Ampere veut concurrencer les Xeon des serveurs avec son processeur ARM

Nicolas Furno |

Cela fait plusieurs années que les processeurs ARM essaient de se faire une place dans le monde des serveurs, avec un succès très limité jusque-là. Amazon, numéro un du segment, en propose dans l’immense gamme EC2 d’AWS, mais c’est quasiment le seul exemple récent encore sur le marché. En France, Scaleway avait tenté ce pari il y a quelques années, mais la filiale d’Iliad repose aujourd’hui essentiellement sur des serveurs x86.

Ampere Computing, une start-up californienne fondée par Renée James qui a fait une grande partie de sa carrière chez Intel, espère toutefois inverser la tendance avec l’Altra, un processeur ARM basé sur l’architecture N1. Avec ses 80 cœurs cadencés à 3 GHz et un TDP de 210 watts, il est censé faire mieux que les Xeon conçus par Intel pour les serveurs. Ses concepteurs ont ainsi mis en avant un chiffre très impressionnant, avec des performances plus de deux fois supérieures à un Intel Xeon Platinum 8280, un processeur de 28 cœurs à 2,7 GHz.

Face à ce chiffre, comment ne pas s’émerveiller par les avancées des processeurs ARM ? Au point de suggérer, comme l’a fait Jean-Louis Gassée dans sa chronique hebdomadaire, qu’Apple pourrait aisément passer le Mac Pro à un processeur ARM. La station de travail reposant sur des processeurs Xeon, la conclusion peut sembler logique, sauf qu’elle ne tient pas longtemps la route. Et pour cause, les tests de performance présentés par Ampere en même temps que son Altra sont à la limite de la publicité mensongère.

La communication officielle met en avant des performances similaires à un processeur AMD et deux fois supérieures à un processeur Intel. Mais l’essentiel sur cette diapositive fournie par Ampera, c’est la mention « Refer to end notes for details ».

Ces mesures de performance fournies par le concepteur d’Altra posent plusieurs problèmes. Pour commencer, le constructeur n’a mené qu’une partie du benchmark de référence dans l’industrie, oubliant les tests qui mettraient son processeur en difficulté au prétexte qu’ils n’ont pas de sens dans le monde des serveurs. Cela peut encore se justifier, mais le constructeur a aussi baissé les résultats des processeurs x86 de 16 (AMD) à 24 % (Intel). Ce choix est expliqué par des différences de compilateurs qui se retrouvent en usage réel, mais un bench est précisément censé mesurer des performances réelles.

Pour ne rien arranger, toute la communication laisse clairement entendre que la comparaison se fait entre un processeur Intel, un processeur AMD et un processeur ARM. Mais Ampere a fourni des « notes finales » associées aux benchmarks et elles révèlent que la comparaison a été effectuée avec un duo d’Altra, ce nouveau processeur pouvant fonctionner par paire. C’est courant dans l’industrie et c’est un point positif que ce nouveau-venu puisse fonctionner ainsi, mais cela fausse totalement la comparaison.

Ce nouveau-venu fait deux fois mieux que le Xeon en mobilisant pas moins de 180 cœurs et avec un TDP de 360 W ! Avec un seul processeur ARM, on aurait logiquement des performances similaires à celui d’Intel et inférieures au modèle d’AMD. Et la liste n’est même pas finie : on apprend aussi dans ces notes que les tests ont été effectués avec des prototypes d’Altra qui sont cadencés à une vitesse supérieure au processeur effectivement commercialisé. Les cœurs tournaient ainsi à 3,3 GHz, alors qu’Ampere vend un processeur bloqué à 3 GHz au maximum.

L’Altra ne peut pas dépasser les 3 GHz en théorie, mais les tests ont été menés avec un prototype à 3,3 GHZ.

De quoi présenter des benchs plus favorables pour la presse, mais il ne faut sans doute pas s’attendre à avoir des performances réelles deux fois plus élevées qu’avec un serveur construit autour d’un Xeon. Point intéressant en revanche, la vitesse de 3 GHz pourra être maintenue en permanence sur les configurations haut de gamme. Ce n’est pas une valeur maximale temporaire comme le propose le mode Turbo Boost d’Intel, l’Altra devrait pouvoir fonctionner en continu à ce niveau.

