Chrome, le nouveau syndrome Internet Explorer

Stéphane Moussie |

En 2015, on se demandait si Safari était le nouvel Internet Explorer, en cela qu’il était susceptible de nuire à l’interopérabilité du web. Finalement, c’est Chrome qui est en train de prendre ce mauvais rôle.

Microsoft en a fait la démonstration récemment avec la nouvelle version web de Skype qui n’est compatible qu’avec Chrome et Edge… un Edge qui est en train d’être rebâti autour de Chromium, la base open source de Chrome.

La web app de Skype exploite pourtant des technologies standardisées, notamment WebRTC. Microsoft a répondu à VentureBeat qu’il y avait des différences d’implémentation entre les navigateurs, ce qui est vrai. Safari ne va prendre en charge le codec vidéo VP8 que dans sa prochaine version.

Mais la suite de la réponse de Microsoft révèle le cœur du problème : l’éditeur a « donné la priorité de Skype web sur Microsoft Edge et Google Chrome en fonction de la valeur client. » Chrome représentant à lui seul environ deux tiers du marché des navigateurs, pourquoi s’embêter à rendre compatible son site avec les autres ? Ceux qui utilisent Safari ou Firefox n’ont qu’à télécharger Chrome.

C’est également le message que fait passer Google avec la version web de Google Earth. « Aïe aïe aïe ! Google Earth n’est pas encore compatible avec votre navigateur », dit Google comme si on s’était coincé un doigt dans la porte. Prenez un peu de MercuroChrome et ça ira mieux.

Avant cela, Google avait réservé Inbox à Chrome de manière temporaire. Google Earth est lui aussi censé être compatible avec d’autres navigateurs un jour. L’attente dure depuis bientôt deux ans. Le temps de renforcer un peu plus la position de Chrome.

Sur mobile plus spécifiquement, on pourrait penser que la part de marché supérieure de Safari par rapport au bureau contrebalance la situation (21 % contre 57 % pour Chrome), mais même pas. Dans ce cas-là, Microsoft et Google renvoient simplement les utilisateurs vers leurs applications mobiles.

Bien sûr, Chrome et Internet Explorer ne sont pas strictement comparables. L’un était propriétaire, l’autre a une importante base open source, le fameux Chromium qui sert aussi de socle pour de nombreuses apps multiplateformes (Electron).

Ce qui est comparable, c’est la position dominante et le gain que Google peut en tirer. Grâce à un navigateur synonyme de porte d’accès privilégié au web — navigateur qui au passage force la connexion de l’utilisateur —, l’entreprise peut influer toujours plus sur son évolution.

« Google est si près du contrôle quasi total de l’infrastructure de nos vies numériques que continuer de le combattre pourrait s’avérer peu rentable. […] La domination de Google en matière de recherche, de publicité, de smartphones et de collecte de données crée des conditions de concurrence très désavantageuses pour le reste d’entre nous », avertissait Mozilla juste après l’annonce du passage d’Edge à Chromium.

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