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App Store : la farce des classements d'apps

Florian Innocente

mercredi 08 février 2012 à 11:19 • 59

AAPL



Faut-il encore faire confiance aux classements et commentaires de l'App Store, au vu des multiples manières qui permettent d'améliorer artificiellement la position et la visibilité d'une app ? La réponse est quasiment dans la question. Elle revient néanmoins sur la table à la faveur d'une nouvelle mise en garde d'Apple, adressée hier aux développeurs iOS, contre certains services de promotions pour leurs apps (lire aussi Apple rappelle à l'ordre sur l'utilisation des alertes push).

«Après avoir développé une très bonne application, vous voulez que tout le monde la découvre. Toutefois, lorsque vous faites la promotion de votre application, vous devez éviter d'utiliser des services qui vantent ou garantissent un très bon positionnement dans les classements de l'App Store. Même si vous n'êtes pas personnellement impliqué dans la manipulation de ces classements ou des commentaires des utilisateurs, utiliser des services qui le feront en votre nom peut conduire à l'annulation de votre contrat développeur».


Ce rappel arrive après la publicité faite deux jours plus tôt autour d'une discussion dans les forums de TouchArcarde. Un développeur stupéfait y expliquait avoir été approché par une société capable de mettre à sa disposition des bots qui téléchargent automatiquement des applications pour les faire grimper dans le Top 25 de l'App Store. Une prestation facturée 5000$ (3800€). Son interlocuteur lui avait cité 8 apps actuellement dans les 20 premières places des jeux gratuits d'iTunes US, et toutes poussées par ses soins.

Il en va des classements de l'App Store comme ceux des liens d'un Google. Plus vous êtes haut placé, meilleures sont les chances d'être vu, les utilisateurs ne descendant pas en masse dans les soutes de l'App Store pour aller chercher la perle rare.

Le témoignage sur TouchArcade évoquait un système automatisé, mais il est possible de pousser une application grâce au concours d'utilisateurs et en utilisant différents appâts. La société française AppVip est sur ce créneau depuis 2009, mais on peut également citer Surikate et son application Appli Privée.

AppVip propose aux éditeurs plusieurs formules : faire tester les apps ; recueillir des avis au travers de sondages dans le logiciel ou proposer des concours. Ces formules varient dans leur forme, mais le bénéfice immédiat est à chaque fois le même : l'application est téléchargée et monte mécaniquement dans les classements. Plus le nombre de téléchargements réalisé dans un court laps de temps est important, plus l'app monte vite et haut. Les utilisateurs sont tenus au courant des campagnes proposées par AppVip au moyen d'alertes push dans l'app du même nom, qui liste les campagnes en cours et les gains proposés.



L'incitation est généralement financière, l'utilisateur est rétribué pour sa participation, soit par des versements PayPal, soit par des coupons iTunes ou Amazon (il peut aussi gagner des lots par tirage au sort). AppVip paye en "VIPz", 1000 VIPz donnent droit à 10€ et la quantité de VIPz reçue pour tester une app varie : 25, 30, 120, 210… Autre formule, celle dite du "Cashback", elle nécessite de télécharger une application et de la lancer au moins une fois. Rien de plus.

L'option sondage implique, elle, de récupérer l'application et de répondre à un QCM. C'est le système privilégié par Appli Privée. Récemment, Surikate rétribuait l'utilisateur 0,25€ pour répondre à 5 questions types sur la nouvelle application du Parisien, et précédemment celle du Figaro. Dans l'exemple ci-dessous l'app Los People est payante, quelques heures après avoir rempli le QCM, on est remboursé de son achat avec un bonus.



Dans une interview en décembre au Journal du Net, Jules Minvielle, le fondateur de Surikate, insistait sur cette nuance entre sondages d'un côté et rémunérations pour poster des commentaires de l'autre «Nous rémunérons les membres de notre communauté au test, pas à l'installation d'une application».



Car les campagnes "À tester" d'AppVip impliquent avant tout de laisser un avis sur l'App Store après avoir essayé le logiciel. C'est la présence de ce commentaire, vérifiée par AppVip, qui valide votre participation. Et c'est là que la méthode est susceptible de pervertir davantage encore les classements de l'App Store. Dans ce cas de figure, le bénéfice est double pour l'éditeur : son app monte dans le classement et sa note prend du relief. Bien sûr, rien n'empêche un utilisateur de descendre en flamme une mauvaise app, d'ailleurs AppVip invite à être «pertinent» dans ses propos. Toutefois, une lecture des avis laissés sous certaines applications récemment poussées témoigne que la majorité des utilisateurs s'en tient au service minimum (çà et là, on trouve aussi des commentaires dignes d'un bêtisier : "on se sent alaise en essayant cette application" ; "Dans cette application je me sentais vivant"…). La pertinence est un voeu rarement exaucé.

Un exemple avec l'app musicale edjing DJ Turntable (concurrente de Djay, payant) dont App Vip vient de faire la promo (4e actuellement des apps gratuites). Sur quelques centaines d'appréciations toutes plus flatteuses les unes que les autres, et autant dans les notations, on compte sur les doigts d'une main les personnes qui ont fait remarquer qu'au bout de 3 minutes, ce logiciel gratuit impose de créer un compte pour continuer à l'utiliser. Ce qui peut donner une idée du temps moyen passé à la "tester" pour tous les autres utilisateurs…



Une lecture plus attentive encore montre aussi que derrière plusieurs comptes, autant d'avis et de rangées pleines d'étoiles se cache de toute évidence une seule personne. Par exemple, des pseudo affichés sur iTunes qui ne sont que des itérations successives. Dans la capture ci-dessous, ces avis publiés le 23 décembre pour le jeu Dungeon Hunter 3 de Gameloft dont AppVip assura la campagne le même jour.



