Dix ans que le Power Mac / Mac Pro n’avait pas changé d’apparence. Avec le nouveau Mac Pro, Apple ne propose pas seulement un nouveau boîtier : elle impose un peu plus sa façon de penser l’informatique de bureau. Avec succès ? Réponse avec notre test du nouveau Mac Pro huit cœurs à 3 GHz (FirePro D700, 32 Go de RAM et 512 Go de SSD, 6 799 €).
Le Mac Pro Xeon Tube
Le Power Mac G5 (devenu Mac Pro) était certes beau et pratique, mais il n’en demeurait pas moins un ordinateur de bureau assez conventionnel : une grosse boîte pleine de ventilateurs, de disques et de cartes d’extensions. Alors que le grand public bénéficiait des multiples avatars de l’iMac tout-en-un, Apple était conservatrice avec un marché conservateur. Mais ça, c’était avant.
S’il garde le nom de son prédécesseur, le nouveau Mac Pro n’est pas qu’une énième déclinaison sur le même thème. L’idée qui a présidé à sa conception justifie toutefois les expérimentations d’Apple depuis plus de trente ans. Ce cylindre noir remplace les tours grises et les boîtes beiges dans le rôle du module de calcul agnostique, dont l’utilisateur peut augmenter et spécialiser les fonctions selon ses besoins créatifs.
On peut d’ailleurs remonter la filiation du nouveau Mac Pro jusqu’au Power Mac G4 Cube, dont les différents organes étaient arrangés autour d’une colonne de refroidissement et protégés par une carcasse au design léché. Les similarités sont frappantes, mais Apple a cette fois poussé l’idée à son paroxysme et le nouveau Mac Pro n’est rien d’autre qu’un module de calcul, sans aucune forme d’extension interne.
C’est que les technologies ont sacrément évolué en dix ans : les entrées/sorties « de nouvelle génération » sont aussi rapides que les anciens bus internes, les imposants disques durs ont été remplacés par de minuscules disques de mémoire flash, la course aux GHz a laissé place à la course aux cœurs, et les cartes graphiques sont tout autant utilisées par les hardcore gamers à la recherche des FPS que par des scientifiques à la recherche d’une particule divine. Le Mac Pro devait donc évoluer.
Comme son illustre ancêtre, le Mac Pro est conçu de l’intérieur vers l’extérieur. Le « cœur thermique » est la colonne vertébrale de la machine, un radiateur en forme de prisme triangulaire chargé d’évacuer la chaleur des composants qui y sont fixés. L’air frais est aspiré depuis le bas du Mac Pro, remonte le long du cœur thermique, et sort réchauffé par le haut : un seul et imposant ventilateur, au sommet de la machine, est nécessaire au fonctionnement de ce système de refroidissement.
Chaque face du cœur thermique accueille une carte-fille : une pour le processeur, les deux autres pour les puces graphiques, des composants qui forment le véritable cœur de cette machine en lui apportant ses capacités de calcul généralistes et spécialisées, à très haute fréquence ou massivement parallélisées. Le nouveau Mac Pro ne dispose plus que d’un seul processeur Intel Xeon E5 Ivy Bridge-EP, mais l’hyper-threading « transforme » chaque cœur physique en deux cœurs logiques. C’est au contraire le premier Mac équipé de série de deux cartes graphiques, quoique ses cartes AMD FirePro aient été conçues pour le calcul plutôt que pour le jeu.
Les autres composants se greffent sur ces cartes, comme des accessoires ajoutés là où il restait de la place. Le SSD prend place sur une des cartes graphiques, la seconde en étant étrangement dépourvue. Les banques mémoire, au nombre de quatre seulement, flanquent la carte processeur. Le bloc d’entrées / sorties, indispensable et impérative interface entre la puissance interne et la polyvalence externe, surmonte le tout et transperce donc la sombre armure irisée du preux Mac Pro.
Un tube de puissance condensée
Qu’est-ce que cela donne en pratique ? Il est difficile de donner une seule réponse à cette question, sauf à répondre « ça dépend ». La machine que nous a prêtée Apple est une configuration personnalisée d’une valeur de 6 799 €, dotée d’un processeur octocœur à 3 GHz, de deux cartes AMD FirePro D700, de 32 Go de RAM et d’un SSD de 512 Go. Un choix qui n’est évidemment pas anodin.
Les tests théoriques montrent bien que ce modèle est globalement plus puissant que son prédécesseur bi-quad, ne serait-ce que grâce à sa fréquence processeur relevée de 600 MHz. Reste que si les gains sont appréciables, ils n’ont rien de renversant : le nouveau Mac Pro s’inscrit dans une progression continue et modérée, limitée à la fois par la feuille de route d’un Intel sans concurrence et les choix techniques effectués par Apple. Si l’on se cantonne aux applications de la suite iLife, une bonne mesure du « confort » général, un iMac haut de gamme de l’an dernier réussit ainsi à lui coller au train.
