Firefox sort ses griffes pour enrayer Chrome

Stéphane Moussie |

Nouveau design, nouveau moteur, nouveau système d’extensions : Firefox 57 n’est pas une banale mise à jour. Cette version majeure dès maintenant disponible a une mission : relancer Firefox dans la course des navigateurs.

Cliquer pour agrandir

Après avoir réussi à réduire l’hégémonie d’Internet Explorer dans les années 2000, Firefox n’a pas résisté au rouleau compresseur Google. De 31 % de parts de marché sur les ordinateurs de bureau en 2010, le navigateur libre est tombé à 15 % aujourd’hui, essentiellement au profit de Chrome.

Lucide, le CEO de Mozilla n’a pas la prétention de repasser devant le navigateur de Google. « Nous n’avons pas besoin d’avoir 40, 50 ou 60 % de parts de marché. Ce n’est pas notre objectif stratégique », explique Chris Beard à CNET. La fondation vise 15 à 20 % de parts de marché, soit autant ou un peu mieux qu’à l’heure actuelle, mais pour y parvenir, il faut « neutraliser » Chrome.

C’est là qu’entre en piste Firefox 57, surnommé Firefox Quantum, une version qui doit non seulement faire rester les utilisateurs tentés d’aller voir ailleurs, mais aussi attirer les adeptes de Chrome — et pourquoi pas ceux de Safari.

Code Quantum

Firefox 57 représente une évolution radicale tant sur le plan de l’interface que des performances. Mozilla a remplacé les vieilles pièces du moteur par de nouvelles plus adaptées aux sites et aux ordinateurs actuels. Cela a en fait commencé dans Firefox 48 avec Electrolysis, une architecture multiprocessus (comme en bénéficient depuis longtemps Chrome et Safari) qui dissocie le traitement de l’interface du logiciel du traitement du contenu web pour plus de stabilité et de rapidité.

Le projet Quantum démarré il y a un an poursuit sur cette lancée avec des optimisations à tous les niveaux. Le moteur Quantum CSS (aussi appelé Stylo) répartit le traitement des feuilles de style des pages web entre tous les cœurs du CPU pour diviser la durée de l’opération.

Quantum Flow est le nom donné aux multiples améliorations de performances spécifiques qui ont été apportées depuis plusieurs mois. Des sites comme Facebook, Twitter et YouTube ont fait l’objet d’une attention spéciale. Pour sa part, Quantum DOM définit l’ordre d’exécution des tâches en donnant la priorité aux plus importantes.

Il y a aussi Quantum Compositor, qui fait tourner le compositeur (qui « aplatit » en une seule image tout ce que Firefox calcule) dans un processus séparé pour plus de stabilité. Et l’année prochaine le navigateur bénéficiera de Quantum Render (WebRender), une nouvelle pièce qui lui permettra de tirer parti du GPU pour accélérer le rendu des pages.

En somme, les évolutions sous le capot sont nombreuses et significatives, et cela se ressent à l’usage : Firefox 57 est plus rapide, plus fluide et plus stable. La différence est d’autant plus sensible quand de nombreux onglets sont ouverts (je parle en connaissance de cause, j’en ai toujours plus d’une dizaine) et que les pages web sont lourdes.

Selon Mozilla, Firefox Quantum est deux fois plus performant que la version 52 qui datait du mois de mars. Surtout, la fondation insiste sur le fait que son navigateur est plus rapide que Chrome sur certains sites très populaires, tout en consommant environ 20 % de mémoire vive en moins.

Firefox est moins gourmand notamment quand de nombreux onglets sont ouverts. Si vous ouvrez 10 onglets dans Chrome, 10 processus différents vont tourner et consommer de la RAM. Firefox, lui, n’autorise que 4 processus différents (plusieurs onglets tournent donc dans le même processus), ce qui conduit à une consommation inférieure de RAM.

Mais si vous avez beaucoup de RAM libre, vous pouvez augmenter manuellement le nombre maximum de processus pour booster les performances (Préférences > Général > décocher Utiliser les paramètres de performance recommandés et sélectionner un nombre supérieur à 4).

Extensions du domaine de Chrome

Tous ces changements internes, ils ne se font pas sans casse. Mozilla a retiré deux de ses technologies historiques (XUL et XPCOM) utilisées par les extensions au profit d’une nouvelle solution plus proche de Chrome. Résultat, toutes les extensions qui n’ont pas évolué vers le nouveau système WebExtensions ne sont pas compatibles avec Firefox 57.

