Apple/Orange, retour sur le projet "Chicago"
L'iPhone sort aujourd'hui en France et c'est peu dire que l'annonce de sa distribution par Orange a été l'épilogue d'un long feuilleton avec son lot, très respectable, de rebondissements. Des détails supplémentaires à ceux déjà parus dans les médias ces derniers mois viennent encore enrichir l'histoire.
"C'est un magnifique produit autant par sa technologie que par son design. C'est la meilleure incarnation à ce jour de la convergence technologique, qui est devenue le moteur de notre industrie et le coeur même de notre stratégie. l'iPhone va bientôt déferler sur l'Europe et on verra comment", l'iPhone venait à peine d'être dévoilé à la Macworld de San Francisco le 9 janvier que Didier Lombard, le patron de France Telecom, lui déclarait sa flamme dans le magazine Challenge et plus tard sur les antennes d'Europe 1.
Un avion a été affrété pour Lombard et un rendez-vous organisé avec Apple par l'antenne R&D d'Orange installée à San Francisco. Comme cela a été dit à l'époque, le PDG de France Télécom s'est vu offrir une démonstration de l'iPhone pendant une heure avec Steve Jobs.
Largement suffisant pour lancer les spéculations sur un accord entre les deux groupes. Jean-Bernard Lévy de Vivendi, propriétaire de SFR, n'a de son côté rien fait pour accréditer un autre scénario lorsqu'il s'est épanché sur l'iPhone "au contraire de l'iPod il ne révolutionne rien. Son seul intérêt c'est l'écran tactile. En tant qu'opérateur télécom, il ne nous intéresse pas car on ne pourra pas l'utiliser pour vendre des services à nos clients." Appréciation technologique d'un côté, approche comptable de l'autre… avant même de commencer les négociations avec Apple, SFR freinait et se garait sur le bas côté. Tandis que chez Bouygues, l'idée d'une distribution de l'iPhone n'a, dit-on, jamais été sérieusement envisagée.
Chez Orange, le dossier a été confié aux équipes Home Services d'Orange Labs, l'une des divisions de R&D basée à Issy les Moulineaux, au sud de Paris. Là une équipe a été chargée de l'évaluation technique de l'appareil et de ce qu'il impliquait comme adaptations aux réseaux de la maison. Et le patron de cette équipe a le sens de l'humour et celui de l'Histoire. Son choix d'un nom de code pour désigner ce projet s'est arrêté sur "Chicago". Un gros clin d'oeil au même nom de code utilisé par Microsoft pour… Windows 95.
L'évaluation s'est achevée sur un feu vert : "il y a des modifications à faire mais rien de monstrueux". Le dossier est alors arrivé entre les mains de Louis-Pierre Wenes, directeur exécutif de France Télécom, en charge de l'activité opérationnelle en France et, accessoirement, macophile notoire. A lui d'étudier le volet commercial et financier de l'opération. Les discussions sont montées en régime à une période où les tentatives de desimlockage sont passées de l'hypothèse à la pratique. Wenes est décrit comme un homme rugueux et peu enclin à lâcher du lest trop rapidement, surtout sur un produit mélangeant risques et opportunités.
D'autant que les conditions posées par Apple étaient inédites (pas de personnalisation de l'appareil, pas de subvention par l'opérateur, un prix plein pot, une activation déléguée aux bons soins d'iTunes et de son utilisateur, etc). En outre, un précédent avec Apple n'aurait pas été oublié par France Telecom.
Celui de l'opération menée en 2006 avec Apple Europe autour d'un bundle comprenant un abonnement ADSL et un MacBook (notre dépêche). Selon des familiers du dossier, ce partenariat aurait été un véritable fiasco commercial, à des années lumières des chiffres de ventes suggérés à l'origine par Apple Europe.
Mais France Telecom avait une bonne carte en main, un réseau dense et modernisé de boutiques à travers la France. Un point clef pour Tim Cook, le directeur exécutif d'Apple US, qui réfléchit en terme d'assise géographique de ses partenaires et de leurs capacités de distribution.
Le dossier a ensuite atterrit dans une équipe dédiée d'Orange et autonome par rapport à celles chargées des relations avec les autres fabricants de mobiles. C'était une exigence d'Apple que d'avoir un interlocuteur spécifique et unique puisque l'iPhone, ainsi que sa distribution, n'entraient dans aucune des cases connues d'Orange.
