Où va Apple ? Le meilleur est-il derrière ? Certains n’hésitent pas à dire au sujet de la firme de Cupertino qu’elle entre dans une décennie de stagnation. Seul l’avenir nous le dira. Mais il est vrai que pour initier une nouvelle dynamique, le Californien devra trouver un produit capable soit de succéder à l'iPhone soit de l'épauler.
L’Apple Watch ne semble pas en avoir les épaules, pour le moment en tout cas. Apple est d’ailleurs pour le moment davantage dans la création de satellites à son téléphone (Apple Watch, AirPods) que dans le lancement de nouvelles plateformes (lire : iOS : un empire sans commune mesure). Les supposés travaux dans la réalité augmentée semblent d’ailleurs s’inscrire dans cette même optique.
Apple : le Microsoft des années 2010 ?
Quand il s’agit d’évoquer l’ère actuelle d’Apple, on la compare souvent à celle de Microsoft dans les années 90 ou encore au début des années 2000. Il y a bien quelques points communs. Durant son âge d’or, le géant du logiciel était la plupart du temps la première capitalisation boursière au monde. Place qu’occupe Apple depuis cinq ans sans interruption ou presque (lire : En 20 ans, la jolie culbute de l'action AAPL) .
L’autre point commun, qui est le miroir de cette domination boursière, c’est que ces deux acteurs donnaient le LA de l’industrie high-tech durant leur période de domination respective.
Mais une fois que l’on a esquissé ces similitudes, les différences sont autrement plus importantes. À la belle époque, le concurrent le plus important de Microsoft était sans doute le département de la Justice des États-Unis qui cherchait alors à réduire l’influence de Redmond par tous les moyens.
Apple n’en est pas là. Même si certains l’accusent parfois de pratiques anticoncurrentielles sur des points très précis, Microsoft abusait clairement de sa position dominante. Faut-il rappeler que Windows dépassait les 90 % de part de marché ? Parti très en retard sur le marché des navigateurs, Microsoft avait plié le marché des navigateurs web en l’espace de quelques années. Les concurrents d’Office finissaient quant à eux par mettre la clé sous la porte ou étaient au mieux très rapidement marginalisés.
iOS n’a pas la même domination que Windows
Le contexte dans lequel évolue Apple ces dernières années est autrement plus concurrentiel que celui de Microsoft à la fin des années 90. Google, Samsung, et même Microsoft, pour ne citer qu’eux, sont de redoutables adversaires. Pour faire la comparaison, la vache à lait d’Apple, l’iPhone (et donc iOS), ne possède même pas 15 % de part de marché au niveau mondial (lire : La part de marché de l’iPhone au plus bas depuis 2009).
Par contre, s’il y a bien un domaine où Apple est en position de monopole, c’est celui des bénéfices dans l’industrie du smartphone. Un chiffre toujours supérieur à 90 % depuis des années et qui a même atteint un plus haut récemment avec 103 % des bénéfices !
Peut-être que l’on aurait dû commencer par cela, mais il convient aussi de rappeler que les modèles économiques d’Apple et de Microsoft ont longtemps différé. La firme de Cupertino est avant tout un vendeur de matériel alors que Microsoft à l’époque était essentiellement un éditeur de logiciels. Cela a été évoqué à plusieurs reprises, mais il est intéressant de voir à ce sujet comment les business modèles de Microsoft et Apple se rapprochent petit à petit.
Qu’est-ce qui a fait trébucher l’ogre Microsoft ?
Les plus cyniques répondront que Redmond était à l’époque trop occupée à gérer ses affaires judiciaires plutôt que de poursuivre sa marche en avant. Une chose est certaine, le géant du logiciel n’a pas réussi à apporter des réponses solides face aux problèmes que connaissaient bon nombre d’utilisateurs, notamment en matière de sécurité et de stabilité. Ces thématiques ont d’ailleurs fait le bonheur pendant des années des campagnes Get a Mac ou Switch.
