Foxconn : retour sur la grève de l'usine de Zhengzhou

Florian Innocente |
Monotonie, pression, sentiment d'être pris en tenaille entre les ouvriers qu'il faut superviser et la hiérarchie à qui il faut rendre des comptes… The Economic Observer, un hebdomadaire chinois, raconte le quotidien des salariés de l'usine de Foxconn à Zhengzhou, et plus particulièrement ceux affectés à la vérification du travail réalisé sur les chaînes de fabrication.

C'est dans cette usine de l'est de la Chine qu'avait éclaté, début octobre, une grève de 3000 à 4000 employés affectés à la production de l'iPhone 5. Un débrayage avait également touché ces contrôleurs, ces derniers protestaient suite à des violences physiques dont une poignée d'entre eux avait été victimes de la part d'ouvriers exaspérés (lire Foxconn : une grève relative au contrôle qualité de l'iPhone 5).

Fin 2011, Foxconn présentait cette nouvelle usine de Zhengzhou comme la plus importante au monde pour l'assemblage de smartphones, ceux d'Apple, mais d'autres marques aussi a priori. À l'époque on parlait de 95 chaînes de fabrication (lire Foxconn : une usine à smartphones géante). C'est cette usine aussi que Tim Cook avait parcourue à l'occasion d'une visite très médiatisée en Chine, en mars dernier.



Ces incidents et l'interruption de travail d'il y a quelques jours avaient été révélés par l'ONG China Labor Watch, puis relativisés et pour partie démentis par Foxconn. Le sous-traitant affirmait qu'en réalité 200 inspecteurs ne s'étaient pas présentés à leur poste, afin de protester contre un déficit de communication entre les équipes. Juste après la communication de Foxconn, le China Business Journal avait confirmé la réalité d'un débrayage massif touchant aussi les ouvriers.

China Labor Watch a traduit sur son site l'article publié la semaine dernière par The Economic Observer. Il décrit l'atmosphère au sein de l'usine au travers du témoignage de quelques-uns de ces inspecteurs. Les problèmes sont classiques et assez caractéristiques de ces grandes usines : des employés assez jeunes, un travail répétitif, un environnement monotone et une pression qui vient simultanément des ouvriers et de la hiérarchie. Ces inspecteurs sont donc pris en étau : menacés verbalement et parfois physiquement par les premiers et soumis à la pression des seconds. Chaque échelon appuyant sur celui qui le précède dans la hiérarchie.

L'usine de Zhengzhou compte un peu plus de 100 000 employés, dont la majorité est née après 1990. Deux exemples sont donnés, au travers de deux inspecteurs rencontrés par The Economic Observer. Ils ont 19 et 20 ans, ce qui, après seulement sept mois passés dans cette usine, en fait déjà des "vétérans".

Le schéma classique est d'avoir deux contrôleurs pour un peu plus de 100 ouvriers par chaîne de production. Ce travail d'inspection est au départ perçu comme valorisant et simple, il suffit de remonter les lignes de production et de superviser le travail des autres. La réalité fut assez différente.

Aux 8h quotidiennes, s'ajoutent souvent 2h supplémentaires effectuées sur un principe de volontariat, mais c'est alors perdre le bonus qui y est associé. Les dortoirs sont éloignés, obligeant à des transports. La pause repas d'une heure est perçue comme trop courte et lors des périodes de montée en charge de la production, un seul jour de congés par mois est possible. Ensuite, un mois est travaillé en journée, le mois suivant la nuit. Certains toutefois parmi les salariés s'accommodent de ce traitement et multiplient les heures supplémentaires afin de gonfler leur salaire.

C'est aussi un environnement monotone qui est décrit. Cette usine a poussé au milieu des champs, dans une région rurale, et le rythme journalier se réduit à travailler, manger et dormir. L'usine et ses dortoirs sont à peu près les seules installations présentes.

Foxconn a bien procédé à des augmentations de salaire, mais elles ont été suivies d'une hausse rapide du coût de la vie, la nourriture ayant parfois doublé de prix en un an. Nourriture et cigarettes peuvent ponctionner d'un tiers le salaire mensuel, explique le site.

L'environnement est également présenté comme propice à une petite délinquance et quelques violences entre employés. Quant aux pouvoirs publics, ils apparaissent obnubilés par les opportunités de croissance, voyant avant tout dans Foxconn le moteur de l'économie locale. La province du Henan a quasiment doublé ses exportations. À côté de cela, les prestations qui pourraient être offertes à ces milliers d'employés ne pèsent pas lourd, l'objectif des autorités est plutôt de continuer à faire s'étendre ces usines.

L'une de ces inspectrices raconte ensuite qu'elle est constamment prise en tenaille entre les ouvriers et sa hiérarchie. Ses rapports peuvent compromettre le bonus annuel perçu par les responsables des chaînes de production qu'elle inspecte, des responsables qui vont alors faire pression par ricochet sur les ouvriers sous leurs ordres.

De l'autre côté de l'étau, ce sont ses superviseurs qui lui assènent une forme de pression « Si vous avez fait un contrôle pendant 10h sans signaler un seul incident, nos chefs vont partir du principe que nous sommes incompétents ou penser que nous faisons mal notre travail, et nous serons nous aussi réprimandés » explique Wang Jing.

