Questions autour de la présence d'ARM dans l'iPad

La redaction |
Il s'agit d'une des énigmes les plus croustillantes de ces dernières années dans le domaine des nouvelles technologies. Le silence d'Apple sur l'architecture utilisée pour concevoir son processeur A4 émoustille la petite planète des experts en microélectronique et en code logiciel. Qu'a donc logé la firme au cœur de sa "tablette magique" ? Et s'il ne s'agit pas d'un ARM Cortex A8, de quoi s'agit-il ? Surtout, qu'est-ce qui motive son choix technologique ?

Depuis sa présentation en janvier, on a entendu tout et son contraire sur le processeur qui motorise l'iPad. ARM Cortex A9 pour les uns, ARM Cortex A8 pour d'autres, processeur optimisé par des ingénieurs maison pour certains, implication de la start-up Intrinsity (rachetée par Apple) pour leurs contradicteurs… Décidément, le petit bout de silicium issu des fonderies de Samsung, mais conçu dans les laboratoires de l'Infinite Loop participe du mystère qui entoure le succès de l'iPad.

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Le 10 mai dernier, la messe semblait enfin avoir été dite : après un passage aux rayons X réalisé par iFixit et Chipworks, UBM TechInsight faisait passer à l'A4 une batterie de tests logiciels ainsi que de benchmarks qui validaient la théorie d'une utilisation du Cortex A8.

L'énigme semblait résolue. Il s'agissait d'un modèle mono-core tournant à 1 GHz sur une architecture de jeu d'instructions ARMv7. Soit la plate-forme de référence qui sert actuellement de base à la conception des processeurs ARM et sur laquelle tourne iPhone OS. Apple l'utilise volontiers depuis des années (ARM faisait déjà tourner le Newton). On retrouve d'ailleurs des membres de cette famille de processeurs dans 80% des téléphones portables de la planète, dans les bornes AirPort Extreme, dans les consoles de jeux portables, ou encore dans l'iPod touch.

Dans l'A4, ce morceau de silicium aurait été couplé à un processeur graphique PowerVR SGX d'Imagination Technology, un partenaire habituel d'Apple. La Pomme a même pris en décembre 2008, une petite participation de 3,6% dans le capital de cette société anglaise (lire Apple investit dans les puces 3D pour mobiles).

La théorie ARM fait long feu

Plusieurs grains de sable viennent bousculer cette belle théorie. Le premier concerne la pertinence de l'analyse réalisée pour certifier la présence d'un Cortex dans le cerveau de l'iPad. Les remarques les plus intéressantes proviennent de Mark Hibben, un électronicien ayant travaillé dans le domaine de l'aérospatial sur des technologies de radar, de laser, de télédétection et sur les microprocesseurs utilisés pour les piloter. Selon lui, l'examen attentif du substrat de l'A4 et son analyse subséquente permettent d'écarter la piste du Cortex A8. Il fonde son assertion sur la comparaison retenue tant par Chipworks que par UBM TechInsight : les deux laboratoires se sont basés sur le Cortex A8 de l'iPhone 3GS conçu par Samsung pour comparer les deux design.

Chipworks a ainsi confirmé que le processeur A4 d'Apple avait utilisé une technologie de gravure à 45 nm et que sa surface était de 53,3 mm2. Grâce à l'espace gagné, Apple est parvenue à ajouter près de 50 millions de transistors de plus que sur la puce de l'iPhone 3GS. De quoi ajouter un second cœur et la mémoire cache qui va avec. On sait désormais qu'il n'en est rien : l'A4 ne possède qu'un seul cœur. D'ailleurs, l'iPad ne dégage pas plus de puissance qu'un vulgaire Cortex A8 boosté à 1 GHz. À quoi peuvent donc servir ces 40% de composants électroniques embarqués en plus sur l'A4 s'ils ne permettent pas d'obtenir plus de vigueur ?

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Le processeur A4


La question mérite d'être posée, d'autant plus si l'on compare l'A4 à un processeur de Texas Instrument aux fonctions comparables. Le TI OMAP 3530, un SoC (System on Chip) constitué des principaux composants électroniques qu'on devrait trouver dans l'A4 réunit un cœur processeur, la même puce graphique, de la mémoire et une puce de traitement du signal. Gravé à 65 nm, il est sorti début 2008 au moment où Apple a probablement commencé à travailler sur la puce de l'iPad. En réalisant une mise à l'échelle du processeur de Texas Instrument avec l'A4, Mark Hibben a découvert que la surface nécessaire pour contenir le Cortex A8 était moitié moindre de celle du processeur d'Apple. Pire : la zone où le cœur du Cortex A8 est supposé avoir été implanté s'avère près de deux fois plus grande. La conclusion de Mark Hibben ne se fait pas attendre : considérant les très grandes différences entre le processeur de TI et l'A4, ce dernier n'est sans doute pas constitué autour du ARM Cortex A8.

Des incohérences côté logiciel

Le second grain de sable qui invalide la présence de ARM dans l'A4 (et qui écarte également le Cortex A9) concerne les résultats logiciels obtenus : Craig Hockenberry d'Iconfactory, le créateur du client Twitter "Twitterific", remarque un certain nombre de bizarreries. En moyenne, indique-t-il sur son blog, l'iPad exécute les applications deux fois plus vite que l'iPod 3GS. Pour le déduire, il a mesuré la vitesse de traitement de la même application test, Pantstest.

