Sur Amazon, les frais de port pour les livres sont actuellement de 1 centime en France. Ça devrait changer en vertu de la loi dite Darcos, « visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs ». Publié fin 2021, ce texte comprend une disposition fixant des frais de port minimum pour l'envoi de livres dont le montant ne dépasse pas 35 euros (cela peut ensuite retomber à 1 centime). En septembre dernier, le gouvernement a décidé que ce seuil sera de 3 €.
Mais avant que cette mesure puisse être mise en œuvre, encore faut-il décrocher le feu vert de la Commission européenne, puisqu'elle va s'appliquer non seulement aux libraires installés en France, mais aussi à tous ceux qui, dans l'Union, expédient des livres à des lecteurs français. C'est là que ça coince, et dur. Le site L'Informé a publié l'avis de Bruxelles et le moins qu'on puisse dire, c'est que Paris va devoir faire preuve de beaucoup de pédagogie pour imposer son projet auprès de l'exécutif européen.
La Commission estime en effet que ce plancher risque de provoquer l'effet inverse de celui recherché. Les clients en ligne pourraient privilégier l'achat auprès des grandes plateformes, tandis que les petits libraires auront du mal à s'aligner sur ce prix de 3 € minimal (comme c'est le cas pour le centime demandé par Amazon). À l'origine, les libraires plaidaient pour des frais de port de 4,50 € au minimum.
Bruxelles a d'autres griefs : les libraires français risquent d'être avantagés par rapport aux concurrents européens, car ils sont davantage susceptibles d'offrir des alternatives à la livraison postale (livraison dans un point de vente au détail, par exemple). Par ailleurs, la France a mis en avant la défense d'une offre culturelle « riche et diversifiée », mais la Commission n'a pas su déterminer comment des frais de port minimaux pourraient favoriser une telle offre.
À cela s'ajoute une « restriction injustifiée à la libre circulation des services de la société de l’information sur le territoire français » ainsi qu'un frein potentiel à l'importation de marchandises. C'est entendu, le livre n'est pas un produit comme un autre et il existe des exceptions, mais les arguments avancés par la France selon lesquels cette disposition garantissait « l'accès du public à la diversité et à la qualité de l'offre éditoriale » n'ont pas fait mouche.
Cet avis circonstancié ressemble à une victoire éclatante pour Amazon, qui n'a pas lésiné sur le lobbying pour faire entendre ses arguments. Le gouvernement français n'est pas sorti de l'auberge, il va devoir revoir sa copie et trouver les mots justes pour convaincre la Commission du bien-fondé de cette mesure.