Les écarts se creusent logiquement dès que l’on passe aux applications professionnelles : alors que l’on peut atteindre les limites d’un iMac gonflé avec Logic Pro, ce sont les limites de Logic Pro que l’on atteindra avec le Mac Pro, puisque l’application de MAO d’Apple est incapable d’exploiter plus de seize cœurs logiques. Mais les différences sont plus difficiles à mesurer dans Photoshop ou dans Lightroom, quoique l’on sente bien qu’il y en a sous le capot et qu’il soit impossible d’observer le moindre ralentissement. La dotation en mémoire de notre machine aide, l’incroyable vitesse de son SSD relié en PCIe aussi.
C’est vraiment dans les domaines de la vidéo et de la 3D que ce nouveau Mac Pro se détache. Une timeline 5K avec quelques effets dans Final Cut Pro ? Un traitement DaVinci Resolve sur de nombreux nœuds ? Une scène très complexe dans Luxmark ? Un iMac récent s’étouffe, un ancien Mac Pro hoquette, mais le nouveau Mac Pro ne bronche pas. Ces applications sont les seules, à quelques rares exceptions près, à tirer parti des deux cartes graphiques qui font la spécificité de cette machine (lire : Mac Pro : des cartes graphiques qui font la paire). Des cartes graphiques avec lesquelles vous pourrez jouer une fois le travail terminé, même si un PC à 800 € ou une console de jeux feront mieux.
De votre activité dépend donc l’intérêt de ce nouveau Mac Pro, nul pour les tâches basiques, limité pour la photo ou l’audio, net et massif pour la vidéo et la 3D. Mais quoi que vous fassiez avec cette machine, elle restera incroyablement silencieuse : il faut coller l’oreille pour entendre son ventilateur ronronner, même pendant les opérations de rendu les plus complexes, et un système de stockage fera plus de bruit. Le cœur thermique est véritablement efficace, l’air extrait était au mieux tiède, tout comme le capot en aluminium. Rien n’empêche donc de laisser cette machine sur le bureau, à côté de l’écran, mais il faudra alors trouver un moyen de gérer les multiples câbles qui s’y brancheront.
Il serait bien présomptueux de discuter du choix d’Apple d’externaliser toute capacité d’extension : de l’adoption précoce de l’USB et du Wi-Fi à l’abandon précipité des disquettes et supports optiques, de l’ultraportable au tout-en-un en passant par les écrans très haute résolution, la très grande majorité de ses choix techniques a été validée. Fidèle à ses habitudes, la firme de Cupertino suit les usages de ses utilisateurs tout en les précédant : nombreux sont ceux qui utilisent déjà des interfaces et du stockage externe, mais Apple avance plus vite sans peur de froisser ses clients les plus conservateurs.
Reste qu’en l’espèce, l’exécution de ce concept n’est pas parfaitement satisfaisante. On ne peut pas brancher un écran 4K et du stockage sur n’importe quel port Thunderbolt, sauf à ne pas se soucier des performances. Les ports USB 3.0 sont là pour brancher des accessoires, pas forcément pour y brancher des systèmes RAID (lire : Mac Pro : les ports, c’est important, et pourtant…). Et tous ces ports sont arrangés sur une section courbe favorisant, à la longue, la déconnexion des câbles. Le Mac Pro est loin d’être difficile à vivre de ce point de vue, mais son principal défaut porte sur un des points les plus importants de sa fiche technique.
Pour conclure
De ce point de vue, Apple n’est pas uniquement en avance sur les usages : elle l’est aussi sur les technologies. Son processeur n’est pas aussi puissant qu’il pourrait l’être si Intel avait de la concurrence, ses cartes graphiques ne sont pleinement exploitées que par une poignée d’applications spécialisées, ses ports sont indispensables à toute évolutivité, mais en même temps la limitent.
Aussi détestable que soit cette expression, elle résume parfaitement cette machine : ce Mac Pro est « la rev A » d’une nouvelle façon de penser la station de travail professionnelle. Vous en avez besoin ? Foncez, c’est une superbe machine comme seule Apple sait en faire. Mais si vous n’en avez pas absolument besoin, réfléchissez un peu, surtout si vous utilisez des écrans 4K…
…et puis foncez quand même, tant cette machine est impressionnante, puissante, et attachante même dans ses petits travers.
Aller plus loin
La plupart des applications que nous utilisons dans nos tests ont été radicalement mises à jour ces derniers mois. Quitte à ne plus pouvoir directement comparer des machines, nous avons décidé de revoir notre procédure.
Au-delà de la valeur témoin qu’est le score Geekbench, nos tests « théoriques » doivent donner un bon aperçu des ressources de la machine. Ainsi parce que les cartes graphiques sont polyvalentes, elles sont désormais testées à la fois avec un « profil jeu » et avec un « profil 3D ». Et parce que la puissance brute n’est pas le seul élément à prendre en compte, nous mesurerons plus systématiquement la vitesse du disque et des connexions au réseau, ainsi que le bruit et la consommation énergétique des machines.
