L’ouverture d’Android est fortement conditionnée par les intérêts des sociétés impliquées dans son développement. Alors que les fabricants et les opérateurs vont parfois à l’encontre de ses intérêts, Google reprend de plus en plus fermement le contrôle de son système — en vidant progressivement le projet open source de sa substance.
Le succès d’Android n’est en effet pas entièrement le succès de Google, qui s’est prise à son propre piège. L’ouverture et la gratuité lui ont permis de se libérer de la tutelle d’Apple dans le monde du mobile, avec ses applications et ses services en embuscade. Mais elles ont aussi permis à d’autres de se libérer à leur tour de la tutelle de Google.
Ainsi, moins de 6 % des applications Android téléchargées en Chine le sont à partir du Play Store : les services de Google sont totalement absents de l’écrasante majorité des smartphones chinois. Car ce n’est pas Android qui est populaire en Chine, mais des forks d'Android comme le Yi OS de Baidu, sur lesquels la firme de Mountain View n’a aucun contrôle.
Du contrôle, elle en a toutefois sur l’Open Handset Alliance (OHA). Autrefois symbole de la coopération entre les opérateurs, les fabricants et les distributeurs, ce consortium est aujourd’hui une arme qui permet à Google, à défaut de pouvoir combattre ce phénomène, d’au moins le contenir à la Chine.
Aucun de ses membres ne peut commercialiser un appareil utilisant un fork d’Android, sous peine que tous ses appareils perdent leur accès au Play Store. Acer l’a appris à ses dépens lorsqu’elle s'est mise en tête de produire un smartphone sous Aliyun, une variante chinoise d’Android. Le géant Google n’a pas hésité un seul instant à fourbir son arsenal de menaces pour faire plier le petit fabricant taïwanais, avec succès d’ailleurs.
Aucun membre de l’OHA ne peut même produire d’appareils utilisant un fork d’Android, sous peine des mêmes représailles. Amazon a ainsi toutes les peines du monde à trouver des composants en grand volume et à prix réduit pour son futur smartphone : les principaux sous-traitants ont prêté serment d’allégeance à la firme de Mountain View. Il ne restait que Quanta pour produire ses tablettes, dont le Fire OS ne contient pas une trace des services de Google, et un partenariat avec HTC aurait des conséquences explosives.
Les conditions de l’OHA sont justifiables : les services de Google sont certes implantés au cœur d’Android comme un cheval de Troie, mais en contrepartie, les fabricants profitent librement d’une base sur laquelle greffer leurs propres services. Comme le fait remarquer Ars Technica, Google a néanmoins considérablement revu à la baisse son implication dans l’Android Open Source Project, rompant au passage un certain équilibre.
Les applications de Google ont toujours été propriétaires, mais Google Search, Google Play Music, Google Calendar, Google Camera et bientôt Google Hangouts et Google Photos justifient aujourd’hui l’abandon de pans entiers de la version libre d’Android. Les plus petits fabricants n’ont d’autre choix que de respecter à la lettre le cahier des charges de l’OHA et de plonger dans une dépendance totale à Google — car il est impossible d’utiliser certains services de Google sans utiliser tous les autres (lire : Google, Motorola et Skyhook : de l'importance du contrôle des données de géolocalisation).
Seuls les plus gros fabricants peuvent résister : est-ce un hasard si Samsung a cloné chacune des applications de Google et développé sa propre suite de services en ligne, allant même jusqu’à proposer son propre SDK et sa propre boutique ? En minimisant l’emprise de Google sur ses clients, le coréen prépare son arsenal au cas où la guerre froide devait tourner à l’affrontement ouvert.
Un affrontement possible : le code d’Android est libre, mais cette liberté est plus que jamais sujette au bon vouloir de Google. Mais un affrontement encore lointain : la firme de Mountain View a résisté à la tentation d’utiliser Motorola comme bras armé. Pour le moment.