Ce qui se traduit parfois par des injures de la part des plus jeunes ouvriers vis-à-vis de ces inspecteurs à peine plus vieux qu'eux, quand cela ne dégénère pas en petites violences plus physiques, pouvant impliquer plusieurs ouvriers contre un contrôleur. Cela est arrivé, au sein de l'usine ou en dehors des locaux après le travail sur le chemin du retour.

The Economic Observer écrit :

Wang est maintenant très prudente lors des visites d'inspection et elle essaie de maintenir un équilibre. Si elle passe en revue une ligne de production trop souvent, le chef de cette unité pensera qu'elle le harcèle. Si elle s'arrête plus d'une minute sur une chaîne, le responsable concerné viendra voir ce qui se passe et si vous ne partez pas il vous dira "Vous êtes en une tournée d'inspection, que faites-vous encore sur cette chaîne ?" Les menaces physiques deviennent parfois le dernier recours.


La direction de l'usine a fait part auprès des inspecteurs de sa volonté de prendre en compte ces questions de sécurité. Mais il y a un problème bien plus fondamental, estime un professeur en sociologie de l'université de Pékin, qui étudie la situation de ces jeunes migrants venus travailler dans ces énormes usines. En relocalisant certaines installations à l'intérieur des terres, Foxconn a certes réduit ses coûts, mais il a omis un point essentiel :

Il n'y a pas eu de changement dans le système de gestion. L'approche semi-militaire n'est pas appropriée pour de jeunes travailleurs migrants. Tant que les problèmes fondamentaux autour du mode de management, du cadre de vie et de l'environnement de travail ne sont pas améliorés, les problèmes qui se présentent aujourd'hui apparaîtront fréquemment à l'avenir.


