoir un effet de balancier dans l'autre sens, en direction des arts créatifs. Nous savons déjà ce qu'ils font avec ces appareils, et c'est pour ça que nous avons ces quatre passions mises en avant. Si nous pouvons les aider à devenir de meilleurs photographes, de meilleurs monteurs vidéo, de meilleurs réalisateurs et autres… parce que je pense que ce sont des compétences qui vont redevenir importantes à l'ère de l'automatisation.

C'est un élément fort de la stratégie retail d'Apple : la notion de "service après-vente" n'y signifie pas seulement réparation et dépannage mais aussi apprentissage et perfectionnement, dans l'utilisation du matériel et des logiciels. Qui plus est, au travers de manifestations gratuites et ouvertes à tous.

Ces prestations ne sont pas nouvelles dans les boutiques d'Apple. Des Apple Store, au tout début de leur existence, avaient déjà de petits espaces de démonstration de logiciels, avec des places assises, comme au cinéma. Mais cette activité monte en puissance et en visibilité.

Sur ce point, aucune marque concurrente, si puissante soit-elle, ne peut s'aligner. Ni Samsung, ni Google. Microsoft s'est lancé avec ses propres stores mais ils ont beau être nombreux, ils restent pour la quasi totalité cantonnés sur le sol américain. Chez Apple, la couverture est mondiale (bien que l'Afrique et une large partie de l'Europe de l'Est soient encore ignorées).

Aucune autre marque ne peut accompagner à ce point le client dans tout le cycle de vie de ses appareils. Depuis leur achat chez Apple, en ligne comme en boutiques, jusqu'à leur réparation en passant par leur utilisation au fil du temps. Et même leur dépôt pour recyclage au moment d'un nouvel achat. La boucle est parfaitement fermée.

Des magasins transparents

L'analyse que fait Angela Ahrendts de la nécessaire transformation des centres commerciaux est appliquée depuis un certain temps dans les Apple Store. Cela s'est fait graduellement et ça s'accélère.

Au "logiciel" des Apple Store décrit précédemment, répond le "matériel". Ahrendts utilise le mot "produit" quand elle parle de ces boutiques, ou "hardware". Elle pose la question de comment améliorer ce « matériel » pour les gens qui y travaillent et les clients.

Sur le volet architectural, on a pu le voir au fur et à mesure que de nouvelles boutiques ouvraient, la « transparence » sert de guide dans leur réalisation. Le contraste est saisissant entre les stores de l'époque Jobs et ceux de la nouvelle génération. Les premiers, pourtant d'un bon standing pour des magasins informatiques (qui se souvient de Surcouf… ?) paraissent quelque peu fermés en comparaison des nouveaux.

L'ancien style
La plus ancienne boutique d'Apple

Les derniers construits, lorsque le lieu s'y prête, n'ont plus de vitrine à proprement parler, mais de très larges battants vitrés alignés sur toute la largeur. Des portes qui pivotent sur elle-mêmes pour s'ouvrir.

Chine

L'intention est évidente, il faut gommer toute séparation visible entre l'intérieur et l'extérieur du magasin « On ne sait pas où le store commence et où s'arrête le centre commercial », résume Angela Ahrendts. Même principe appliqué, format XXL, au dernier store de San Francisco, avec ses très imposantes portes motorisées. Une idée reprise pour l'atrium de la salle de restaurant d'Apple Park.

Ce travail de mise en conformité à de nouvelles normes est d'ampleur. La moitié des magasins américains date d'avant la sortie de l'iPhone, rappelle Ahrendts. Le rythme des mises à niveau (ou de déménagements pour les boutiques devenues trop petites) est de l'ordre de 30 à 35 par an.

Cette révision du "matériel", c'est à dire la décoration et l'agencement intérieur des boutiques, devait connaître son point d'orgue ce début semaine. La transformation simultanée de 400 magasins en l'espace d'une seule nuit.

La vente en ligne a des avantages évidents, mais on ne peut toucher ou essayer les produits. C'est ainsi que le nouvel agencement prévu dans les boutiques de la première génération doit inviter les clients à manipuler les accessoires, comme ils l'ont toujours fait pour les iPhone ou les Mac en libre accès sur les tables.

Une grande opération qui avait été annoncée dans les médias mais qui a finalement été annulée brutalement le jour même. Les employés mobilisés ont attendu puis ont été renvoyés chez eux, sans explication officielle sur les causes de ce raté (l'interview d'Angela Ahrendts chez Linkedin a été réalisée avant). Dans un cas au moins, on nous a parlé d'équipements qui n'étaient pas arrivés au complet dans tous les stores, perturbant l'orchestration générale de cette opération.

Seul le nouveau dispositif d'écran pour les formations a été mis en place par des prestataires extérieurs (lire Les anciens Apple Store n'ont pas redémarré avec la nouvelle interface).

Un report inopiné dont le coût a dû être conséquent puisque les équipes étaient présentes en horaires de nuit et à pied d'œuvre partout dans le monde. Aucune nouvelle date ne leur a été pour le moment communiquée. Pour le coup, l'analogie d'Angela Ahrendts avec le software et le hardware a pris tout son sens cette nuit là : il peut y avoir des bugs et une panne générale.

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