Au quotidien les modalités pratiques auraient été directement discutées entre cette équipe et, côté Apple US, par Frank Casanova, vétéran de la société (il chapeauta le lancement des Mac IIfx, Quadra et autres Power Mac sans oublier une casquette dans l'ancienne division des recherches avancées).
Depuis quelques années en charge de la division QuickTime à Cupertino, Casanova ne serait pas à proprement parler un spécialiste des télécommunications mais il a la confiance de Jobs et un package iPhone à vendre clef en main. Entre ces deux blocs, aurait officié un cabinet spécialisé, le même qui avait déjà conseillé Apple pour son partenariat avec AT&T.
Un ménage à trois où il se dit que les gens d'Apple Europe ont été largement sinon totalement tenus à l'écart. Logique dans un sens puisque le périmètre d'activité de cette filliale se borne aux réseaux de revendeurs et aux relations avec les grossistes. Les Apple Store et iTunes Music Store européens par exemple, ou encore les versions françaises et allemandes de .Mac sont tenues en dehors de la sphère d'influence de Pascal Cagni, le patron d'Apple Europe.
Au final, même si cette association a été riche en rebondissements, il semblait difficile pour les deux groupes de ne pas s'entendre. Orange d'une part qui peut se targuer d'avoir obtenu le téléphone le plus convoité du moment et qui ne pouvait pas laisser se développer trop longtemps le marché sauvage des iPhones désimlockés.
Et Apple qui n'avait aucun autre interlocuteur en France disposant de la même force de frappe et surface commerciale qu'Orange. Signe supplémentaire que l'entente paraissait inévitable, les pubs iPhone actuellement diffusées sur les écrans français ont été réalisées en septembre, alors que tout n'était pas réglé (notre dépêche).
Le résultat de l'opération iPhone va être observé avec soin chez Orange et avec parfois quelques arrière-pensées. Certains se seraient émus des propos de Didier Lombard présentant l'iPhone comme LA vraie innovation.
En clair, un coup de génie venu de l'extérieur, né dans une entreprise novice en téléphonie (si l'on excepte l'épisode hexagonal et tragi-comique du PowerBop…). Alors même qu'Orange emploie des milliers d'ingénieurs dans ses labos de R&D à travers le monde pour précisément innover dans la téléphonie et l'Internet.
Et puis si aujourd'hui Apple a la cote chez l'opérateur, rien ne dit que demain l'un de ses concurrents n'arrivera pas avec le nouveau "Jesus Phone" et dans ce cas, les affaires sont les affaires…
"C'est un magnifique produit autant par sa technologie que par son design. C'est la meilleure incarnation à ce jour de la convergence technologique, qui est devenue le moteur de notre industrie et le coeur même de notre stratégie. l'iPhone va bientôt déferler sur l'Europe et on verra comment", l'iPhone venait à peine d'être dévoilé à la Macworld de San Francisco le 9 janvier que Didier Lombard, le patron de France Telecom, lui déclarait sa flamme dans le magazine Challenge et plus tard sur les antennes d'Europe 1.
Un avion a été affrété pour Lombard et un rendez-vous organisé avec Apple par l'antenne R&D d'Orange installée à San Francisco. Comme cela a été dit à l'époque, le PDG de France Télécom s'est vu offrir une démonstration de l'iPhone pendant une heure avec Steve Jobs.
Largement suffisant pour lancer les spéculations sur un accord entre les deux groupes. Jean-Bernard Lévy de Vivendi, propriétaire de SFR, n'a de son côté rien fait pour accréditer un autre scénario lorsqu'il s'est épanché sur l'iPhone "au contraire de l'iPod il ne révolutionne rien. Son seul intérêt c'est l'écran tactile. En tant qu'opérateur télécom, il ne nous intéresse pas car on ne pourra pas l'utiliser pour vendre des services à nos clients." Appréciation technologique d'un côté, approche comptable de l'autre… avant même de commencer les négociations avec Apple, SFR freinait et se garait sur le bas côté. Tandis que chez Bouygues, l'idée d'une distribution de l'iPhone n'a, dit-on, jamais été sérieusement envisagée.
Chez Orange, le dossier a été confié aux équipes Home Services d'Orange Labs, l'une des divisions de R&D basée à Issy les Moulineaux, au sud de Paris. Là une équipe a été chargée de l'évaluation technique de l'appareil et de ce qu'il impliquait comme adaptations aux réseaux de la maison. Et le patron de cette équipe a le sens de l'humour et celui de l'Histoire. Son choix d'un nom de code pour désigner ce projet s'est arrêté sur "Chicago". Un gros clin d'oeil au même nom de code utilisé par Microsoft pour… Windows 95.
