Dans les coulisses de la présentation de l'iPhone

Stéphane Moussie |

La genèse de l'iPhone n'est plus vraiment un mystère. Plus de six ans après la présentation du modèle original, de nombreux témoignages, dans les tribunaux ou dans des livres, ont levé le voile sur la création du smartphone d'Apple.

En revanche, sa naissance publique était encore entourée de secrets. Le New York Times donne un éclairage inédit sur la présentation de l'iPhone par Steve Jobs à la Macworld de 2007. Andy Grignon, un ingénieur d'Apple qui a participé à l'organisation du keynote, raconte l'envers du décor.

Image (cc) Blake Patterson.

Le 8 janvier 2007, sur la route menant à San Francisco, Andy Grignon est terrifié. Épuisé émotionnellement et ayant pris une vingtaine de kilos depuis le début du projet, il rejoint le Moscone Center pour assister à la présentation publique de l'iPhone. En tant que membre de l'organisation du keynote, il a déjà vu, des dizaines de fois, la démonstration donnée par Jobs. Mais aujourd'hui il ne s'agit plus de répétitions. Des médias du monde entier vont retransmettre en direct la présentation du premier téléphone d'Apple.

Si l'iPhone ne capte pas ou ne parvient pas à se connecter à internet en Wi-Fi, Andy Grignon est responsable. L'homme connait bien Apple. Il y est entré en 1995 dans le département R&D et a notamment participé à la définition du protocole RTSP dans le cadre de son travail sur QuickTime. En 2000, il rejoint une autre entreprise, Pixo, qui est achetée dans la foulée par Apple et dont le logiciel se retrouve au cœur de l'iPod. Retour chez Apple pour Grignon donc, qui est embarqué dans l'aventure iPhone en juin 2005.

Après avoir gardé pendant des mois le secret sur ce produit qui doit réinventer le téléphone, Grignon s'active à ce que la révélation se déroule sans la moindre anicroche. La sécurité est poussée à son maximum. Plus d'une douzaine d'agents de sécurité surveillent 24 heures sur 24 le Moscone Center. Impossible d'entrer dans le bâtiment si l'on ne figure pas sur la liste approuvée par Jobs lui-même. Le patron d'Apple a également demandé à ce que toutes les personnes organisant l'événement dorment sur place la veille de la présentation.

Dans un premier temps, Grignon est heureux de participer aux préparatifs, mais il déchante vite. À chaque répétition, son lot de problèmes. Les conversations avec Steve Jobs pendant ces cinq jours se résument à des invectives. « Vous foutez en l'air mon entreprise », « Si nous échouons, ça sera de votre faute », le réprimande un Jobs acharné. « Vous vous sentez toujours tout petit à côté de lui », explique l'ingénieur.

Le dernier jour des répétitions, l'iPhone rencontre toujours des soucis. Appels qui échouent, connexion Internet qui déraille… L'iPhone va même jusqu'à planter ou s'éteindre. Pas de quoi rassurer Jobs qui rejette sa colère sur toute l'équipe.

En janvier 2007, l'iPhone n'est pas terminé. L'appareil ne sera commercialisé qu'en juin. La chaîne de production n'est pas encore mise en place et la centaine d'unités déjà produites présentent des problèmes de finition. Certains exemplaires ont des écrans mal ajustés ou des éraflures. Sans compter sur le logiciel, qui ne porte pas encore le nom d'iPhone OS, rempli de bugs. Il est impossible de lire une vidéo en entier et il faut effectuer les tâches dans un ordre particulier. Les ingénieurs ont réussi à paver « un sentier d'or » (golden path), une séquence de tâches qui peuvent être effectuées sans que le téléphone ne plante, en théorie. Mais même en restant dans les clous, Steve Jobs n'est pas à l'abri d'un problème.

Image (cc) Tim Malabuyo.

La prise en charge du Wi-Fi par le système est encore tellement instable que les antennes du téléphone sont prolongées avec des câbles allant jusqu'à l'extérieur de la scène pour éviter que le signal sans fil n'ait trop de chemin à parcourir. De plus, le réseau Wi-Fi est configuré sur des fréquences japonaises et le SSID caché pour éviter certains problèmes que pourrait causer un public de 5 000 technophiles.