Sur le même sujet :
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- Responsabilité sociale : le rapport d'Apple pour l'été 2012
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avatar Malvik2 | 
À quelques détails près, la réalité vécue par ces ouvriers là n'est pas si différente de celle vécue dans nos contrées... Si l'on excepte les congés et le taux horaire
avatar Slyoo | 
Et le nombre d'heures, le confort d'un toit à soi et pas un dortoir avec des bareaux, l'assurance et les congés maladie... Et encore, je ne me suis pas attaqué au "confort" dont on jouit en vivant en Europe... Je continue ?
avatar joneskind | 
Le fait est que cette usine n'est pas prise par la population locale comme un emploi définitif. Bien souvent les employés ont une famille ailleurs. Personne ne souhaite s'installer durablement dans la région. Donc d'une certaine manière, il faut plus voir ça comme une mission ponctuelle logée sur place, histoire de se faire une petite rente pour un projet futur. Et il ne faut pas rêver, il y a aussi en France comme dans tout pays des gens qui vivent plus ou moins comme ça. C'est le cas des pêcheurs en haute mer, des matelots au long cours, mais aussi de certains routiers etc... Ça ne veut pas dire que c'est le rêve de tout le monde, mais juste qu'il y a des gens (sur une population de plus d'un milliard d'habitants) qui ont choisi de vivre un moment comme ça.
avatar edualc | 
Je ne doute pas un instant de l'intérêt que peuvent représenter les évènements survenus à l'usine Foxconn de Zhengzhou pour un doctorant en sociologie ou en droit du travail comparé, à ceci prés que ce dernier possède bien d'autres sources d'information, autrement documentées, précises et certifiées. A contrario, bien peu d'informations sur l'origine réelle des problèmes et la situation des "Technicolor", celle des "Alcatel-Lucent" ou encore celle des "externalisés" des plateformes d'entreprises françaises ayant pignon sur rue dans notre beau territoire mais portefeuille bien protégé "par ailleurs"... Pourquoi ne pas analyser les erreurs de prospective, les éventuels errements des dirigeants, l'irresponsabilité probable d' actionnaires avides de "prébendes" injustifiables au regard des résultats, et sortir de l'inévitable équation libérale : " si l'entreprise a des problème, c'est indubitablement la faute de syndicats irresponsables et d'employés égoïstes incapable d'accepter la moindre concession salariale ou pire, la plus petite remise en cause d'avantages acquis..." Que les forumeurs veuillent bien excuser ce billet d'humeur, mais la situation actuelle des salariés de ces entreprises technologiques locales en perdition nous concerne certainement autant que celle de ceux de Foxconn. En tout cas, pour ce qui me concerne. C.B.
avatar codeX | 
Je suis assez d'accord sur le fait que toutes ces news concernant une entreprise située à quelques milliers de kilomètres d'ici commencent à sentir le réchauffé. On peut facilement imaginer que la situation des ouvriers de Foxconn ne va pas s'améliorer dans l'intervalle de deux articles. Parler du cas des entreprises chinoise exonère de facto le fait de se sortir les doigts du cul pour agir. C'est tellement plus confortable. Qui se soucie de ça lorsqu'il achète un iPhone ? Hypocrisie, hypocrisie ......
avatar Anonyme (non vérifié) | 
Bon article.
avatar Anonyme (non vérifié) | 
"À quelques détails près, la réalité vécue par ces ouvriers là n'est pas si différente de celle vécue dans nos contrées... Si l'on excepte les congés et le taux horaire" @malvik2 ah ouais tu crois ?? j'en doute un peu... "menacés verbalement et parfois physiquement par les premiers et soumis à la pression des seconds. Chaque échelon appuyant sur celui qui le précède dans la hiérarchie." "un seul jour de congés par mois est possible. Ensuite, un mois est travaillé en journée, le mois suivant la nuit" ..et j'imagine même pas le salaire! le pire dans tout ça c'est que marge d'Apple est exorbitante sur ses produits, leur stratégie ne repose pas sur une compétitivité prix. Il étrangle juste leur fournisseur en demandant des coûts de production les plus bas possibles et une productivité de malade et foxcon au final répercute tout ça sur leur ouvriers.
avatar - B'n - | 
@ truiter : c'est exactement pour ça que NOUS sommes tous responsables de tout ça en continuant à acheter Apple. Alors certes ce n'est pas forcément mieux ailleurs mais si déjà "on" arrêtait d'acheter chaque rev pour le plaisir d'avoir la dernière nouveauté et qu'on faisait durer le matériel au maximum…  :(
avatar Silverscreen | 
Les charges salariales des ouvriers bossant sur les iDevices et les Macs représentent à peine 2-3% du prix final. La principale raison pour laquelle Apple passe par Foxconn est que les chaînes de fabrication sont toutes regroupées au même endroit (évitant tout un tas de problèmes logistiques, de fuites de prototypes, de complexité dans les acheminements) et que Foxconn/ Hon Hai est une des seules entreprises capables de fournir un même produit électronique à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires par an. Il faut arrêter de croire que parce qu'Apple va rogner sur une marge de 40% pour la passer à 25%, les conditions de vie de ces ouvriers vont drastiquement s'améliorer : Foxconn fabrique aussi PS3, XBoxes 360, Wii, PSP, téléphones RAZR, Tablettes Acer, plus tout un tas de trucs pour Samsung, Dell, Cisco, HP, HTC etc… Apple peut contribuer ponctuellement à l'augmentation des salaires ou imposer des contrôles sur les chaînes qui lui sont dévolues mais l'industrie à grande-échelle chinoise ne mutera pas de si tôt. C'est et notre consumérisme effréné et la desindustrialisation de l'occident qui sont à blâmer pour cette situation. Quant aux conditions de vie des ouvriers : ce sont celles qui existaient en France avant la desindustrialisation qui a suivi les années 70. Les donneurs de leçons qui reprochent à Apple cet état de fait devraient se demander si ils sont prêts à ce que leurs propres enfants travaillent dans ces conditions-là pour permettre à l'occident de produire lui-même tous les gadgets qu'il consomme à toute vitesse… Ce sont les mêmes qui reprochent à Apple les conditions des ouvriers chinois et qui changent de portable dès que leur engagement de 24 mois prend fin…
avatar edualc | 
@ B'n qui écrit : "c'est exactement pour ça que NOUS sommes tous responsables de tout ça en continuant à acheter Apple." Oui, mais si un boycott était organisé, ces ouvriers ne travailleraient plus, ne seraient donc plus payés et retourneraient dans leur province sans pouvoir subvenir aux besoins de leurs proches. De leur côté, Apple et les autres feraient fabriquer "éthiquement" leurs produits dans d'autres pays émergents avec la bénédiction des autorités internationales et... Est-ce sincèrement LA solution ? La Chine connait en accéléré une situation identique à la révolution industrielle qu'à vécu l'Europe au 19 ème siècle. Mais ne nous y trompons pas, d'autres pays émergents se trouvent aujourd'hui mieux placés qu'elle pour récupérer la production lorsque le coût du travail des ouvriers chinois aura rattrapé le nôtre. Le Japon a connu ce problème, la Corée y est aujourd'hui confrontée. De nombreux industriels chinois commence à délocaliser aujourd'hui au Vietnam... LA solution ne peut être que globale et c'est bien là la difficulté. C.B. edit : orthographe
avatar Anonyme (non vérifié) | 
"Quant aux conditions de vie des ouvriers : ce sont celles qui existaient en France avant la desindustrialisation qui a suivi les années 70" @Silverscreen tu penses franchement que l'on peut comparer une usine comme il pouvait y en avoir dans les années 70 en France et une usine de la taille de FoxCon en 2012 localisée en chine ?
avatar pval | 
joneskind Et il ne faut pas rêver, il y a aussi en France comme dans tout pays des gens qui vivent plus ou moins comme ça -- Ben voyons ! Curieux en grossissant le trait, cette organisation rappelle un peu les mines du début du XXième siècle. Avez-vous une idée de la répartition des richesses créées par Apple ? Rêver est salutaire, l'utopie aussi.
avatar nostress67 | 
Le laxisme des entreprises sous-traitant chez Foxconn est assez impressionnant quand même, parce que c'est quand même leurs produits qui sont fabriqués et ils ont l'air d'avoir rien à faire des ouvriers fabriquant leurs produits.

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