Ou encore, des avis strictement identiques, mais apparaissant sous les pseudo différents, un cas de figure très courant.



Ce système pour monter dans les classements peut donner de bons résultats, mais être également très éphémère, le carrosse peut vite redevenir citrouille. Le Dungeon Hunter 3 de Gameloft a été particulièrement critiqué lors de sa sortie fin décembre. Ce titre n'est pas mauvais, il est gratuit, mais il fait un usage jugé excessif des achats In-App pour progresser dans le jeu (lire aussi Freemium : Gameloft est-il allé trop loin ?).

Son éditeur a utilisé les services d'AppVip le 23 décembre. À cette date sur iTunes on note encore des avis virulents, mais ils sont vite suivis durant 2 à 3 jours d'une enfilade de notes très positives. Sur les quelque 500 notes de la dernière version du jeu, la quasi-totalité affiche entre 4 et 5 étoiles et quelques dizaines oscillent entre 1 et 2 étoiles. Depuis, l'application est classée autour de la 230e place des jeux gratuits, loin des yeux des visiteurs et avec cette incohérence d'avoir une app toute récente, très bien notée, mais dans la réalité, éjectée du top 200 affiché par iTunes.

L'éditeur d'une application routière nous expliquait avoir songé à utiliser ce système de promotion - quelques-uns de ses concurrents le font et il avait observé des progressions franches dans leurs classements - mais il préfère encore aujourd'hui s'en tenir à l'écart. Il estime que le risque encouru vis-à-vis d'Apple (suppression de son application) ne vaut pas le gain provisoire de position obtenu sur l'App Store.

Ces services de «tests gratuits en échange de gratifications», pour reprendre la terminologie d'AppVip, frôlent les limites de ce qu'Apple accepte dans ses contrats de licence, quand ils ne mordent sur la ligne jaune.

AppVip par exemple écrit sur son site : «Proposez votre app & atteignez le top 25». Ce qui contrevient à la mise en garde énoncée avant-hier par Apple. Idem chez Surikate qui avance une «garantie de l'atteinte du Top souhaité […] 9 utilisateurs d'iPhone sur 10 utilisent le Top 25 pour choisir et télécharger une application. Nos solutions propulsent mécaniquement votre application dans le Top de votre choix. Vous générez alors des milliers de téléchargements naturels.».

L'éditeur prend bien soin toutefois dans sa documentation [pdf] de préciser qu'il ne rétribue pas les utilisateurs pour laisser des commentaires, il cite à ce titre une clause du contrat de licence d'Apple qui proscrit ce paiement en échange de faux avis [l'App Store Review Guidelines] «Si vous tentez de tricher avec le système (par exemple, en essayant de tromper le processus de validation, en volant des données des utilisateurs, en copiant le travail d'un autre développeur, ou en manipulant les avis des utilisateurs) vos applications seront supprimées du magasin et vous serez expulsé du programme développeur».

Quelle que soit la nature des classements (livres, singles…) les techniques pour améliorer artificiellement une position ont toujours existé. Celles de l'App Store n'en sont que de nouvelles, adaptées à cette plateforme. Sans surprise, elles sont accessibles à qui peut consacrer un gros budget de communication. Dans son interview au Journal du Net, Jules Minvielle donnait le chiffre moyen de 10 000 tests/téléchargements nécessaires en quelques heures pour atteindre le Top 10, avec un coût moyen de 10 000€ pour le client. Ce qui n'est pas à la portée de n'importe quel développeur qui se lance sur l'App Store. Pas étonnant que les clients de ces entreprises soient des Nestlé, Gameloft, Le Figaro, l'Express, Carrefour, BulkyPix, Citroën ou encore les Wikandgo, Mappy ou Coyote.

On ne parle pas ici de légalité ou non de ces procédés, les seules lois qu'ils peuvent ignorer sont celles dictées par Apple. L'interdiction de payer pour des commentaires est par exemple assez claire. Mais a priori, la Pomme ne semble pas s'en offusquer au-delà de rappels comme celui d'hier, tant ces applications appartiennent désormais au paysage. Est-ce qu'Apple y trouverait son compte dès lors que les limites ne sont pas trop franchement dépassées ?



Ces services génèrent des volumes de téléchargements importants et Apple comme ses concurrents aiment de temps à autre proclamer des records. Reste que ces classements, si l'on avait encore la naïveté de les considérer, sont pervertis, entachés de soupçons et dès lors dénués de tout sens, et plus encore lorsque les commentaires associés sont tout aussi factices. S'y mélangent dans les meilleures places de vrais titres de qualité qui méritent leur place et d'autres apps, poussées dans le dos. À ce stade, sauf à ce qu'Apple ne trouve une nouvelle approche, le bouche à oreille sur les apps de qualité reste la plus ancienne, mais la plus sûre des recommandations.

[MàJ] : l'éditeur de Los People qui a utilisé les services de Surikate nous a expliqué qu'il s'agissait moins de faire grimper l'application dans les classements (ce qui lui avait été par ailleurs proposé par l'agence) que d'avoir un retour utilisateurs après une campagne sur NRJ qui avait donné une visibilité importante au logiciel.

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