Google Maps et Plans d’Apple sont aujourd’hui les services de cartes les plus utilisés sur mobiles, soit directement soit au travers de quantité d’apps tierces. Une popularité qui fait d’eux les postulants au rôle, probablement inédit à ce jour, de carte universelle du monde.
Google avait déjà atteint le milliard d’utilisateurs mensuels en 2012. Lorsqu’on en arrive à de telles proportions, il est intéressant de voir comment leurs deux propriétaires ont conçu et dessiné leurs cartes. Ces documents s’appuient sur des données factuelles mais tout est question ensuite d’interprétations, de choix et de priorité dans leur mise en valeur. Et là, Apple et Google ont pris des chemins souvent opposés.
Justin O’Beirne s’est lancé dans ce feuilleton écrit et illustré, dont il a publié le premier épisode. Pendant quatre ans, entre 2011 et 2015, il a travaillé activement sur Plans en supervisant une partie de son développement et en constituant une équipe internationale. Son propos toutefois n’est pas de dire qui, de Maps ou de Plans, est le meilleur, ou qui vous fera prendre la meilleure route. Il s’intéresse uniquement à la représentation de ces cartes et de leur contenu :
Une exploration de tous les compromis qui entrent dans la conception et la fabrication de cartes comme celles-ci. Ces compromis sont la joie de la cartographie moderne - les milliers de décisions minuscules, apparemment isolées, qui fusionnent en un ensemble, un grand tout.
Il suffit d’observer les deux cartes à l’échelle du continent américain pour voir déjà des différences évidentes. Google nomme les plus grands pays mais pas leurs villes, la végétation est nettement présente et la palette de couleurs plus importante. La représentation d’Apple est plus légère, avec moins de couleurs, les noms des pays sont absents, au profit du nom de ces deux grandes régions du monde et d’une poignée de grosses villes.
À l’autre extrême, en zoomant jusque dans les rues de New York, Google ajoute plus de stations de métro qu’Apple. Notez aussi comme le nuancier de couleurs d’Apple, cette fois plus riche, allège malgré tout la carte visuellement parlant.
Apple a choisi des icônes plus réalistes pour symboliser certains hauts lieux de la ville tels que l’Empire State Building ou Time Square. Dans la carte de Google, les blocs symbolisant les immeubles forment une trame nettement plus visible que chez Apple où la couleur retenue est plus claire pour un effet moins massif.
Pour son exposé, O’Beirne a choisi trois villes où poser sa loupe : San Francisco, New York et Londres et trois endroits phares à l’intérieur de chacune d’elles. San Francisco parce qu’elle est à côté d’Apple et de Google et qu’ils auront certainement soigné sa cartographie, New York et Londres parce qu’elles sont immenses et denses et donc susceptibles de regorger d’informations. Une richesse qui permettra de comparer les choix opérés pour en rendre compte au mieux à l’utilisateur. Les zones rurales sont escamotées de cette étude car peu intéressantes, tout comme les représentations satellitaires.
Les villes
Le premier chapitre de cette étude porte sur les villes, les routes et les lieux d’intérêt. Au fil du temps, Google a très fortement réduit le nombre de villes qu’il présente à l’utilisateur. Cette même zone espacée de six ans le montre de manière flagrante. Précédemment, New York surnageait à peine parmi les villes voisines, désormais elle est au centre de l’attention.
Une carte numérique se conçoit selon plusieurs niveaux de zoom. O’Beirne s’est appliqué à compter le nombre de villes indiquées autour des trois métropoles au fur et à mesure que l’on descend dans le plan.
Les choix opérés par Apple et Google diffèrent complètement. Apple a tendance à toujours signaler beaucoup plus de villes que son concurrent, c’est plus net encore au huitième palier d’agrandissement. Au total, pour la région londonienne par exemple, Apple inscrit 202 villes sur la carte contre 92 chez Google.
