La montagne de la régulation européenne des grandes plateformes comprend deux versants. Le premier, c'est le Digital Markets Act (DMA), ou encore la législation sur les marchés numériques qui a abouti à un accord fin mars, avec une mise en œuvre prévue au début de l'année prochaine.
L'autre versant, que les institutions européennes viennent tout juste de grimper, c'est le Digital Services Act (DSA), autrement dit la législation sur les services numériques. Un accord a en effet été trouvé dans la nuit de vendredi à samedi, au terme d'un ultime trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil.
Si le DMA fixe de nouvelles règles pour encadrer les pratiques des contrôleurs d'accès — ce qui va profondément bouleverser le modèle économique de l'App Store et de l'iPhone —, le DSA fixe les responsabilités des plateformes sur les questions de désinformation et de manipulation en les forçant à jouer le jeu de la transparence et du contrôle démocratique.
Dans le détail, des mécanismes de suppression de contenus illicites vont être mis en place : les consommateurs pourront plus facilement signaler ce type de contenus. Après signalement, les plateformes devront rapidement supprimer les produits, services et contenus illégaux. Les consommateurs auront aussi la possibilité de contester les décisions de modération des plateformes. Ces dernières devront également faire la transparence sur les algorithmes utilisés pour leurs recommandations.
Le DSA contient aussi une disposition visant à améliorer la traçabilité des vendeurs sur les marketplaces, l'objectif étant de repérer ceux qui écoulent des marchandises illicites. Enfin, le texte créé un nouveau comité européen des services numériques, une structure de contrôle pour « remédier à la complexité de l'espace en ligne ».
En résumé, le DSA vise au renforcement du contrôle des utilisateurs et de la puissance publique sur les plateformes pour les contenus publiés en ligne. Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, avait expliqué lors de la présentation du texte, en décembre 2020, que « ce qui est interdit dans le monde réel l'est également dans le monde virtuel », soit (liste non exhaustive) les discours haineux, la pédopornographie, mais aussi la vente de produits contrefaits.
Qui est concerné ?
Cette législation va s'appliquer sur les très grandes plateformes en ligne qui atteignent plus de 10 % des 450 millions de consommateurs en Europe, et qui présentent des risques de diffusion de contenus illicites ou pouvant constituer des « dommages sociétaux ». On peut penser à Facebook et probablement Twitter.
Ces très grandes plateformes ont des obligations plus strictes, en proportion des risques sociétaux qu'elles font peser en diffusant du contenu haineux ou de la désinformation. Des audits auront lieu chaque année. Elles devront aussi proposer une option d'affichage du contenu qui ne soit pas basée sur le profil de l'utilisateur.
Les plateformes en ligne qui réunissent vendeurs et consommateurs sont également dans la cible : Amazon bien sûr, mais aussi les boutiques d'applications, les plateformes de réseaux sociaux et celles de l'économie collaborative. Il faudra voir ce que le DSA peut changer concrètement pour l'App Store et le Play Store, par exemple pour la chasse aux contenus illicites, les obligations de retrait ainsi que la transparence sur les algorithmes.
Les plateformes devront faire en sorte que les procédures de désabonnements soient aussi simples que de s'abonner. Les manipulations d'interface (« dark patterns ») sont elles aussi prohibées : les entreprises ne doivent pas mettre en avant leurs services par rapport à ceux des concurrents.
Les services d'hébergement en ligne et infonuagique sont aussi concernés, tout comme les « services intermédiaires » qui proposent des infrastructures de réseau, autrement dit les fournisseurs d'accès à internet et les bureaux d'enregistrement de noms de domaine.
À l'instar du DMA dont les amendes sont particulièrement salées (10 % du chiffre d'affaires annuel mondial), les sanctions contre les entreprises qui ne respecteraient pas les règles du DSA sont élevées. Elles pourront en effet représenter jusqu'à 6 % des revenus annuels, ce qui peut se monter à 26 milliards d'euros pour Amazon, ou encore 14 milliards pour Google !
Cet accord n'est pas l'épilogue du DSA. Il faut maintenant que le texte soit examiné par des avocats et soit correctement traduit dans les langues de l'Union. Ensuite, le Parlement et le Conseil donneront leur feu vert. Le DSA sera actif 20 jours après sa publication dans le Journal Officiel de l'UE, mais les règles à proprement parler ne seront pas mises en œuvre avant 15 mois.
Une délégation de la commission au marché intérieur se rendra du 23 au 27 mai dans la Silicon Valley pour visiter Meta, Google, Apple et les autres pour discuter du DSA et des autres dispositions inscrites dans le DMA.