Malgré tout, ce nouveau processeur est intéressant dans le monde des serveurs grâce à sa spécialisation sur la virtualisation. Les instances virtuelles de type VPS se sont généralisées, tout comme les solutions à base de Docker et Kubernetes avec à chaque fois la même idée de partager les ressources des serveurs1. L’Altra a été conçu avec cette utilisation en tête et notamment avec l’idée de mieux sécuriser chaque machine virtuelle installée sur le serveur.

Ampere a choisi de multiplier les cœurs plutôt que les threads : il y a 80 cœurs et 80 threads, ce qui veut dire qu’il n’y a donc aucun multi-threading. Plusieurs failles dénichées dans les processeurs Intel sont liées à cette technologie qui permet d’avoir plus de threads, et ces failles sont particulièrement gênantes dans un contexte serveur, où plusieurs instances virtuelles se partagent le même processeur2. L’Altra isole ainsi au maximum chaque cœur, leur offrant aussi des caches L1 (64 Ko par cœur) et L2 (1 Mo par cœur) dédiés.

Les deux serveurs de référence conçus par Ampere pour accompagner la commercialisation de l’Altra.

Même si les performances ne seront pas aussi bonnes que veulent bien le dire ses concepteurs, l’Altra devrait être un processeur de serveur aussi complet que ses concurrents sur d’autres points. Il pourra gérer jusqu’à 4 To de mémoire vive DDR4-3200 par processeur, avec prise en charge de la protection ECC qui est souvent indispensable dans un serveur. Ampere a aussi intégré 128 voies PCIe 4.0, dont 32 qui serviront à connecter deux puces dans les configurations bi-proc. Au total, un serveur pourra disposer de 192 voies PCIe 4.0 et de 8 To de mémoire vive.

Ampere a aussi présenté deux configurations de référence pour des serveurs au format 1U et 2U, avec un seul ou deux processeurs. L’Altra va commencer à être commercialisé à partir de maintenant, sachant que l’entreprise s’est associée avec TSMC pour la production en 7 nm. Les prix publics ne sont pas connus, pas plus que la disponibilité réelle chez des hébergeurs.

Une chose est sûre en tout cas : ce processeur serait un très mauvais candidat pour le Mac Pro. Ce qui ne veut pas dire qu’Apple ne pourra jamais abandonner Intel ou même l’architecture x86 sur cette machine. Mais si la tour passait à ARM, ce serait probablement avec un processeur construit à partir de choix très différents. Et ce ne serait sans doute pas pour tout de suite, on attend plutôt des Mac portables ARM dans un premier temps.


  1. Le modèle traditionnel de l’hébergement consistait à louer un serveur complet, que vous étiez le seul à pouvoir utiliser. Désormais, le modèle le plus courant est celui de la virtualisation, où vous « louez » un serveur virtuel qui tourne sur un gros serveur dédié partagé entre plusieurs dizaines ou centaines de serveurs virtuels. Ce modèle a permis de considérablement réduire les coûts d’hébergement.  ↩

  2. Dans le modèle des serveurs virtuels, chaque instance est en théorie parfaitement isolée des autres. C’est un prérequis important, sinon les données de tous les serveurs virtuels qui fonctionnent sur un même serveur dédié seraient accessibles librement. Les failles de sécurité des processeurs, notamment liées à Intel peuvent remettre en cause cette isolation, même si les plus grosses failles ont été corrigées rapidement.  ↩

avatar Ios_What a joke | 

J’ai jamais vraiment compris l’engouement sur ce forum pour les processeurs à architecture ARM🤷🏻‍♂️
Pourquoi est-ce que vous attendez autant d’une architecture qui n’est pas encore à la hauteur de ses concurrents? Certains ici seraient prêts à préférer un mac ARM moins performant qu’un mac x86 juste parce que c’est ARM et pas Intel....

Le jour où ARM fera jeu égal ou supérieur à ses concurrents, là je comprendrais l’engouement mais le choix sera décidé par la performance et non par l’architecture.

avatar totoguile | 

C'est pas tant ARM qu'un processeur Apple. Apple customize ses processeurs pour les améliorer. La question est donc de savoir quels types d'améliorations Apple pourrait apporter pour booster les perfs d'un CPU Axx. Il y a des tests qui comparent un Axx vs un ARM et on voit déjà un gap de perf en faveur d'Apple sur son architecture.

