Les constructeurs historiques à des années de la voiture informatisée de Tesla

Nicolas Furno |

Tesla conçoit ses véhicules exclusivement électriques avant tout comme des ordinateurs sur quatre roues. C’est évidemment réducteur, mais l’atout le plus important du constructeur n’est pas ses batteries, ni ses moteurs électriques, encore moins son design assez bateau si l’on oublie le Cybertruck. L’essentiel, c’est plutôt le processeur et toutes les autres puces informatiques au cœur de la machine et encore plus les mises à jour constantes des voitures, comme des ordinateurs.

Le tableau de bord extrêmement dépouillé de la Model 3.

Ce choix n’est pas nouveau, il a été fait dès le départ par le constructeur dirigé par Elon Musk. Le premier Roadster n’était qu’une variante d’une voiture thermique déjà sur le marché, mais la Model S, le premier véhicule dessiné par Tesla, proposait déjà son immense écran tactile et des mises à jour envoyées par internet. Difficile de parler de nouveauté quand on pense que cette voiture a été commercialisée il y a près de huit ans, mais Tesla reste pourtant la seule entreprise sur le marché à avoir cette approche.

Et la firme californienne est probablement loin d’être inquiétée par les constructeurs historiques, en tout cas pas sur ce terrain. Poussés notamment par les législations européennes qui leur imposent l’électrification de leur gamme, les acteurs traditionnels se mettent tous à produire des voitures électriques. Et certains commencent à s’approcher de l’autonomie des Tesla, même si ces dernières restent des modèles en termes d’efficience, mais aucun n’a repris l’approche informatique avant tout. Et ce n’est pas prêt de changer si l’on en juge à l’attitude de Toyota, numéro un mondial.

Le géant japonais est non seulement à la traine sur l’électrique alors même qu’il était pionnier du secteur il y a bien des années avec la Prius, première voiture de masse hybride. Le site Nikkei Asian Review a démonté une Model 3 et a présenté ses découvertes à des ingénieurs de Toyota et Volkswagen, numéro deux mondial. Bilan : ces deux constructeurs sont incapables de reproduire ce que Tesla a fait et les spécialistes du secteur interrogés par le site estiment que le californien pourrait avoir six ans d’avance dans le domaine.

L’ordinateur central des Tesla depuis quelques mois. C’est un nouveau design, construit autour de deux puces modifiées en interne (image Nikkei Asian Review).

Il faut dire que Tesla a commencé plus tôt et n’a pas ralenti depuis 2012, bien au contraire. Le rôle de l’informatique s’est accru au fil des années, comme en témoigne d’ailleurs le tableau de bord extrêmement dépouillé de la Model 3. Du point de vue du conducteur, tout se fait par l’écran tactile, unique point d’entrée pour tout contrôler. De manière plus fondamentale, l’ordinateur est au cœur de la stratégie de l’entreprise, notamment dans le domaine de la conduite autonome.

C’est pour atteindre cet objectif que le constructeur a bardé ses voitures de caméras et mise gros sur l’intelligence artificielle. C’est aussi pour l’atteindre qu’il a commencé à concevoir ses propres puces, pour atteindre l’immense puissance de calcul nécessaire. Comme Apple en son temps avec les systèmes sur puce créés en interne, Tesla espère ainsi atteindre le premier son objectif ambitieux sur la conduite autonome. Peut-être qu’un autre acteur de la Silicon Valley fera mieux, mais probablement pas un constructeur traditionnel.

Là où Tesla crée ses propres puces sur mesure, Toyota, Volkswagen et les autres assemblent des centaines de pièces fournies par leurs sous-traitants. Le comble, c’est que l’un des ingénieurs interrogés par le Nikkei justifie ce « choix » par la nécessité de préserver ces sous-traitants et la relation entretenue depuis des années par les constructeurs historiques. Un raisonnement surprenant, mais qui revient souvent pour les voitures électriques, nettement plus simples à créer que celles avec un moteur à explosion. Certains acteurs traditionnels s’inquiètent de perdre leur place si leur expertise liée aux technologies qui ont toujours existé jusque-là n’est plus nécessaire.

La batterie et les deux moteurs électriques d’une Model S. Le nombre de pièces sur une voiture électrique est bien plus faible que sur une voiture à essence (image Tesla).

Ce qui ne veut pas dire que Tesla a tout compris, ni que n’importe qui peut faire aussi bien. Gérer une voiture comme un ordinateur nécessite beaucoup d’expertise également, mais de nature différente. Les promesses jamais tenues d’Elon Musk dans le domaine de la conduite autonome prouvent bien que la tâche n’est pas aussi facile qu’il veut bien le répéter. Et puis Tesla a parfois tendance à trop faire confiance à l'informatique, avec des solutions extrêmement complexes à des problèmes déjà résolus1.

L’informatisation et la connexion permanente viennent aussi avec leurs dérives. Il est quasiment impossible d’utiliser une Tesla sans la mettre à jour quand une nouvelle version du système est disponible, même si celle-ci réduit l’autonomie de votre voiture. L’informatique permet aussi de faire payer après coup pour des fonctions supplémentaires, voire pour améliorer les performances. Et comme le prouve cet exemple récent où un acheteur américain a eu la mauvaise surprise de perdre des fonctions après avoir mis à jour sa Model S achetée d’occasion2, l’informatisation n’a indéniablement pas que du bon.

Des inconvénients, certes, mais pensez à tous les avantages apportés par cette approche ! Les multiples améliorations en matière de conduite autonome ne profitent pas qu’aux nouveaux propriétaires de Model 3, tous ceux qui ont acheté un exemplaire en bénéficient. De même pour la charge plus rapide sortie l’an dernier, ou encore pour les options de divertissement proposées pendant la charge.

Pour vous faire patienter pendant la charge, la Model 3 propose plusieurs options, des jeux vidéo et des services de streaming vidéo (image Car and Driver).

Les autres constructeurs finiront probablement par offrir le même genre de fonctions. Mais comme Volkswagen a pu le constater avec son ID3 conçue elle aussi autour d’un ordinateur mis à jour à distance, ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire, surtout à grande échelle. Il ne faut pas simplement placer un processeur dans sa voiture, il faut aussi coder tout le système d’exploitation et encore prévoir toute une infrastructure pour les mises à jour. Et pendant ce temps, Tesla ne va pas brutalement arrêter d’améliorer son système…


  1. Le meilleur exemple est certainement l’activation automatique des essuie-glaces. La Model 3 n’a pas le capteur spécifique sous le pare-brise utilisé par toute l’industrie et Tesla a exploité la caméra avant, avec énormément d’intelligence artificielle pour détecter des gouttes d’eau. Cela a fini par fonctionner, mais il a fallu plusieurs essais et probablement pas mal d’heures de développement pour y arriver.  ↩

  2. Le constructeur a fini par faire marche arrière face au tollé médiatique.  ↩

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