AT&T, l'opérateur américain qui a l'exclusivité, a apporté une antenne téléphonique portable pour assurer une bonne réception. Il y a peu de chance que la connexion cellulaire ait un problème quand Jobs passe un appel. En revanche, sur toute la durée de la présentation, 90 minutes, il est très probable que la connexion cesse puis reprenne à plusieurs reprises. Pour ne pas laisser transparaître ce souci, les ingénieurs, avec l'accord de Jobs, ont inscrit en dur les cinq barres de réception. Ainsi, quoiqu'il se passe, l'iPhone aura toujours un excellent signal réseau aux yeux du public.

L'autre inquiétude, ce sont les 128 Mo de RAM de l'iPhone qui obligent à redémarrer le terminal après une poignée d'actions réalisées. Jobs peut changer d'appareil entre chaque démo, mais Grignon est inquiet pour le bouquet final, le moment [à partir de 57:24 dans la vidéo] où Jobs enchaînera avec un seul iPhone de la lecture de musique, un appel de Phil Schiller, la navigation dans les photos, l'envoi d'un email et l'utilisation de Safari.

Les ingénieurs ont par ailleurs dû modifier tous les iPhone de présentation. Il était inconcevable pour Jobs de montrer l'interface de l'OS avec simplement une caméra filmant en gros plan l'écran du téléphone. Les doigts auraient gêné la visibilité. La solution adoptée a été d'ajouter une sortie vidéo au dos de l'iPhone. L'écran de l'iPhone est alors partagé via un câble vidéo relié au projecteur.

« C'est le jour que j'attends depuis deux ans et demi », déclare solennellement Steve Jobs le 8 janvier à 9h40. Dans le public, Andy Grignon est au cinquième rang avec les autres ingénieurs et managers. Comme moyen de faire tomber la pression, une flasque de whisky. À chaque démo, celui qui est responsable de la fonction présentée boit un coup. « Quand le final est venu — et ça a été comme ça pendant toute la présentation — nous avons vidé la flasque. C'était la meilleure démo à laquelle nous ayons jamais assisté. »

Sur le même sujet : - Des anecdotes sur la conception de l'iPhone - Wired raconte la création de l'iPhone - Jobs et Ive rêvaient d'un premier iPhone 100% aluminium
avatar Anonyme (non vérifié) | 

Pensée à toi S.J tu fais remarquablement bien les choses en tout cas.
C'est aujourd'hui grâce à toi qu'Apple est au sommet, ne l'oublions pas, c'est beaucoup de travail.

avatar thibbaud | 

Plus de 6 ans après !

avatar Malvik2 | 

Très intéressantes et amusantes ces anecdotes, merci ! Sacré parcours depuis tout de même...
Par contre puisqu'on parle de bugs perso je ne suis ma satisfait d'ios7, encore beaucoup trop bugué pour une gm

avatar @grandbobotte | 

Presqu'aussi intéressant que les coulisses de la G'Botte Car!

avatar @grandbobotte | 

Faudra une fois que je raconte ça au New York Times tiens!

avatar Anonyme (non vérifié) | 

Un super article comme je les aimes!
J'aurai jamais imaginé que c'était a ce point.

avatar fredseg | 

C'est avec ce genre d'expérience que l'on comprend mieux l'étymologie de l'anglais "deadline"...

avatar Anonyme (non vérifié) | 

Un super article comme je les aimes!
J'aurai jamais imaginé que c'était a ce point.

avatar Anonyme (non vérifié) | 

Un super article comme je les aimes!
J'aurai jamais imaginé que c'était a ce point.

avatar Anonyme (non vérifié) | 

Un super article comme je les aimes!
J'aurai jamais imaginé que c'était a ce point.

avatar Bruno de Malaisie | 

À la lecture de cet article, je ne peux qu'être encore plus impressionné par S. Jobs en pensant à combien naturel il paraît être alors qu'il a à jongler avec plusieurs iPhones pour faire cette Keynote.
La meilleure assurément.....
Apple a réinventé le téléphone. Mais Steve Jobs a aussi réinventé les présentations....