L'autre point c'est, si Apple fait son proc, combien de coeurs peut-elle mettre dans un portable ou même dans un mac Pro. Et Gassée pointe du doigt un problème important : quel est l'intérêt économique pour Apple de designer un proc ARM pour les Mac Pro ? cette machine surpuissante n'intéresse qu'un marché de niche. Pour rentabiliser un design de CPU Axx, Apple pourrait multiplier les die Axx dans un package pour créer un gros proc Axx pour les Mac Pro, mais il y a un problème à priori pour la gestion de la RAM. on pourrait envisager des procs à 16 ou 32 cores pour les portables, et des mac pro avec des chips qui possèdent 2 ou 4 die de 16 ou 32 cores, voir aussi de la multi cpu sur la carte mère.

Puis, vient les blocs d'accélérations qu'Apple peut glisser dans un design custom, une sorte de jeu d'instructions à la "Afterburner" pour optimiser et soulage les cores ARM: ca va du décodage video, à des instructions de sécurité, etc...

Enfin, il y a la dépendance, vis à vis, d'Intel, et vis à vis peut etre d'AMD également (video). Designer un proc ca coute cher, les masques coutent très cher, mais ensuite, le cout de fabrication est assez faible. suivant le nombre de proc qu'Apple peut faire, les économies peuvent etre importantes.

Bref, c'est pas le proc ARM qui m'interesse, c'est le proc Axx d'Apple et la configuration retenue : nombre de cores, TDP, blocs d'accélérations inclus, performances etc...

avatar occam | 

@totoguile

"c'est pas le proc ARM qui m'interesse, c'est le proc Axx d'Apple et la configuration retenue"

Yep.
Plein dans le mille.

Quant au Mac Pro, il faudrait inverser la proposition de Nicolas Furno : ce n’est pas un ARM lambda qui est le mauvais candidat pour le Mac Pro, c’est le Mac Pro actuel qui est un mauvais candidat pour un ARM lambda. Si (ou plutôt : quand) Apple décidera d’en changer, ce sera sur la base de ses Axx, sur mesure, et à l’échelle voulue.
Le « cheesegrater » actuel est un geste commercial, pas une décision industrielle.

avatar Nicolas Furno | 

@occam

En fait, c’est surtout la proposition de Gassée à la base, pas tellement la mienne.

avatar totoguile | 

:) c'est vrai. ce serait sympa un article listant l'avis des membres de la rédac à ce sujet

avatar Link1993 | 

@Ios_What a joke

Je vois un gros interet sur les mac type Macbook ou Macbook Air, ou une autonomie est plus importante que le reste, et ou là puissance de calcul n'est pas nécessaire, ou alors avec un intel qui devient un co-processeur pour les cas de demande élevé, un peu comme ce que l'on a sur les cartes graphiques. Même si je verrais cette derniere option plus sur un iMac ou Mac Pro, pour réduire la consommation d'énergie quand la machine a finit son calcul la nuit, mais que personne n'est la pour l'éteindre ensuite.

avatar totoguile | 

C'est un point important également: la "stagnation" des besoins.
J'ai commencé l'informatique très tôt (Comodore 64, 80286, 486, pentium...) et j'ai vu augmenter les performances mais aussi les usages. Je ne suis pas joueur (ce qui doit etre un biais à prendre en compte), et je suis sur un macbookpro early 2015; C'est bien la première fois que je reste aussi longtemps sur une machine, et qu'en plus, je ne ressent pas le besoin de changer : la machine correspond à mes besoins.
du coup, à performances "constantes", on recherche autre chose : connectique plus rapide (wifi AX par exemple, 5G, etc...), autonomie plus importante, stockage plus grand, etc...

avatar Bigdidou | 

@totoguile

« C'est un point important également: la "stagnation" des besoins. »

Ça s’appelle la constipation.

avatar totoguile | 

je la note pour plus tard :-)

avatar bonnepoire | 

@Ios_What a joke
Avec le recul, je me délecte de ce genre de commentaire de spécialistes auto-proclamés.

