Il devient difficile d’être véritablement surpris par les keynotes d’Apple, dont le contenu est désormais révélé des semaines à l’avance. Reste que l’avalanche de nouveautés présentée à cette WWDC 2015 est impressionnante : un OS X El Capitan attaché à la stabilité et aux performances, un iOS 9 plus intelligent et plus productif, un watchOS qui gagne en maturité, et enfin Apple Music. L’été va être dense pour les développeurs, et la fin de l’année riche en découvertes pour les autres.
OS X : oh capitaine, mon capitaine !
Plus de la moitié des utilisateurs de Mac sont passés à OS X Yosemite ces huit derniers mois, alors que seulement 7 % des utilisateurs de PC sont passés à Windows 8.1 dans le même temps. Il n’est toutefois pas certain que tous ces utilisateurs sont heureux : l’introduction d’une nouvelle interface a coïncidé avec l’apparition de très nombreux nouveaux bogues et ralentissements.
Voilà pourquoi Apple s’est attelée à « construire sur les bases de Yosemite en y apportant des raffinements », plutôt qu’à chasser la nouveauté à tout prix. OS X 10.11 s’appelle donc OS X El Capitan, du nom d’une des plus fameuses formations rocheuses du parc national de Yosemite. De la même manière qu’OS X Snow Leopard avait consolidé OS X Leopard, OS X El Capitan doit marquer une pause dans le développement des nouveautés au profit d’une stabilisation bienvenue du système d’exploitation des Mac.
Cela ne veut pas dire qu’OS X El Capitan ne contient absolument aucune nouveauté — il ne contient certes aucune nouveauté fonctionnelle majeure, mais il apporte des dizaines de petits raffinements. On pourrait citer les nouveaux gestes tactiles, ou les onglets épinglés de Safari, mais ceux qui concernent Spotlight et la gestion des fenêtres sont sans doute plus importants.
Introduit dans OS X Tiger, Spotlight s’est considérablement enrichi dans OS X Yosemite. OS X El Capitan lui ajoute quelques services web supplémentaires, mais aussi et surtout la capacité de comprendre des requêtes en langage naturel. On peut ainsi demander à Spotlight de trouver « toutes les présentations de Craig au sujet d’OS X El Capitan », une faculté qui s’étend à Mail (« trouve tous les mails de Nicolas que j’ai ignorés ») et le Finder (« trouve toutes les photos prises l’été dernier »). Oh, et la fenêtre de Spotlight peut enfin être redimensionnée et déplacée.
Apple a d’ailleurs fait un gros effort sur la gestion des fenêtres, assez bancale depuis l’introduction du mode plein écran dans OS X Lion. Mission Control, redessiné et accéléré (même si mon collègue Nicolas vous dira sans doute le contraire dès demain), prend pleinement la mesure de son rôle de gestionnaire de l’espace de travail. Il suffit de « jeter » une fenêtre dans son coin supérieur droit pour la passer en plein écran, ou de la glisser sur une application déjà en plein écran… pour la passer en mode « écran partagé ».
Car oui, OS X intègre enfin un mode « écran partagé » en plein écran, fonctionnant à la manière du « window snapping » de Windows. Il suffit de maintenir le bouton vert pour pouvoir « attacher » une fenêtre à un bord de l’écran ; on peut ajouter une autre fenêtre de l’autre côté, et redimensionner les deux comme on le souhaite. Cette fonction n’était pas forcément attendue sur Mac, mais elle est bienvenue — tout comme la possibilité d’ouvrir deux brouillons dans Mail en plein écran, quelle innovation !
Au-delà de ces petites nouveautés, Apple s’est surtout concentrée sur les performances et la stabilité d’OS X El Capitan. Les développeurs de la firme de Cupertino se sont attelés à optimiser des centaines de points du système pour accélérer des fonctions aussi communes que le lancement des applications (x1,4) ou l’ouverture des PDF (x4). L’API graphique de bas niveau Metal passe d’iOS à OS X : si Epic Games est évidemment l’un de ses premiers utilisateurs, elle n’est pas réservée aux jeux. Adobe s’en sert pour accéder directement à la carte graphique, et multiplier par huit la vitesse du rendu des effets dans After Effects. Une plus grande efficacité qui ne signifie pas uniquement meilleures performances, mais aussi meilleure autonomie.
