Brevets FRAND : le Congrès américain s'en mêle

Anthony Nelzin-Santos |

Le Congrès américain pourrait plus fortement encadrer l'utilisation des brevets essentiels aux standards dans des procédures judiciaires. Cette pratique, devenue commune, va à l'encontre de ce qu'est censé être un brevet essentiel aux standards et pose aujourd'hui de sérieux problèmes au système judiciaire américain.



La propriété industrielle a pour but de protéger l'invention (la création ayant pour objet de résoudre un problème technique), tout en assurant sa diffusion. Quand Nokia ou Motorola inventent les bases des réseaux cellulaires, ou que Microsoft et Apple travaillent au décodage des vidéos, elles peuvent déposer des brevets, sous réserve de leur validité. Néanmoins, dès lors que ces inventions deviennent des standards, le système invite fortement à ce que ces brevets soit ouverts à licence selon des termes justes, raisonnables et non-discriminatoires (FRAND). Ainsi, les inventeurs sont rétribués pour leur peine, sans que le public ne soit soumis à un monopole qui serait contraire au bien commun.



Le rôle croissant de l'International Trade Commission (ITC), une agence chargée de faire respecter les lois commerciales, pose aujourd'hui un problème majeur. L'interdiction d'importation et de vente d'un produit sur le sol américain étant en son pouvoir, elle est devenue une instance de référence pour les affaires de propriété intellectuelle, et est désormais une instance quasi-judiciaire. Elle a néanmoins tendance à accepter des dossiers dans lesquels on trouve des brevets essentiels aux standards ; or comme le rappelait récemment la Federal Trade Commission (FTC), l'agence américaine de défense du consommateur, elle ne devrait pas. Pire, si elle devait rendre demain une décision favorable à une partie utilisant des brevets FRAND, elle pourrait entraîner un blocage total du système de la propriété industrielle aux États-Unis.



Le principe même des brevets FRAND est en effet qu'ils sont incontournables : s'ils sont glissés dans un dossier juridique et jugés valides, ils ne peuvent qu'entraîner une victoire automatique. Or ces brevets sont censés être ouverts à licence : le montant peut certes être discuté (Nokia avait forcé Apple à la négociation par voix de justice), pas le principe. En théorie, brevet FRAND et plainte pour violation de propriété intellectuelle sont incompatibles. Pourtant, Samsung et Motorola n'hésitent pas à attaquer Apple et Microsoft, en Europe et aux États-Unis, avec ce type de brevets.



En Europe, la Commission européenne devrait se pencher sur le cas de Motorola, qui attaque Apple et Microsoft avec des brevets essentiels à la 3G (lire : L'usage des brevets FRAND par Motorola dénoncé par Microsoft et Apple). Bruxelles a aussi ouvert une enquête sur Samsung pour l'utilisation de brevets essentiels à la même norme. Microsoft est le parfait exemple de cette pratique : la firme de Redmond dispose de brevets essentiels à l'utilisation du Wi-Fi 802.11, de la vidéo H.264 ou de la synchronisation sans-fil en push, et tous sont ouverts à licence — la plupart des fabricants de téléphones Android, à l'exception notable de Motorola, ont d'ores et déjà signé des accords de licence.



Aux États-Unis, la FTC a déjà envoyé un premier avertissement à l'ITC, un fait d'autant plus rare que les deux agences sont indépendantes, mais d'autant plus important que l'ITC est subordonnée à la FTC dans son processus décisionnel, la défense des intérêts commerciaux ne pouvant jamais se faire en défaveur des intérêts du consommateur. Comme le rapporte Reuters, c'est maintenant au tour de la Commission juridique du Sénat de se pencher sur la question, après un lobbying intense de Microsoft, Apple et Qualcomm, qui s'estiment victimes d'un chantage au brevet FRAND. La FTC et le ministère de la Justice ont été entendus hier et les conclusions devraient être prochainement rendues publiques.



Il semble que l'on s'achemine vers un recadrage assez sévère, qui pourrait mettre un terme prématuré à la plupart des affaires en cours dans la grande guerre du mobile qui se déroule depuis trois à quatre ans.



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