Les résultats indiquent une vitesse deux fois plus rapide de l'iPad, alors que l'iPhone et l'iPad utilisent deux versions différentes de iPhone OS (respectivement la 3.0 et la 3.2). En fait, dans le détail, la multiplication des performances varie de 1,5 à 3,91 sur une application native, et de 1,2 à 2,43 en ce qui concerne JavaScript. L'hétérogénéité de ces résultats pose d'emblée question, alors que les spécialistes s'entendent généralement sur leur habituelle linéarité. Craig Hockenberry l'attribue à l'utilisation d'un compilateur "juste à temps" ou de l'utilisation de la mise en cache de certaines données. Difficile d'en savoir plus si aucun test similaire n'est réalisé sur les différentes versions d'iPhone ou d'iPod touch. Mais le développeur relève un dernier détail : l'iPad indique "zéro" quand on lui demande la vitesse de son processeur à l'aide d'une commande Unix de base, alors même que l'iPhone fournit habituellement cette réponse.

De nombreuses autres singularités sont relevées tant du point de vue matériel que du point de vue logiciel. Impossible par exemple de connaître le jeu d'instructions utilisé par le processeur A4. Par ailleurs, l'emploi du terme "Universal Binary" (utilisé par Apple lors de sa transition des puces PowerPC vers les puces Intel) pour qualifier le code généré par le kit de développement logiciel (SDK) de l'iPad intrigue. Si c'est bien de l'ARM qui est utilisé dans l'A4, pourquoi demander la génération de code universel, capable de tourner sur iPhone, iPod touch et iPad ? La version précédente du SDK était capable de produire des applications compatibles sans que des modifications soient nécessaires. Bizarre, bizarre… mais voilà de quoi donner un nouveau coup de projecteur sur les raisons masquées qui poussent Apple à maintenir un contrôle strict de ses outils de développements.

Quel autre choix technologique ?

S'il ne s'agit pas d'un processeur ARM qui motorise l'iPad, alors de quoi s'agit-il ? Si Craig Hockenberry ne se pose pas de question, Mark Hibben, sans être catégorique, se demande si la théorie soulevée en 2008 à l'occasion du rachat de PA Semi par Apple et déjà évoquée par ailleurs ne serait pas la plus logique.

À l'appui de son explication, il avance une simple question de stratégie. "La perception selon laquelle le A4 est basé sur le Cortex A8 m'inquiète quant au futur de l'iPad et d'Apple en général", écrit-il sur son blog. "L'iPad serait freiné des deux côtés en même temps. D'une part, il va y avoir les tablettes et les smartphones basés sur le Cortex A9 et tournants sur Google OS et Flash 10.1 pour mobile. D'autre part, nous trouverons les netbooks tournant sous Windows 7 et les nouveaux processeurs Intel Atom gravés à 32 nm qui l'attendent au coin de la rue. Cela aurait été une compétition très sévère pour l'humble Cortex A8. Heureusement, Apple ne semble pas s'être embarrassé d'un tel boulet."

L'éviction du Cortex A8 de l'architecture du A4 vient également en appui aux propos de Steve Jobs lors du lancement de la tablette : "iPad est propulsé par notre propre silicium. Nous avons un groupe incroyable qui réalise des puces à façon au sein d'Apple. Nous avons une puce dénommée A4, la plus avancée que nous n'ayons jamais réalisée et qui motorise l'iPad. Elle comprend le processeur, les fonctions graphiques, les entrées/sorties, le contrôleur de mémoire, l'ensemble sur cette seule puce. Et elle déchire.".

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Si, comme l'écrivait Jon Stokes chez Ars Technica, l'A4 n'était qu'une version du Cortex A8 avec moins de fonctionnalités, les propos de Jobs auraient largement dépassé son habituel champ de distorsion de la réalité. Mais Apple est réputée dans la Silicon Valley pour disposer aussi d'une très bonne équipe de concepteurs de processeurs. Demandez à Intel tout ce que ses ingénieurs ont appris au contact de cette équipe, notamment en terme de traitements vectoriels.

L'hypothèse la plus probable concerne bien l'utilisation du savoir-faire de PA Semi dans les mois qui ont suivi l'annonce de son rachat en avril 2008. Les compétences de cette start-up reposaient principalement sur sa capacité à encapsuler dans une seule puce ce que les autres fondeurs répartissaient sur plusieurs : unité de calcul, mémoire cache, contrôleur de mémoire vive, entrées et sorties, ainsi qu'un nombre improbable d'autres fonctions, comme l'ajout de protocoles ou de cœurs à volonté. Malgré tout ce qui aura été dit sur les temps de développement des processeurs, cette théorie prend en compte le fait que l'équipe de PA Semi avait mis au point une architecture processeur modulaire dont elle assurait qu'il lui suffisait d'un trimestre pour configurer un processeur en faisant varier les différents paramètres et composants requis.

Le mythe du processeur A4 n'est donc pas prêt d'être levé. Apple dispose depuis longtemps d'un savoir-faire dans le domaine des processeurs. Après avoir enrôlé certains profils de haut vol ou racheté quelques start-up à la pointe des dernières technologies, la firme aura été certainement capable de concevoir une puce destinée à différencier ses quelques produits mobiles. L'A4 n'est d'ailleurs sans doute que le premier membre d'une famille qui permettra d'élever des barrières suffisantes pour que ses concurrents aient beaucoup de mal à freiner son actuelle accélération.

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