OS X El Capitan est disponible dès aujourd’hui pour les développeurs enregistrés. Comme l’an passé, Apple proposera une version bêta publique à partir du mois de juillet. La mise à jour — gratuite — sera disponible pour tous à l’automne.
Un iOS 9 plus intelligent et plus productif
À la stabilité d’OS X El Capitan répond l’explosion de nouveautés dans iOS 9. Il faudrait parler de CarPlay, qui fonctionne désormais sans fil ; ou de HomeKit, qui prend en charge de nouveaux capteurs environnementaux et des systèmes de sécurité quelques jours à peine après son lancement en catimini ; ou même de Santé, qui suit de nouvelles sources de données. Mais iOS 9 est d’abord et avant tout une réponse à Google : à l’exploitation des données des utilisateurs dans le nuage, avec la possibilité qu’elles soient utilisées à des fins commerciales, Apple répond par le traitement de ces données sur l’appareil, sous le contrôle total de l’utilisateur.
Un but noble, mais qui a toujours empêché Siri d’être aussi intelligent que Google Now. Ce n’est plus le cas : Apple exploite enfin la puissance et les capteurs des iPhone pour traiter les données des utilisateurs en local et en contexte. Puisqu’il peut analyser plus librement les données de l’utilisateur, Siri sera ainsi capable de trouver « les photos prises en Bretagne l’été dernier », si tant est que l’été ait un jour atteint les plages bretonnes. Il est enfin capable d’extraire automatiquement les pièces jointes reçues par mail, d’ajouter des rappels contenant un lien vers Safari ou un message, ou d’identifier un numéro inconnu s’il figure dans la signature d’un courrier.
Puisqu’il peut exploiter plus agressivement les capteurs de l’iPhone, il sera aussi capable de vous rappeler de vérifier que vous avez pris vos papiers avant de monter dans votre voiture. Enfin puisqu’il peut observer le comportement de l’utilisateur, Siri peut aller vers lui plutôt que d’attendre d’être appelé. Vous branchez votre casque à 6h30 ? Siri vous proposera de démarrer la liste de lecture que vous avez écoutée les dix dernières fois que vous êtes allé courir. Vous le branchez en allant au travail deux heures plus tard ? Il vous proposera plutôt le podcast que vous n’avez pas eu le temps de finir lors de votre dernier trajet dans le métro.
Cette « proactivité » s’étend à Spotlight, qui reprend sa position à gauche de l’écran d’accueil. Enrichi de nouvelles sources de données et ouvert aux développeurs, il est désormais capable de lire des vidéos venues de Vimeo ou YouTube, ou de trouver du contenu à l’intérieur des applications. Google procède de même… dans Chrome. On voit bien là les choix effectués par Apple : le traitement est réalisé par l’iPhone, les données ne quittent jamais l’appareil, les requêtes ne sont pas croisées avec celles des autres services liés au même compte iCloud. Il y a là les germes d’une nouvelle bataille idéologique entre deux géants de l’informatique — d’autant qu’Apple proposera bientôt une application « Move to iOS » pour « aider » les utilisateurs d’Android à passer sur iOS.
Autre « ennemi », autre front, autre percée : Apple répond à Microsoft… en piquant le « window snapping » de la Surface. Après plusieurs années de développement, le multifenêtrage fait son apparition sur l’iPad. Un geste depuis le bord de l’écran permet de faire apparaître temporairement une deuxième application (SlideOver), par exemple pour répondre rapidement à un message. Un tap de confirmation permet de la fixer à demeure (SplitView) : on peut alors lui faire occuper un tiers, deux tiers, ou la moitié de l’écran, la deuxième application s’adaptant en fonction. Et si vous regardez une vidéo, elle peut tout simplement apparaître sous la forme d’une fenêtre flottante.
