Après un an de Satya Nadella, Microsoft est-il devenu cool ?

Mickaël Bazoge |

Après 14 années sous la férule de Steve Ballmer, Microsoft avait besoin d’un sérieux coup de frais sur une stratégie globale qui donnait l’impression de faire du surplace — ou pire encore, de régresser sur certains marchés. Cet œil neuf, c’est Satya Nadella qui devait l’apporter. Nommé le 4 février 2014 à la tête de l’éditeur de Redmond, le nouveau CEO apporte dans ses bagages son expérience acquise au sein de la division Serveurs de l’entreprise, ainsi que son savoir-faire dans le nuage.

Des thèmes peu sexy et a priori peu susceptibles de soulever l’enthousiasme des foules, mais le choix de confier les clés du groupe à ce spécialiste des services aux entreprises, a eu pour effet de rassurer les actionnaires… ceux-là mêmes qui ont obtenu la tête de Ballmer. Les premiers pas du nouveau CEO ont d’ailleurs été marqués par des décisions difficiles : réorganisation de l’équipe dirigeante, et surtout suppression de milliers d’emplois, notamment dans la branche mobile achetée à Nokia. Satya Nadella a également livré le fond de sa pensée dans un vade-mecum indigeste et rempli d’un sabir qui a donné l’image d’un patron ne sachant trop que faire de son nouveau jouet ni où l’emmener (lire :  Microsoft : les services d’abord, le mobile d’abord, et puis tout le reste en prime).

Des premiers pas difficiles donc pour le troisième CEO de toute l’histoire de Microsoft. Mais loin des grands soirs et des coups d’éclat dont était friand son prédécesseur, Nadella a su imposer un style nouveau chez Microsoft, tout en discrétion certes, mais avec une stratégie qui commence à se dessiner (en attendant de payer).

Le point d’orgue de la reconquête des cœurs et des esprits des utilisateurs a été sans conteste la conférence sur ce fameux « prochain chapitre » que compte emprunter Microsoft. Le 21 janvier dernier, l’éditeur a en effet présenté ses dernières innovations dont chacune symbolisait un nouveau départ — voire une entrée — dans leurs secteurs respectifs.

Windows 10, le cheval de Troie du nouveau Microsoft

Windows 10, une plateforme unique à destination de tous les écrans, est la nouvelle bannière sous laquelle vont se regrouper PC traditionnels, tablettes et smartphones.

Microsoft suit ici la même logique qui préside à ses produits mobiles (ce depuis le défunt Windows Mobile) : offrir une expérience similaire entre terminaux. Il semble qu’avec Windows 10, Redmond ait fini par trouver la martingale, notamment par le biais des applications universelles (une app écrite pour PC peut s’adapter, au prix d’une rapide adaptation de code, à un smartphone voire une Xbox) et d’un travail sur l’interface. Sur un PC de bureau, Windows n’impose plus son écran d’accueil à base de tuiles dynamiques : retour à une navigation plus traditionnelle à base de souris et de clavier, soulignant au passage l’échec relatif des écrans tactiles pour les ordinateurs classiques.

Windows 10 est souvent un peu balourd (le menu Démarrer que l’on peut afficher en plein écran…), mais parfois cela fonctionne mieux, comme la fonction Continuum qui permet de basculer d’une interface PC à une plus adaptée aux tablettes. Le futur OS montre que le pragmatisme a fait son retour chez Microsoft. Un pragmatisme qui se nourrit des retours des utilisateurs : les essuyeurs de plâtre seront entendus et des modifications seront apportées au système d’exploitation si les ingénieurs de l’éditeur les trouvent pertinentes.

Les brillants esprits qui, enfermés dans la tour d’ivoire de Redmond, ont tenté d’imposer leur vision des choses en ont été pour leurs frais. Il est ainsi rafraîchissant de voir une multinationale de la taille de Microsoft jouer la carte de l’humilité et s’excuser presque de s’être fourvoyée, même si Windows 8 contenait d’intéressantes innovations en termes d’ergonomie et d’affichage d’informations.

Mais la plus grande nouveauté est incontestablement la gratuité du système d’exploitation. Si Windows 10 sera accessible à tous les utilisateurs de Windows 7 et suivants, rien n’est jamais simple chez Microsoft, qui a évoqué un étrange « Gratuit pour la première année ». Faudra-t-il payer ensuite sur la base d’un abonnement ? Difficile à croire. Confusion aussi du côté des smartphones sous Windows Phone : si Redmond travaille à offrir Windows 10 pour la quasi-totalité des anciens terminaux mobiles, cette prise en charge se limitera à quelques fonctions supplémentaires pour certains mobiles (lire : Un Windows 10 amputé de quelques fonctions pour le Lumia 520).