Les routes
Plans d’Apple et Google Maps diffèrent à nouveau dans le nombre de routes qu’ils font figurer. Là encore le numérique a cet avantage sur le papier de pouvoir faire abstraction de certaines voies de circulation au fur et à mesure que l’on s’élève au-dessus de la carte. Sans quoi, on n’aurait qu’un amas illisible, comme l’illustre l’image en noir et blanc qui veut tout montrer.
À niveaux de zoom équivalents, Apple et Google ont fait des choix très différents, la première voulant généralement en montrer plus que le second :
Pour quasiment les deux tiers des paliers de zooms, Google et Apple montrent grosso modo le même nombre de routes. Mais pour les paliers restants, où une carte montrera plus de routes que l’autre, c’est à peu près toujours Apple qui en affiche le plus.
Les noms de routes
Lorsqu’on s’intéresse aux noms et aux numéros des routes et autoroutes c’est Google qui en montre le plus, les écarts peuvent être importants. Google inscrit par exemple 7 intitulés contre 0 pour Apple sur la région de SF, ou 9 contre 1 sur Londres. Cette différence se maintient quel que soit le niveau de détails.
Il en va de même lorsqu’on se concentre sur le quartier retenu pour chaque ville. Google montre bien plus de noms de rues qu’Apple.
Dans le cas de San Francisco, O’Beirne a posé une pastille noire sur chaque nom de rue. La différence est éclatante entre les deux cartes où ces points noirs sont au nombre de 28 pour Google et de seulement 7 pour Apple.
De manière générale, et cette capture d’écran sur New York l’illustre bien, Apple a tendance à présenter plus de villes et de routes alors que Google à l’inverse en affiche moins, au profit d’une plus grande quantité de noms et de numéros de voies.
Les POI
Les points d’intérêt (POI) témoignent également des différences entre les deux systèmes de cartes. La densité d’informations au niveau d’un quartier est telle qu’il faut obligatoirement faire des choix. À de faibles niveaux de zoom, que faut-il montrer en priorité aux utilisateurs ? Qu’est-ce qui leur sera le plus utile ?
Les deux cartes ont sensiblement le même nombre de POI mais seulement 15% d’entre eux sont identiques. Google a choisi de surtout mettre en valeur les transports public, les stations de bus et métro sont donc plus fortement représentées que chez Apple où il faut zoomer plus pour commencer à en voir.
Apple met l’accent sur les lieux où l’on se rend : restaurants, musées, magasins, hôpitaux, etc. C’est peut-être aussi ce qui explique pourquoi on trouvera moins de noms de rues sur ses cartes. La place n’étant pas infinie, même sur une carte numérique, il faut choisir entre mettre le nom de lieux importants et faire figurer celui des rues alentours.
Google a apparemment été confronté au même dilemme. Quand bien même il essaie de loger le plus de stations de bus et métro sur ses cartes, il ne les affiche pas nécessairement toutes et il ne met pas leur nom, juste un logo, pour limiter leur encombrement. À San Francisco, il escamote certaines stations mineures car il faut afficher aussi le nom des rues autour.
Apple a peut-être préféré en faire moins sur les arrêts de transports en commun au bénéfice des POI situés à ces endroits. Google comme Apple ont d’ailleurs des surcouches dédiées aux lignes de transports qui complètent les arrêts dans la carte de base. Encore une fois, ces représentations découlent de choix dictés par la nécessité de faire des compromis.
Il y a tellement de choses à référencer à ce niveau de zoom (routes, places, quartiers, etc), dans un espace si limité que peu de choses peuvent y tenir. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Apple n’essaie même pas de marquer les arrêts de transports en commun ? (Peut-être qu’elle sait qu’avec tout ce qu’elle doit étiqueter, l’intégralité des arrêts ne pourraient y figurer ?).
Justin O’Beirne a prévu de publier trois autres chapitres sur ce sujet des approches comparées d’Apple et de Google. Son propos est très intéressant et fouillé, mais il est dommage qu’il n’explique pas davantage les raisons qui ont présidé à tel ou tel choix. Il se place uniquement en position d’observateur impartial alors qu’il a eu pendant quatre ans celui d’acteur.