Tim Cook en Une de Time : « le chiffrement est une chose formidable »

Stéphane Moussie |

La riposte médiatique d'Apple face au FBI continue. Trois semaines après son passage sur ABC News, Tim Cook fait la Une de Time. Le CEO d'Apple a accordé un long entretien au magazine dans lequel il s'exprime sur le conflit ouvert avec le FBI autour de la confidentialité des données.

Tim Cook ne fait pas de révélations dans cette interview, pour qui a suivi l'affaire de San Bernardino depuis ses débuts, mais il revient plus en détails sur l'action du FBI.

Dès le début de l'enquête sur l'attentat qui a coûté la vie à 14 personnes et fait 22 blessés, la firme de Cupertino coopère avec les forces de l'ordre, en fournissant en particulier une sauvegarde iCloud. Lorsque le FBI lui demande confidentiellement de créer un firmware désactivant des mesures de sécurité d'iOS pour déverrouiller l'iPhone de l'un des terroristes, Tim Cook réunit « beaucoup de personnes » pour prendre une décision. « Je n'étais pas tout seul à trancher cette question, ce fut une décision difficile. Nous avons étudié toutes les choses imaginables », explique-t-il, avant de parvenir à la conclusion que la création de ce "GovtOS", comme le surnomme Apple, n'est pas souhaitable.

Tim Cook dit avoir pensé que la demande du FBI allait en rester là. Mais le 16 février, le FBI obtient une injonction d'un tribunal californien obligeant Apple à lui apporter son aide pour déverrouiller l'iPhone de Syed Rizwan Farook. Cette injonction, Tim Cook affirme l'avoir découverte dans la presse. Une méthode qu'il ne goûte pas du tout :

Je suis en train de voir l'appareil gouvernemental comme je ne l'ai jamais vu auparavant. Est-ce que j'ai apprécié de découvrir leur action dans la presse ? Non, je ne crois pas que ce soit professionnel. Est-ce que j'apprécie les voir contester ou mentir sur nos intentions ? Non. Je suis offensé par cela. Profondément offensé. [...] Si je travaille avec vous pendant plusieurs mois, si je collabore avec vous, et qu'un jour je décide de vous poursuivre, je vais vous passer un coup de fil pour vous prévenir.

L'affaire rendue publique, Tim Cook est obligé de s'exprimer ouvertement. Il publie le 17 février une lettre ouverte défendant la position d'Apple. Un mois plus tard, la firme, soutenue par toute la Silicon Valley et les organisations de défense des libertés, apparaît comme le héraut de la vie privée.

« Nous sommes dans cette position bizarre où nous défendons les libertés civiles du pays face au gouvernement, note Tim Cook. Je ne me suis jamais attendu à être dans cette position. Le gouvernement devrait toujours être celui qui défend les libertés civiles, mais les rôles sont inversés ici. » Une analyse partagée par le lanceur d'alerte Edward Snowden, qui pose la question de savoir s’il est bien « normal que ce soit une entreprise multinationale qui défende nos droits ? »

Crédits : Time

Apple ne veut pas faire la loi ni s'y soustraire, explique le dirigeant : « Le moment était venu de nous lever, de dire "Stop" et de forcer le dialogue. » Il veut que le Congrès s'empare de la question du chiffrement — ce qui a commencé avec l'audition le 1er mars des deux parties par la commission judiciaire de la Chambre des représentants — et légifère. Quel que soit le résultat, Apple suivra la loi, affirme-t-il.

Tim Cook espère bien sûr que la loi sera favorable aux technologies de chiffrement. Il en va de la sécurité de chacun, selon lui. « Il y a sans doute plus d'informations sur vous [dans votre téléphone] que dans votre maison. Cela en fait une cible extrêmement intéressante pour les personnes malintentionnées. »

Le FBI, lui, s'insurge contre l'opacité permise par le chiffrement. Son patron, James Comey, utilise de manière récurrente l'expression « going dark » pour désigner la possibilité qu'ont les criminels à camoufler leurs activités. « Going dark, c'est une connerie », réplique Tim Cook.

Personne ne passe sous les radars. Il est vrai que si vous m'envoyez un message chiffré, [les forces de l'ordre] ne peuvent pas y accéder sans votre aide ou la mienne, à moins que l'un de nous ait stocké ce message dans le nuage. Mais nous ne devrions pas nous borner à ce qui n'est pas disponible. Nous devrions faire un pas en arrière et regarder la globalité de ce qui est disponible. Il y a une montagne d'informations sur nous.

Est-ce que cela veut dire qu'Apple va renforcer la protection des données dans ses prochains produits, comme plusieurs journaux l'ont affirmé dernièrement ? Tim Cook répond oui à demi-mot :

Je pense qu'à chaque nouvelle version, nous devons progresser, parce que nous devons garder une longueur d'avance sur les malfaiteurs qui nous entourent. La vérité est que la sécurité d'aujourd'hui ne sera pas suffisante pour demain. [...] Nous pensons que le gouvernement devrait encourager l'essor du chiffrement. C'est une chose formidable. Vous savez, c'est comme le soleil, l'air et l'eau.


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