Apple v Samsung : l'ombre de Google

Mickaël Bazoge |

La première semaine du procès Apple à Samsung s'est achevée hier sur la fin de la présentation des arguments du constructeur californien, qui accuse le géant de l'électronique d'avoir copié cinq de ses brevets logiciels pour plusieurs smartphones et tablettes. En réparation du préjudice subi, Apple réclame des dommages et intérêts de près de 2,2 milliards de dollars.

Crédit Tim Wimborne/Reuters

Hier a été l'occasion pour les avocats de Samsung de passer Chris Vellturo à la question; cet économiste a établi le montant de la somme qu'Apple serait en droit de réclamer (lire : Apple v Samsung : d'où viennent les 2 milliards demandés par Apple ?). John Quinn, principal représentant du groupe coréen, a passé une heure à interroger le témoin, en tentant de faire valoir que le succès de Samsung dans l'industrie du smartphone n'avait rien à voir avec les brevets d'Apple. Vellturo a également expliqué que les royalties réclamées par Cupertino s'établissaient entre 1,61$ et 15,03$ par fonction copiée, soit un total de 40,10$ pour chaque terminal incriminé (dont le Galaxy Nexus, les Galaxy Note et Note 2, le Galaxy S3 et le Galaxy Tab 2 10.1). Durant la période visée (d'août 2011 à décembre 2013), la demande porte sur 37,36 millions d'appareils.

Cette semaine, Apple a appelé à la barre Greg Christie, l'ingénieur qui a fait partie de la première équipe de développement de l'iPhone, et à qui l'on doit le « glisser pour déverrouiller ». Devant le jury, il a expliqué à quel point la conception du logiciel du smartphone avait été ardue et complexe, une manière pour Apple de faire comprendre que les innovations ne tombent pas du ciel et qu'il y a beaucoup de travail pour élaborer des fonctions que l'on pense aujourd'hui évidentes… et qu'il s'agit de les protéger. Sans que ce soit relié, on a appris mercredi que Christie allait partir de Cupertino, laissant Jony Ive seul maître à bord du design logiciel chez Apple.

Des documents internes, pour la plupart inédits, ont aussi été présentés. On a pu à cette occasion s'apercevoir qu'Apple est finalement une société comme une autre, qui surveille la concurrence de près et qui peut en avoir peur (lire : Apple v Samsung : la peur d'Android). À un point tel qu'il peut aussi arriver que les esprits s'échauffent, comme entre Phil Schiller et TBWA/Media Arts Lab, la principale agence de pub d'Apple. Surtout, ces fuites orchestrées nous ont renseignés sur l'état d'esprit de Steve Jobs face à Android, contre qui il appelait carrément à la « guerre sainte ». Contre Android, et pas Samsung : la nuance sert ici les intérêts de l'entreprise coréenne.

La semaine prochaine, ce sera au tour de Samsung de porter le fer et de présenter au jury ses arguments selon lesquels Apple a copié sur deux de ses brevets. John Quinn va tenter de prouver qu'Apple se trompe de cible et que sa plainte aurait dû être déposée contre Google, pas Samsung, car les cinq brevets en question concernent des innovations logicielles présentes dans Android. « Ce cas ne concerne pas cinq fonctions logicielles mineures », s'est exclamé Quinn. « Ce n'est pas ce qui provoque l'achat d'un iPhone à la place d'un téléphone Samsung. C'est réellement [un problème d'] Apple contre Google et Android ». A contrario, il va surtout arguer que le succès des mobiles du constructeur est dû aux fonctions qui ne sont pas disponibles sur les appareils d'Apple.

En avant-goût de ce qui nous attend la semaine prochaine, Samsung a appelé son premier témoin. Il s'agit de Hiroshi Lockheimer, vice-président de Google, en charge de l'ingénierie pour Android. Il a passé un long moment à détailler les différences entre Android et iOS, en particulier lors du développement initial de la plateforme mobile du moteur de recherche. « Nous aimions avoir notre identité, nous aimions avoir nos propres idées », a t-il expliqué.

Le G1 d'HTC, premier smartphone sous Android.

De la vingtaine de personnes qui ont développé la première version d'Android, l'équipe a désormais dépassé les 600 ingénieurs et spécialistes. L'objectif de ce témoignage était de démontrer que certaines fonctionnalités d'iOS étaient déjà présentes au sein d'Android alors que l'OS en était encore à ses balbutiements. Il a assuré aussi que des fonctions spécifiques (exception faite du « glisser pour déverrouiller ») ont été inventées par Google avant d'être brevetées par Apple.

Samsung a aussi l'intention de dévaloriser les brevets défendus par Apple - les deux brevets que le créateur du Galaxy S3 reproche à Apple d'avoir enfreints ont été achetés et non développés à l'interne. Samsung ne demande que 6,9 millions de dollars pour cette infraction, une manière de démonétiser la propriété intellectuelle en général et en creux, de montrer à quel point Apple est déraisonnable. Une manoeuvre dénoncée par Bill Lee, un des avocats de Cupertino : « Ils ont acheté [ces brevets] parce qu'ils veulent vous faire croire que les brevets n'ont aucune valeur. Ils veulent vous faire croire que les brevets ne valent pas grand chose ».

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