Mais après tout, Rome ne s’est pas faite en un jour et le ripolinage de Microsoft en entreprise simple et ouverte va prendre du temps, celui qu’il faudra pour liquider un héritage lourd de 40 ans, qui se sent encore dans la pub diffusée durant le dernier Superbowl :

La fête à la R&D

Durant cette conférence, Microsoft a aussi tenu à faire savoir que l’entreprise occupait crânement le créneau de l’innovation. La première se destine aux entreprises, un marché qui reste plus que jamais celui convoité par l’éditeur. La Surface Hub est une lointaine descendante de la table Surface, qui en devenant PixelSense, a laissé son nom aux tablettes du groupe.

Ce « tableau blanc » tactile de 55 ou 84 pouces avec option 4K n’est autre qu’un ordinateur à poser sur le mur de la salle de réunion (ou à transporter sur un chariot roulant). Fonctionnant évidemment sous Windows 10, ce produit comprend deux stylets permettant d’annoter et d’écrire sur cette grande surface, ainsi que deux caméras pour Skype.

Ce qui n’est somme toute qu’une Surface un peu améliorée a rapidement été oublié au profit d’un autre ordinateur plus évolué encore, l’HoloLens. Ce casque mêlant réalité virtuelle, réalité augmentée et reconnaissance des mouvements dans l’espace (sans oublier l’analyse 3D de l’environnement) ressemble à un fantasme de fan de SF. Et les vidéos diffusées par Microsoft font en effet songer à un film de science-fiction…

Toutefois, la démonstration réalisée durant la conférence a refroidi bon nombre d’enthousiastes, les mouvements reconnus par le casque se montrant très limités, sans oublier que Microsoft s’est bien abstenu de détailler comment l’environnement de l’utilisateur était pris en compte (un sujet sur lequel planchent aussi bien Google qu’Apple, propriétaire de PrimeSense dont la technologie a servi au développement du Kinect de la Xbox). Mais après tout, il ne s’agissait que d’une version alpha (lire : Microsoft HoloLens : l'hologramme est-il l'avenir de l'informatique ?).

Quel succès rencontreront ces deux produits ? Limité, sans doute. La Surface Hub se destine aux entreprises, quant à l’HoloLens, son encombrement, son intérêt et son prix (pas encore connu) limiteront son potentiel de clients à court et moyen terme, le temps que cette technologie se démocratise. Mais cette reconnaissance publique et pécuniaire est-elle réellement désirée ? Il fallait en effet surtout vendre l’image d’une entreprise innovante et engagée dans les technologies les plus avancées. De ce point de vue, le pari en termes de communication est parfaitement réussi (cet article en témoigne).

Quant à Satya Nadella, son rôle dans ces deux produits n’a pu s’exercer qu’à la marge : on n’imagine pas que des concepts comme la Surface Hub ou l’HoloLens aient été impulsés sous son trop jeune magistère.

Mobilité et téléphonie : tout pour les autres

Microsoft a bâti son succès et son empire sur la vente de licences, laissant à ses partenaires le soin de développer, produire et commercialiser du matériel. L’entreprise a bien tenté de temps à autre de se lancer avec des produits bien à elle, mais ces tentatives se sont à peu près toutes méchamment fracassées sur le mur des réalités, qu’on songe aux téléphones Kin ou au baladeur Zune.

Si la renaissance d’Apple a prouvé quelque chose, c’est bien qu’une entreprise qui nourrit quelques ambitions se doit de maîtriser le matériel et le logiciel. Microsoft en avait d’ailleurs un exemple sous les yeux : après tout, l’éditeur est aussi constructeur depuis près de 15 ans, avec la Xbox. La console de salon a mis du temps avant de s’imposer dans les salons, ce n'est d'ailleurs qu'avec sa deuxième génération, la Xbox 360, qu'on peut véritablement parler de succès.

Si la division en charge de la Xbox jouit d’une certaine autonomie au sein du groupe, ce n’est pas le cas des autres produits conçus et distribués par Microsoft. La tablette Surface commence finalement à trouver son rythme de croisière après avoir coûté énormément d’argent (rappelons la provision de 900 millions de dollars afin d’éponger les stocks d’invendus). Les derniers résultats de Microsoft ont montré un ressaisissement de la gamme : il se vend trois Surface Pro 3 quand le constructeur ne vendait que deux Surface Pro 2. Le chiffre d’affaires tiré de cette activité se monte à 1,1 milliard de dollars, ce qui est évidemment loin des 9 milliards apportés par l’iPad chez Apple.

Si la gamme Surface a visiblement réussi à sauver sa tête, elle a dû être amputée d’un poids mort : Microsoft a en effet cessé la production de la version à processeur ARM et, dans la foulée, abandonné toutes velléités d’imposer la déclinaison RT de Windows face à iOS et Android (lire : Entre ici, Windows RT). ARM continue néanmoins de clignoter sur le tableau de bord de l’éditeur, qui soutient le Raspberry Pi 2 au travers d’une édition spéciale de Windows 10 (sans l’interface) pour la petite carte-mère à pas chère. On ne sait jamais, cela pourra peut-être servir à l’avenir.