Il y a a eu aussi des catastrophes industrielles, notamment Windows Vista. L’un des problèmes (historiques) de Microsoft, c’est d’avoir toutes les difficultés du monde à faire migrer ses utilisateurs vers la version la plus récente de Windows. Aujourd’hui, on appellerait cela de la fragmentation. Un phénomène qu’Apple a toujours su bien gérer à l’inverse, y compris aujourd’hui avec une très grosse base d’utilisateurs.
Mais surtout, Microsoft n’a pas donné l’impression d’avancer pendant des années. Le cas le plus frappant est sans doute celui d’Internet Explorer. Il s’est passé cinq ans — soit une éternité dans le monde du web — entre la sortie de la version 6 et de la version 7.
Les problèmes auxquels Apple fait face sont incontestablement bien différents. Bien évidemment, iOS et macOS ont des problèmes de sécurité ou de stabilité, mais ils ne sont pas de même nature que ceux de Windows 10 ou 15 ans en arrière. De plus, si l’on prend en compte ces considérations, Apple fait sans doute mieux que la plupart de ses concurrents — on pense spécialement à Android.
Microsoft avait anticipé les nouveaux marchés…
Ce qui est paradoxal dans la « chute » de Microsoft, c’est que le géant du logiciel avait parfaitement ciblé les nouveaux marchés. L’éditeur avait très tôt identifié le potentiel des tablettes et des smartphones. La première mouture mobile de Windows est apparue en 2000. Elle était à l’époque destinée aux PDA et connaîtra un certain succès, notamment sous l’appellation Pocket PC.
Mais comme souvent Microsoft a pris le problème par le mauvais bout. Redmond a d’abord essayé de s’adresser aux professionnels avant de s’adresser au grand public. D’autre part, avant d’exploiter le potentiel de ces terminaux, elle a cherché avant tout à en faire une sorte de mini PC.
L’approche d’Apple avec l’iPhone, de ce point de vue, était beaucoup plus radicale. Le premier iPhone était équipé d’un navigateur web révolutionnaire, mais il ne possédait pas des fonctionnalités de base comme le copier-coller.
Apple sclérosé à l’image de Microsoft ?
Là encore, ce serait faire un mauvais procès au Californien. Si au milieu des années 1990, la marque à la pomme n’arrivait plus à faire avancer ses technologies, on est aujourd’hui à l’exact opposé du syndrome Copland. Compilateur, langage de programmation, nouveau système de fichiers… Apple enchaîne les gros chantiers.
Elle est parfaitement à l’aise pour faire évoluer ses systèmes d’exploitation dans les directions qu’elle désire. Apple a minimisé OS X pour le faire tenir dans un smartphone, puis elle a fait de même avec iOS pour qu’il puisse trouver refuge dans une montre.
Apple n’a pas de problème d’un point de vue logiciel et a gagné en expertise en ce qui concerne le matériel. En dix ans, l’iPhone est passé du statut d’appareil embarquant un processeur de lecteur DVD à celui d’appareil doté d’une des puces les plus sophistiquées au monde et qui est conçue en très grande partie dans les labos d’Apple (lire : Johny Srouji, le chef d’orchestre des processeurs d’Apple).
En matière d’exécution, la faiblesse d’Apple est sans doute dans les services. Cependant, même si tout n’est pas parfait, la firme de Cupertino est en progrès constant dans ce domaine.
David qui est devenu Goliath
Contrairement à Microsoft, Apple a longtemps été David, le petit que l’on regardait avec sympathie ou admiration. Avec l’iPod, puis l’iPhone, Apple est (re)devenue une success story comme on en a peu connu dans l’histoire du capitalisme moderne.
Seulement voilà, une fois qu’on est au sommet, on ne peut que redescendre ensuite. Et à l’image d’un champion, quand il domine un peu trop sa catégorie, et ce depuis un peu trop longtemps, beaucoup n’attendent qu’une chose : qu’il se plante.
Quelque part, Apple est la cible à abattre. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui cherchent pour de bonnes ou de mauvaises raisons à se servir de la firme de Cupertino comme caisse de résonance (lire : Greenpeace s'installe devant le QG d'Apple) .