avatar whocancatchme | 

Le mieux c'est quand il appelle phil schiller et qu'il dit "hey steve i wanted to be the first call" ! Sinon le NYT ils ont tous le temps des superbes articles, comme allthingD d'ailleurs

avatar Yohmi | 

Si cela paraît sûrement logique, j'avoue que j'étais loin de penser que le produit était à un stade aussi instable, et donc la présentation aussi risquée… on peut quand même saluer l'astuce dont tout l'équipe a su faire part, et aussi la bonne étoile, parce que mine de rien, techniquement, rien ne semblait assuré. Génial comme article :D

avatar popo69 | 

Je vais faire un essai

avatar Bruno de Malaisie | 

C'est d'autant plus impressionnant quand on voit le naturel de Jobs sur la scène....
Il devait jonglé entre plusieurs iDevices en plus?
Apple a réinventé le téléphone avec cet iPhone en tout cas. Aucun téléphone digne de son nom ne ressemblera à un des "Usual suspects" comme il les appelait....

avatar Bruno de Malaisie | 

Il devait jongler
C'est moi qui devrais me relire avant d'envoyer......:(

avatar vin$$ | 

@Malvik2 :
Beh passe à le 7.0.2

avatar rondex8002 (non vérifié) | 

J'aurai jamais pu supporter de travailler avec un gars aussi colérique et lunatique. Même s'il avait un immense talent. Le talent à de multiples facettes. Et faire en sorte que ses employés soient motivés, mais pas stressés au point d'avoir peur de se faire virer au moins accroc en est un. Heureusement que le plan s'est déroulé sans accroc.. ;-)

avatar toucan39 | 

Quand on bosse avec S. Jobs il faut avoir les nerfs solides.

Si non il faut faire fonctionnaire ...

Un être d' exception demande des qualités pour ses lieutenants .Tout le monde n' est pas Phil Schiller, Tim Cook , Jonny Ive ...

avatar toucan39 | 

Quand on bosse avec S. Jobs il faut avoir les nerfs solides.

Si non il faut faire fonctionnaire ...

Un être d' exception demande des qualités pour ses lieutenants .Tout le monde n' est pas Phil Schiller, Tim Cook , Jonny Ive ...

avatar hledu | 

Des moments qui comptent dans un parcours professionnel! Une tension immense mais la satisfaction est à la hauteur...
Jobs était manifestement un manager très rude mais qui a emmené ses collaborateurs là où peu sont allés... A chacun de voir si il aurait souhaité vivre cette expérience. Mais je pense que peu l'ont regretté.

avatar toucan39 | 

Un être exigent est aussi exigent avec lui même.

Epuisant, mais combien enrichissant de bosser avec un individu qui à marqué le Monde dans son domaine, contrairement a Bill Gate, qui est juste un escroc opportuniste.
Ou le gangster de E. Schmit qui est un voleur .

avatar axool76 | 

Merci MacG pour ce genre d'articles, ça fait vraiment rêver. Steve Jobs était quelqu'un de vraiment remarquable. Depuis que j'ai vu le film au cinéma, que j'ai trouvé personnellement pas mal du tout, je suis fasciné par ce qu'il incarnait. Je suis d'ailleurs en train de lire sa biographie depuis quelques jours... En tout cas, des articles comme cela, on en veut d'autres et c'est bien ce qui fait votre force je trouve ;-) !

avatar Ricky McLane | 
avatar Hideyasu | 

Super article, merci encore & rien à dire ! :)

avatar toucan39 | 

Merci pour cet article, du beau travail, bravo.

avatar toucan39 | 

Merci pour cet article, du beau travail, bravo.

avatar Stanley Lubrik | 

Moi aussi, j'avais lu cette histoire ailleurs il y a quelques jours...

C'est d'ailleurs gonflé après toutes ces histoires autour de 128 Mo, trop justes dès le départ (le récit en parle), d'avoir osé sortir un iPad 1 avec seulement 256 Mo pour un écran 4 fois plus grand à animer... Mais tout en sortant un iPhone en 512 Mo presque simultanément.... Ou comment vendre aux gens un prototype de leur téléphonie et informatique de demain, et qui se sont donc avérées nettement plus mature 2 ans après la sortie de chacun de ces engins...