Nos tests « pratiques » se concentrent désormais sur un nombre réduit de domaines (audio, photo et vidéo). Nous avons reconduit nos anciens tests pour les applications grand public, mais avons adopté des tests standards pour les applications professionnelles. Nous utilisons ainsi BruceX et le Logic Multicore Benchmark Test pour mettre à l’épreuve les machines avec Final Cut Pro X et Logic Pro X, ou encore LuxMark pour avoir une idée de leur puissance de calcul avec OpenCL. Des tests que vous pouvez effectuer sur votre machine pour la comparer avec celles que nous testons.
Processeur
Le Mac que nous avons testé est doté d’un Intel Xeon E5-1680 v2 octocœur à 3 GHz. Il peut monter à 3,9 GHz sur un seul cœur, et chaque coeur physique devient deux cœurs logiques grâce à l’hyper-threading. Gravé en 22 nm, il affiche un TDP de 130 W et peut gérer jusqu’à quatre banques mémoire pour une capacité totale de 256 Go de RAM DDR-3 1 866 MHz.
Carte graphique
Notre machine de test embarque deux cartes AMD FirePro D700 basées sur l’architecture Tahiti XT spécialement optimisée pour le GPGPU. Avec ses 2 048 processeurs de flux et ses 6 Go de mémoire GDDR5, il s’agit de la carte pour Mac Pro la plus puissante : elle calcule jusqu’à 3 481 GFLOPS.
Par défaut, applications et jeux n’utilisent qu’une seule carte graphique : contrairement à Windows, OS X ne prend pas en charge la technologie Crossfire d’AMD. Chaque carte est en fait dédiée à une tâche précise : l’une est entièrement dévolue à l’affichage vidéo, l’autre s’occupe exclusivement des opérations de calcul.
Une application peut bien entendu profiter de la puissance combinée des deux cartes, à condition d’avoir été spécifiquement adaptée pour cela. Final Cut Pro X est le parfait exemple d’une telle adaptation, exemple suivi par BlackMagic avec DaVinci Resolve, The Foundry avec Mari, et bientôt Adobe avec Photoshop et Premiere.
Mais même dans ces applications, les cartes graphiques ne font pas tout. Dans Final Cut Pro X par exemple, le processeur reste important pour la lecture et l’exportation. Les cartes graphiques ne comptent que si vous ajoutez beaucoup d’effets : plus le projet est complexe, plus elles s’activent et plus la différence entre une D300 et une D700 se fera sentir.
La FirePro D700 n’est pas particulièrement spécialisée dans le jeu vidéo, mais elle est suffisamment puissante pour faire confortablement tourner les jeux les plus récents. Reste que si l’on veut jouer, mieux vaut installer Windows sur une partition Boot Camp pour profiter du Crossfire et de meilleures performances (lire : Mac Pro : des cartes graphiques qui font la paire).
SSD
En un mot comme en cent, les performances du SSD du Mac Pro sont excellentes. Il atteint jusqu'à 1,3 Go/s, pour un débit moyen de 1 Go/s en lecture (y compris pour de la vidéo) et 850 Mo/s en écriture. De quoi regretter qu'Apple n'ait pas jugé bon de coller une barrette SSD au dos de la deuxième carte graphique.
Entrées / sorties
Faites attention aux ports sur lesquels vous branchez vos appareils. Dans la documentation d’Apple, les ports Thunderbolt 2 du Mac Pro sont numérotés, de gauche à droite et de haut en bas, de 1 à 6. Les ports 1 et 3 sont associés au bus 1, les ports 2 et 4 sont associés au bus 2, et les ports 5 et 6 au bus 0.
Pour obtenir des performances maximales, branchez d’abord un appareil par bus, puis chaînez les systèmes de stockage jusqu’à saturer le port, puis enfin occupez tous les ports s’il le faut vraiment. Pour plus d’explications sur toutes les subtilités de l’architecture interne du Mac Pro en la matière, lire « Mac Pro : les ports, c’est important, et pourtant… ».
Les performances réseau sont excellentes : sur 30 tests réalisés à proximité immédiate ou à plusieurs mètres d’un routeur Wi-Fi 802.11ac, nous avons obtenu un débit moyen de 574 Mbit/s. On frôle sans surprise le gigabit en Ethernet, les deux ports ouvrant l’accès à l’agrégation de liens si votre équipement réseau le permet.
Bruit et consommation
Que vous surfiez ou que vous exportiez une timeline 4K, le Mac Pro reste très silencieux. On peut entendre son ventilateur, mais seulement en tendant l’oreille : sauf à travailler en chambre anéchoïque, les bruits de votre bureau seront plus forts. Le capot participe à la dissipation thermique et peut donc devenir tiède, mais jamais chaud.
Avec Safari lancé, nous avons mesuré la consommation du Mac Pro à 43 W. C’est bien moins que son prédécesseur, mais il dispose de bien moins de composants en interne et peut donc se contenter d’une alimentation 400 W.