avatar Franck971 | 

Sans maitrise la puissance n’est rien comme dit l’autre... ou une certaine pub de pneu...😉
Le vrai problème qui fera que D’autre plateforme marcheront c’est l’engouement des éditeurs !
Pour beaucoup ils imposent des pre requis matériel notamment niveau processeur ou la c’est Intel... et encore après a voir les versions etc... et c’est très simple si vous suivez pas les pre requis de base au moindre pépins qui pourrais vous embêter sur votre infra (a tous les niveaux que ce soit un simple erp ou autre...)on vous enverra balader...
sur des infra à X milliers d’€ sans parler de tous les utilisateurs qui pourrait être impacté par une coupure de production vous n’allez pas vous poser la question sur comment équiper vos serveurs.
Tout comme les éditeurs ne vont pas se poser la question si ils dépenses des millions afin d’optimiser leurs applis pour supporter Ampere.
Triste réalité

avatar Gwynpl@ine | 

@Franck971

Oui, c’est vrai. D’ailleurs dans la réalité pour des usages communs l’architecture ARM ou celle d’Intel consomment quasiment la même chose aujourd’hui. Maintenant à voir dans quelques mois avec toutes ces nouveautés. Un iPad Pro c’est bien sur ARM, mais ARM avec OSX c’est une autre histoire, même si les OS sont très proche, il y a pas mal de différence au global.

Il n’y a pas si longtemps je lisais un article qui expliqué que le architecture ARM embraquait des technologies proche de celle d’Intel. Les architectes des puces rencontraient les même problèmes que le concourant.

Mais au delà du concours de kiki, la recherche est bonne pour nous ! Aujourd’hui les utilisateurs de Mac fantasment sur ARM, mais à l’époque où Apple est passé sur Intel tout le monde était content.

Personnellement, du moment que ma machine est fiable, et tient bien dans le temps, Intel ou ARM, peut importe.

avatar occam | 

Nicolas, vous dites que JLG aurait prétendu « qu’Apple pourrait aisément passer le Mac Pro à un processeur ARM ».

J’ai relu attentivement son billet (je l’avais lu hier, comme tous les MN) et je ne vois pas comment vous pouvez affirmer cela. JLG esquisse uniquement la possibilité hypothétique d’une telle transition et ses justificatifs économiques, notamment un « trickle-down » vers des Mini et iMac à architecture ARM.

En plus, JLG consacre une partie considérable de son billet à justifier sa volte-face, vu qu’il s’était piégé en prédisant : never ever.

Finalement, je comprends votre tentative de debunking de la présentation d’Ampere (j’avais donné ce processeur en exemple sur un fil précédent à cause du buzz qu’il avait généré). Mais il faut voir sur quelle génération ARM il est basé, et où en est Apple : les avancées d’Apple sont considérables.
Sûrement vous ne vous attendez pas à ce que Apple substitue simplement Ampere à Intel, sans y mettre du sien ?

avatar Nicolas Furno | 

@occam

Notamment cette phrase : «  Ampere shows us that the ARM architecture can yield the class of chips a Mac Pro would need. »

Sa réflexion était intéressante sur le papier, mais elle est basée sur de mauvaises informations que tout le monde a repris en boucle.

On a prévu de reparler du passage à ARM dans le Mac Pro, parce que c’est un sujet très intéressant en effet. Mais là, il s’agissait surtout de démonter les arguments d’Ampere, et de souligner que ça ne prouve rien du tout pour la station de travail d’Apple.

avatar occam | 

@nicolasf

Mmouais, très vague, cette formule de JLG, mais bon.
Et je comprends très bien que vous ayez tenu à dégonfler un peu le ballon d’Ampere — en cela, vous faites presqu’oeuvre d’utilité publique — mais ce ne sont pas eux qui se sont mis en jeu (ou en scène) pour le Mac Pro.

Puis quand on se rappelle tous les ballons et les lampions lancés au fil des ans par Intel et AMD (sans parler de la chère pomme), c’est de bonne guerre pour un nouveau venu qui veut se faire une petite place au soleil.

avatar Nicolas Furno | 

@occam

Non et c’est pour ça que l’article n’est pas centré sur le Mac Pro. Le titre aurait pu être bien différent sinon… :-)

avatar corben | 

80 cœurs contre 28...

avatar mimolette51 | 

Ben oui, comme entre CPU et GPU...

avatar mimolette51 | 

C'est toujours magique le intel consommateur d'énergie qui fait tout pour réussir à rentrer dans des laptop et ARM, le truc basse conso qui veut se faire passer pour un CPU de serveur...

Passer les mac à ARM, c'est pas aussi facile que de prendre un AX et de le mettre dans un portable... Autant niveau perf et GPU, ca peut le faire, mais pour du plus sérieux, un PC à besoin de beaucoup plus de ligne de type PCI qu'un smartphone ou une tablette...

avatar Oracle | 

Non rien

avatar davideneco | 

Aahahahahah

Quand on regarde les petite ligne ou autre truc , on remarque que le 80C arm , bat bien a plat de couture intel , mais pas AMD

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