Les principales (Adblock Plus, uBlock Origin, WebEx, Ghostery, 1Password, HTTPS Everywhere, Awesome Screenshot Plus…) ont été mises à jour, mais si vous utilisez le panda roux depuis longtemps, vous en avez peut-être quelques-unes qui sont maintenant inutilisables. C’est le cas du populaire DownThemAll! qui ne peut pas être transformée en WebExtension en raison des limitations des nouvelles API.

Cliquer pour agrandir

En cas d’incompatibilité, des extensions équivalentes sont suggérées s’il y en a. Mais le plus intéressant, c’est qu’on peut aller piocher dans le catalogue d’extensions de Chrome dorénavant (utilisez pour cela Chrome Store Foxified).

Si vous ne pouvez vraiment pas vous passer d’une extension devenue obsolète, vous pouvez utiliser la version à support étendu de Firefox (Firefox ESR 52) qui est toujours compatible avec les anciennes extensions.

« Si vous essayez de satisfaire tout le monde, au bout du compte personne n’est content, soutient Chris Beard. Les grands groupes qui ont des centaines de millions d’utilisateurs se mettent sur la défensive et essayent de contenter tout le monde. À la fin, vous vous retrouvez avec un produit et une expérience médiocres. »

Photonsynthèse

Cliquer pour agrandir

Puisque Mozilla n’a plus peur de froisser certains de ses utilisateurs et veut s’affirmer, Firefox 57 arbore un nouveau design, nommé Photon, qui le distingue clairement de Chrome.

Là aussi les changements sont nombreux : les onglets ne sont plus arrondis mais carrés ; la barre de recherche a été retirée ; la barre d’adresse (qui sert aussi à la recherche) est centrée ; la barre des onglets est noire ; les icônes ont été redessinées ; de petites animations égayent l’utilisation ; un menu Bibliothèque regroupant le contenu personnel a été ajouté… Même le logo a changé. Le panda roux et la terre ont été simplifiés, et les couleurs vivifiées.

Si cette nouvelle interface ne vous convainc pas, vous avez toujours la possibilité de la personnaliser. En plus des trois thèmes standards, vous pouvez en sélectionner d’autres dans la galerie. Vous pouvez aussi réorganiser comme bon vous semble tous les boutons. Et bien que la puissante extension Classic Theme Restorer ne puisse pas devenir une WebExtension, les options de personnalisation les plus poussées (changement de la forme des onglets, modification des icônes…) sont toujours réalisables grâce à une nouvelle bidouille.

Il est vraiment dommage que Mozilla n’ait pas profité de ce travail sur le design pour peaufiner la navigation : toujours pas de rebond en fin de défilement, d'animation quand on passe à la page précédente/suivante à la souris ou de prise en charge des gestes avancés au trackpad. Sans cela, Firefox paraît encore un peu brut à côté de Chrome ou Safari.

Mozilla a par contre pensé à avancer sur le terrain de la vie privée. La protection contre le pistage n’est plus réservée au mode de navigation privée, on peut l’utiliser en permanence. Cette fonctionnalité bloque les trackers publicitaires et statistiques, ce qui a souvent pour effet de bloquer les pubs dans le même temps. Les deux listes de blocage (une basique et une stricte) sont fournies par Disconnect.

Panda roxx

Firefox 57 est l’évolution la plus importante jamais connue par le navigateur de Mozilla. Techniquement, Firefox se met enfin au niveau de la concurrence. Le navigateur est significativement plus rapide et plus stable que par le passé, sans pour autant engloutir toute la mémoire vive.

Cliquer pour agrandir

Mais est-ce suffisant pour faire (re)venir les utilisateurs de Chrome et Safari ? Un navigateur n’est plus un logiciel vivant seulement sur un ordinateur comme au temps d’Internet Explorer. Il est sûrement plus difficile de changer de navigateur maintenant parce que cela implique de modifier aussi ses habitudes sur mobile si l’on veut retrouver ses mots de passe, marque-pages, onglets, etc.

Or, sur iOS, il est plus avantageux d’utiliser Safari pour tout un tas de raisons, sur Android, Google ne cesse de pousser Chrome, et même sur Windows, Microsoft veut imposer Edge coûte que coûte. Ce changement d’écosystème global et cette réduction de l’habitat font du panda roux une espèce en voie d’extinction. Alors c’est le moment ou jamais de lui donner sa chance.

Accédez aux commentaires de l'article