Ces fonctions s’adressent sans doute à un futur iPad Pro plus puissant : en l’état, SplitView n’est compatible qu’avec l’iPad Air 2 (SlideOver étant aussi compatible avec l’iPad Air et les deux derniers iPad mini). Les développeurs qui ont adopté Auto Layout et Adaptive UI ces dernières années n’ont rien à faire : leurs applications sont déjà compatibles. Autres nouveautés qui prendront peut-être tout leur sens avec un iPad Pro, la nouvelle barre Quick Type (qui intègre des raccourcis pour le copier-coller et le formatage, et peut servir de trackpad pour faire défiler le curseur avec deux doigts), et la pleine prise en charge des claviers externe (⌘⇥
y compris). On suppose qu’on en saura plus à l’automne sur ce point.
Au-delà de ces deux grandes nouveautés, Apple a aussi pris le temps de peaufiner certaines apps. Passbook devient Wallet — un nom qui fera hurler les utilisateurs d’Android — à la faveur de l’intégration des cartes de fidélité à Apple Pay, qui sera bientôt disponible en Grande-Bretagne. Notes s’inspirerait presque de l’excellent OneNote en s’intégrant directement à Safari, en gagnant une barre de formatage et un mode liste de tâches, et en héritant d’un mode dessin qui rappelle les outils d’édition d’Aperçu. Comme prévu, Plans intègre les transports en commun… mais uniquement dans quelques villes américaines, à Berlin et à Londres, ainsi que dans pas moins de 300 villes chinoises.
Enfin, Apple cède à la tendance de l’agrégation avec une application News entre Flipboard (l’application propose un flux personnalisé à partir de votre sélection initiale et de vos habitudes de lecture) et les Instant Articles de Facebook (Apple News Publisher permet de créer des articles interactifs exclusifs à Apple News). News signe l’arrêt de mort du Kiosque, qui n’a jamais rempli ses objectifs — mais dans un premier temps, elle sera réservée à une vingtaine de partenaires américains, britanniques et australiens.
iOS 9 profite des travaux d’optimisation lancés pour OS X Capitan, notamment en matière de calcul graphique avec Metal. Les iPhone devraient gagner une bonne heure d’autonomie — voire trois grâce à un nouveau mode basse consommation dont les contours ne sont pas encore bien définis. Or iOS 9 sera disponible sur tous les appareils compatibles avec iOS 8, y compris les « vieux » iPhone 4S. Et comme le poids de la mise à jour a été divisé par trois, même les iPhone dotés de seulement 16 Go de stockage pourront passer à iOS 9.
iOS 9 est disponible dès aujourd’hui pour les développeurs enregistrés. Pour la première fois, il sera disponible en bêta publique à partir du mois de juillet. La mise à jour — gratuite — sera disponible à l’automne.
Watch OS devient watchOS avec des apps natives
Watch 1.0.1 est à peine disponible qu’Apple présente déjà watchOS 2 — notez le subtil changement de graphie. Soyons francs : cette mise à jour pourrait s’appeler Watch OS 1.1 que cela ne changerait rien. Bien sûr, elle intègre les nouveautés d’iOS 9 comme Wallet, HomeKit et les transports en commun dans Plans. Siri gagne quelques fonctions comme l’affichage des coups d’œil (même s’ils ne sont pas installés), les appels pourront être passés à l’aide de FaceTime Audio, et on pourra ajouter des contacts Digital Touch directement depuis la montre (et dessiner en plusieurs couleurs, quelle avancée !).
Mais les nouveautés visibles sont très mineures… quand elles ne sont pas un rattrapage de fonctions qui n’avaient pas été terminées à temps. Ainsi, les « nouveaux » cadrans ont déjà été présentés, mais ils avaient été retirés à la dernière minute. Il faut dire qu’ils demandent sans doute plus de ressources que les cadrans actuels : un permet d’afficher un diaporama photo, l’autre affiche un timelapse de plusieurs lieux emblématiques synchronisés à l’heure exacte (Big Ben affichera donc 10h10 à 10h10).