Sinon, l'intrigue tient de "Mission impossible" !

avatar XiliX | 

Je pense sincèrement que c'était le meilleur "One more thing" de toute l'histoire d'Apple...

avatar patrick86 | 

Quelqu'un connais-t-il l'astuce qu'Apple utilise aujourd'hui pour récupérer la video de l'iPhone, et l'inclure dans une photo d'iPhone sur le diaporama ?

avatar Applesoft | 

Toutes ces contraintes techniques, on y a vu que du feu pendant la keynote ! Chapeau l'artiste.

On se rend compte de la tension qu'infligeait Jobs à ses collaborateurs. Toute sa carrière aura démontré (on s'en rend compte en lisant la bio de Jobs) que Jobs était un maître dans l'art de mettre sous tension et obtenir de ses collègues ce qu'on pensait impossible. Le meilleur ne sort que sous une contrainte extrême. Ça continue de m'impressionner car je crois que peu gens en sont capables, d'autant que notre bon sens nous pousse souvent à estimer que l'harmonie est la condition de la réussite (avec Jobs, c'était toujours l'inverse)... Après je dis pas que certains ont du avoir la vie facile avec ce bonhomme !

avatar iRobot 5S | 

Apple nous a superbement arnaqué durant cette keynote, mais bon faut bien commencer quelque part !

avatar RDBILL | 

moi je tire mon chapeau à ce type. Le show a été parfait mais quel stress pour lui !
Quel stress ! Bravo le mec !

avatar Gueven | 

@iRobot 5S :
Dit moi ou est l'arnaque ?
Les acheteurs de première heure ont bien eu l'équivalent de ce qui était présenté lors de la keynote.

Le contraire aurait été vraiment une arnaque.

Qu'ils contournent les bugs connus est tout à fait légitime pour une présentation presse.

D'ailleurs la presse n'avait pas accès au téléphone. Donc on s'avait à quoi on avait à faire avec ce type de Keynote.

avatar iAnn | 

Mince... la vidéo est vachement plus stressante à regarder quand on sait l'envers du décors...
Superbe Keynote... quand on voit où l'on en est avec les smartphones aujourd'hui, on peut lui tirer notre chapeau !
Un sacré visionnaire.

avatar Anonyme (non vérifié) | 

Super article!

avatar r0m135 | 

Bon article, merci

avatar Maathuvu | 

Je relance une question demandée précédemment (mais toujours sans réponse, sauf erreur de ma part)

Comment Apple fait pour afficher ce que ce qui se passe sur l'iPhone (et sans fil) dans une présentation Keynote ??

Une sorte de Airplay version 2 réservé à Apple ?

avatar patrick86 | 

@Maathuvu :

J'ai cherché un peu… On peut le faire vie AirPlay, avec l'app Reflector (http://www.airsquirrels.com/reflector/) mais payant. Cette app intègre la recopie de l'écran dans une image d'iPhone (ou iPad).

J'ai plutôt l'impression qu'Apple fait ça par câble, les appareils sont toujours branchés lors des démos.
La question est : est-ce qu'Apple gère ça directement dans Keynote, et si oui comment ?
Il se peut aussi que ce ne soit pas géré par Keynote, mais par un deuxième Mac se contente d'afficher l'image de l'iPhone contenant la recopie video, sur un fond identique à celui du diapo. Il suffirait alors de choisir le signal video envoyé au projecteur.

avatar Anonyme (non vérifié) | 

Good jobs !

avatar kitetrip | 

Cet article est génial sur MacG.
Comme quoi l'iPhone est un côté hardware un appareil comme les autres... Mais ça me fait détester ces méthodes tellement actuelles : tout dans le rush, tout à l'arrache, tout pour le paraitre avec la com' qui fait le reste.
Alors c'est sûr 6 mois après l'OS était nickel, mais un patron qui présente un produit mal fini, qui crie sur ses équipes, on est loin du génie que l'on présente à chaque fois...

avatar toucan39 | 

Si justement un génie n' est pas tiède .
Il sait amener ses équipes a se dépasser .

avatar Laurent S from Nancy | 

Sur ce coup la c'était quitte ou double. Chapeau bas pour le resultat final malgré tout...

Et c'est aussi dans ces moments la qu'on comprends que bosser pour Steve Jobs était à la fois fascinant et extrêmement stressant...

avatar Hideyasu | 

@toucan39 :
Bill Gates était tout de même un génie aussi c'est indéniable ...

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