Cette décision a-t-elle été prise par Satya Nadella ? On peut se plaire à l’imaginer. Et au passage, ce soutien au Raspberry Pi contribue à donner de Microsoft une image sympathique auprès des bidouilleurs. On peut toujours attendre d’Apple un geste similaire…

La situation est plus complexe quand on regarde du côté de la téléphonie. Les Lumia ont dépassé les 10 millions d’unités livrées au dernier trimestre de l’an dernier, Microsoft ayant annoncé un chiffre d’affaires de 2,3 milliards pour cette activité. Les profits restent en revanche très bas (331 millions), ce qui s’explique assez aisément : Microsoft, et Nokia avant lui, s’est orienté vers l’entrée de gamme et les marchés émergents pour tenter d’imposer sa plateforme Windows Phone. Les marges sont pratiquement nulles sur ce segment, à moins de réaliser beaucoup de volume. La téléphonie mobile reste plus que jamais pour Microsoft un pari qui sera d’autant plus difficile à réussir que le constructeur fait face à la rude concurrence des fabricants chinois dont les coûts sont bien moindres.

En dehors de l’annonce des charrettes de licenciements qui ont largement touché les effectifs de l’ex-branche mobile de Nokia intégrée à Microsoft, Satya Nadella n’a pas vraiment fait souffler de vent nouveau dans ce domaine… si ce n’est d’investir massivement dans les autres plateformes !

Les utilisateurs d’iOS ont ainsi eu droit à une version gratuite et complète d’Office pour iPhone et iPad, à un tout « nouveau » Outlook (né de l'acquisition d'Acompli) et à une famille d'apps MSN. On attend des nouvelles à venir pour le gestionnaire d’agenda Sunrise, qui aurait été acquis par Redmond, ainsi que de HockeyApp, une application à la TestFlight permettant aux développeurs de distribuer des betas de leurs logiciels (lire : Acquisition de HockeyApp et apps MSN : Microsoft pousse sur iOS).

Microsoft pousse le feu des investissements pour les autres plateformes, en donnant l’impression de ne pas vraiment s’occuper de Windows Phone. Windows 10 pour mobile apportera bien quelques raffinements dans son interface, mais rien qui ne soit de même ampleur que Windows 10 pour tablette et PC (qui recevront une déclinaison d’Office enfin adaptée au tout-tactile, bien après celle à destination de l’iPad). La réflexion de Satya Nadella n’est sans doute pas encore arrivée à maturité concernant les smartphones. En revanche, le constructeur continue de miser sur les feature phones comme il l’a prouvé l’été dernier avec le Nokia 130.

Un lourd paquebot à manœuvrer

Ces changements stratégiques, qui sont effectivement impulsés par des mouvements de fond au sein de Microsoft, restent toutefois à nuancer. D’une part, toutes les louanges ne sont pas à attribuer à Satya Nadella. On a tendance à l’oublier, mais c’est bien Steve Ballmer qui a initié ce mouvement de « refocus » de l’éditeur, dans une initiative baptisée « One Microsoft ». Cet agenda a été dévoilé à l’été 2013, quelques semaines avant l’annonce de son départ. Ironiquement, le board, qui a rejeté le plan One Microsoft, s’est finalement vu administrer une potion similaire par Satya Nadella, successeur d’un CEO poussé à la sortie… par ce même conseil d’administration.

De plus, au-delà des personnes, le business de Microsoft reste toujours aussi solidement ancré dans le monde de l’entreprise. Quelle grande société traditionnelle troquerait ses courriels Exchange ou son infrastructure Azure contre Gmail ou S3 d’Amazon ? C’est dans ces secteurs obscurs et peu connus du grand public que l’éditeur de Windows moissonne ses profits. Au dernier trimestre de 2014, la branche Serveurs et services a vu sa croissance grimper de 9%, avec des résultats à deux chiffres pour les serveurs SQL.

Les revenus générés par les différents nuages de l’éditeur (Office 365, mais aussi Azure et les solutions CRM) ont augmenté eux de 114%. Globalement, le chiffre d’affaires des activités « pro » a connu une hausse de 5% et représente un peu plus de la moitié des revenus du groupe. Il n’y a pas de secret : Satya Nadella a fait une partie de sa carrière dans les différentes entités de cette branche.

Si le CEO n’a pas l’intention de lâcher la proie pour l’ombre, il sait également que les activités grand public du groupe sont l’autre jambe qui fait tenir debout Microsoft : celle-ci a pesé 12,9 milliards d’euros, avec une croissance de 8% au quatrième trimestre 2014. La stratégie qui place le contenu et les services au cœur des activités de Microsoft va dans le sens d’un profond changement de perception de l’éditeur qui ne se rêve plus « Windows seulement ».

Mais il s’agit d’abord et avant tout d’une bataille de l’image. Qui donne l’impression d’être le plus innovant ? Les risques sont somme toute calculés, même si la gratuité de Windows ou la grande largesse des licences Office vont peser sur les résultats. Mais c’est le prix à payer pour (ré)apparaitre sur le radar.

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