Sur le cadran, la couronne digitale permet désormais de voyager dans le temps : elle pourra remonter le temps, par exemple pour voir le cours d’une action il y a deux heures, ou l’avancer, par exemple pour voir le prochain rendez-vous. Une fonction d’autant plus intéressante que les complications sont désormais ouvertes aux développeurs tiers, qui peuvent aussi coder des applications natives. Celles-ci pourront s’affranchir d’un iPhone et récupérer des données par le biais d’un réseau Wi-Fi… à condition que l’iPhone lié à votre montre s’y soit connecté au moins une fois au préalable.
WatchOS 2 est disponible dès aujourd’hui pour les développeurs enregistrés — on peut passer à iOS 9 sans installer watchOS 2, mais on ne peut pas installer watchOS 2 sans installer iOS 9. La version finale sera, là encore, disponible à l’automne.
One more thing : Apple Music
Puisque ce keynote n’était pas déjà assez dense, Tim Cook s’est senti obligé d’y ajouter one more thing : Apple Music. Comme prévu, il ne s’agit pas seulement d’un service de streaming : il s’agit d’une offre complète, destinée à repositionner Apple face à Spotify et ses concurrents, basée sur trois piliers.
Le premier n’est autre que la collection musicale de l’utilisateur, Apple Music reprenant les fonctions d’iTunes Match tout en s’affranchissant de ses limites (My Music — iTunes Match continue par ailleurs de fonctionner, avec les mêmes limites, pour ceux qui ne veulent pas passer à Apple Music). C’est une base extrêmement importante : elle permet de construire un profil qui permettra de personnaliser la présentation des nouveautés (New) et des listes de lecture constituées par une équipe d’éditeurs et une poignée de « curateurs » (For You).
Le champ de recherche de la collection de l’utilisateur se confond avec celui d’Apple Music, la collection de l’utilisateur se confond avec celle de l’Apple Music. La distinction entre les deux s’efface à ce point qu’il est possible de modifier les listes Apple Music comme les siennes, et de télécharger les morceaux Apple Music pour une écoute hors-ligne (y compris sur l’Apple Watch, après avoir synchronisé les morceaux depuis l’iPhone).
Le deuxième pilier est une radio : Apple ne concurrence pas seulement Spotify, mais aussi Pandora, et continue de faire vivre la marque Beats par son entremise. Cette radio, disponible dans 100 pays et diffusant en continu, s’appelle en effet Beats One. Placée sous l’égide de Zane Lowe, Ebro Darden et Julie Adenuga, elle sera programmée depuis Londres, New York et Los Angeles. Alors que les fonctions de streaming demandent d’aller vers la musique, la fonction de radio permet de se laisser bercer au fil d’une sélection — on pourra toutefois choisir parmi l’un des neuf canaux par genre.
Enfin, Connect n'est rien d’autre que la renaissance de Ping, le réseau social qui met en relation artistes et fans. C’est sans doute le pilier le moins solide d’Apple Music, d’abord parce qu’il rappelle un funeste précédent, ensuite parce que sa présentation par Drake n’avait ni queue ni tête. Disons que l’intégration de clips et de making-of fera de l’ombre au nouveau-né Tidal — trois piliers, trois formes de services musicaux en ligne, trois angles par lesquels Apple attaque pour défendre sa prééminence sur le marché de la musique.
Et elle attaque fort : Apple Music sera disponible dès le 30 juin sur iPhone (dans la nouvelle app Musique sur iOS 8.4), Mac et PC (avec la dernière version d’iTunes), ainsi que cet automne sur Android. Les trois premiers mois sont offerts — on pourra toujours accéder à Connect et Beats One sans payer. Pour accéder aux autres fonctions, il faudra ensuite payer 9,99 € par mois — ou seulement 14,99 € pour une offre familiale comprenant six personnes et coordonnée au Partage familial iCloud.