L'évaluation s'est achevée sur un feu vert : "il y a des modifications à faire mais rien de monstrueux". Le dossier est alors arrivé entre les mains de Louis-Pierre Wenes, directeur exécutif de France Télécom, en charge de l'activité opérationnelle en France et, accessoirement, macophile notoire. A lui d'étudier le volet commercial et financier de l'opération. Les discussions sont montées en régime à une période où les tentatives de desimlockage sont passées de l'hypothèse à la pratique. Wenes est décrit comme un homme rugueux et peu enclin à lâcher du lest trop rapidement, surtout sur un produit mélangeant risques et opportunités.
D'autant que les conditions posées par Apple étaient inédites (pas de personnalisation de l'appareil, pas de subvention par l'opérateur, un prix plein pot, une activation déléguée aux bons soins d'iTunes et de son utilisateur, etc). En outre, un précédent avec Apple n'aurait pas été oublié par France Telecom.
Celui de l'opération menée en 2006 avec Apple Europe autour d'un bundle comprenant un abonnement ADSL et un MacBook (notre dépêche). Selon des familiers du dossier, ce partenariat aurait été un véritable fiasco commercial, à des années lumières des chiffres de ventes suggérés à l'origine par Apple Europe.
Mais France Telecom avait une bonne carte en main, un réseau dense et modernisé de boutiques à travers la France. Un point clef pour Tim Cook, le directeur exécutif d'Apple US, qui réfléchit en terme d'assise géographique de ses partenaires et de leurs capacités de distribution.
Le dossier a ensuite atterrit dans une équipe dédiée d'Orange et autonome par rapport à celles chargées des relations avec les autres fabricants de mobiles. C'était une exigence d'Apple que d'avoir un interlocuteur spécifique et unique puisque l'iPhone, ainsi que sa distribution, n'entraient dans aucune des cases connues d'Orange.
Au quotidien les modalités pratiques auraient été directement discutées entre cette équipe et, côté Apple US, par Frank Casanova, vétéran de la société (il chapeauta le lancement des Mac IIfx, Quadra et autres Power Mac sans oublier une casquette dans l'ancienne division des recherches avancées).
Depuis quelques années en charge de la division QuickTime à Cupertino, Casanova ne serait pas à proprement parler un spécialiste des télécommunications mais il a la confiance de Jobs et un package iPhone à vendre clef en main. Entre ces deux blocs, aurait officié un cabinet spécialisé, le même qui avait déjà conseillé Apple pour son partenariat avec AT&T.
Un ménage à trois où il se dit que les gens d'Apple Europe ont été largement sinon totalement tenus à l'écart. Logique dans un sens puisque le périmètre d'activité de cette filliale se borne aux réseaux de revendeurs et aux relations avec les grossistes. Les Apple Store et iTunes Music Store européens par exemple, ou encore les versions françaises et allemandes de .Mac sont tenues en dehors de la sphère d'influence de Pascal Cagni, le patron d'Apple Europe.
Au final, même si cette association a été riche en rebondissements, il semblait difficile pour les deux groupes de ne pas s'entendre. Orange d'une part qui peut se targuer d'avoir obtenu le téléphone le plus convoité du moment et qui ne pouvait pas laisser se développer trop longtemps le marché sauvage des iPhones désimlockés.
Et Apple qui n'avait aucun autre interlocuteur en France disposant de la même force de frappe et surface commerciale qu'Orange. Signe supplémentaire que l'entente paraissait inévitable, les pubs iPhone actuellement diffusées sur les écrans français ont été réalisées en septembre, alors que tout n'était pas réglé (notre dépêche).
Le résultat de l'opération iPhone va être observé avec soin chez Orange et avec parfois quelques arrière-pensées. Certains se seraient émus des propos de Didier Lombard présentant l'iPhone comme LA vraie innovation.
En clair, un coup de génie venu de l'extérieur, né dans une entreprise novice en téléphonie (si l'on excepte l'épisode hexagonal et tragi-comique du PowerBop…). Alors même qu'Orange emploie des milliers d'ingénieurs dans ses labos de R&D à travers le monde pour précisément innover dans la téléphonie et l'Internet.
Et puis si aujourd'hui Apple a la cote chez l'opérateur, rien ne dit que demain l'un de ses concurrents n'arrivera pas avec le nouveau "Jesus Phone" et dans ce cas, les affaires sont les affaires…