Quand Greenpeace veut sensibiliser le grand public sur les problématiques écologiques de l’industrie high-tech, elle s’en prend d’abord à Apple. Même chose lorsqu’il s’agit de sensibiliser sur les conditions de travail des ouvriers chinois. Pourtant, dans ces domaines, à défaut d’être irréprochable, Apple fait mieux que la plupart de ses concurrents.
La politique commerciale : le vrai motif de crispation ?
Non, si Apple peut faire l’objet de critiques, c’est davantage sur le plan commercial. On peut regretter (ou non) que le Mac ne soit plus une priorité, que le prix de ses produits augmente régulièrement (que ce soit justifié ou non), qu’elle cherche toujours à enfermer un peu plus ses utilisateurs dans son écosystème. Le revers de la médaille en quelque sorte.
Le marché des smartphones est mûr ? C’est le moment d’augmenter les prix et d’avoir plus que jamais un positionnement premium. Exemple de fâcherie : quand le tout premier iPhone coûtait « seulement » 499 € (ce qui apparaissait comme une fortune à l’époque pour un smartphone), celui des 10 ans pourrait facilement coûter le double si l’on en croit les dernières rumeurs (lire : L'iPhone 8 dépasserait aisément les 1 000 $).
Certes, on peut ajouter l’inflation (relativement faible ces dernières années), l’évolution des devises ou encore d’autres paramètres, reste que l’iPhone est toujours proposé à un prix plus élevé — et rend toujours plus de services.
Ce malaise n’est pas spécifique à l’iPhone. Les complaintes sur les prix, on les a entendues et réentendues lors de la présentation des nouveaux MacBook Pro à l’automne dernier. Le contexte économique n’y est sans doute pas pour rien, mais pour une fois ces critiques ne sont pas spécifiques à la patrie des râleurs, que nous représentons si bien.
Ce qui est intéressant de noter au passage, c’est que cette politique de tarif élevé, d’autres constructeurs essaient de la copier avec plus ou moins de succès. Par exemple, les prix des derniers téléphones de Google n’ont pas grand-chose à envier à ceux de l’iPhone. Samsung n’est pas en reste, les prochains Galaxy pourraient dans un premier temps au moins être vendus plus cher que les iPhone 7 (lire : Galaxy S8 : présentation supposée le 29 mars et 799 € minimum) .
Apple : une société en évolution perpétuelle
Mais s’il y a bien au final une différence fondamentale entre le Microsoft des années 2000 et l’Apple des années 2010, c’est la démarche. Ce qui comptait pour Microsoft, c’était de mettre du Windows et de l’Office partout. Quand on y réfléchit, Redmond se targuait de permettre à ses utilisateurs de se servir de Microsoft Excel sur un téléphone. Comme marchand de rêve, difficile ou impossible de faire mieux.
Apple, à l’inverse, est en évolution perpétuelle. C’est à la fois ce qui fascine et ce qui fatigue ses plus fidèles utilisateurs et clients. L’Apple II a été dépassé par le Mac, lequel a appris à coexister avec l’iPod, qui lui-même a été jeté aux oubliettes avec l’avènement de l’iPhone…
Les produits ont changé, les logiciels aussi, les technologies également. Cette évolution permanente complique la tâche de l’utilisateur qui parvient plus difficilement à s’identifier à Apple. L’Apple du début des années 2000 qui était avant tout un fabricant d’ordinateurs est très différente de l’Apple des années actuelles, qui est dorénavant un vendeur de téléphones avec quelques activités annexes (souvent très rentables).
Peu de sociétés connaissent de telles évolutions. Ces quinze dernières années, BMW est resté un constructeur automobile. Même dans le domaine de la high-tech, peu de sociétés ont autant évolué qu’Apple. Dell, pour ne citer qu’un exemple, reste avant tout focalisé sur la vente de PC.
C’est sans doute cette métamorphose permanente qui fatigue un certain nombre d’utilisateurs. Mais Apple n’a pas le choix, pour rester fidèle à son ADN, elle doit poursuivre cette marche en avant, quitte à délaisser certains des produits qui ont fait son succès et se mettre à dos certains utilisateurs. Mais c’est le progrès, que voulez-vous…