Comment sera la voiture du XXIe siècle ?

Nicolas Furno |

Apple présentera-t-elle sa propre voiture, comme de nombreuses sources l’affirment depuis quelques mois ? Si c’est le cas, doit-on s’attendre à une révolution similaire à celle de l’iPhone, qui a totalement bouleversé l’équilibre des forces et imposé des changements profonds dans l’industrie informatique ?

La Ford 021C, un concept-car dessiné à la fin des années 1990 par Marc Newson. Ce designer renommé consacre aujourd'hui une partie de son temps chez Apple…

En attendant de voir à quoi ressemblera un véhicule sorti du département design de Cupertino, on peut déjà se poser la question : à quoi ressemblera la voiture du XXIe siècle ? Il y a quelques points qui nous semblent évidents et inévitables, de quoi dresser le portrait de ce futur qui pourrait être proche. Rappelons que l’on prête à Apple des intentions dès 2020, soit dans moins de quatre ans.

Comment sera la voiture de demain ? Réponse en quatre points !

Électrique

La voiture de demain sera électrique. Pas forcément pour des raisons écologiques, on y reviendra, mais tout d’abord parce que cela simplifie considérablement la conception même du véhicule. Quand on y pense, que l’humanité soit allée aussi loin avec des moteurs à essence qui font tourner les roues des véhicules en multipliant des petites explosions tient du miracle. Les moteurs à explosion sont si courants que l’on oublie à quel point ils sont complexes, avec des centaines, voire des milliers, de pièces différentes et un assemblage sophistiqué.

En comparaison, un moteur électrique est beaucoup plus simple, tant par le nombre de pièces requis que par l’assemblage. Il n’y a plus d’explosions, plus de pistons ni de vilebrequins, plus de bougies, plus d’embrayage ni de vitesses, plus d’huile, plus… La liste de ce qu’il n’y a pas dans un moteur électrique est nettement plus longue que celle des pièces qui le composent. Pour simplifier énormément, il ne reste que deux aimants, dont un électroaimant alimenté par la batterie pour faire tourner le second.

Le rendement d’un moteur électrique est aussi bien supérieur à celui du moteur à explosion. Avant même de parler d’écologie, cette simplicité a une conséquence directe sur le coût d’entretien qui est largement inférieur pour l’électrique, par rapport à celui des voitures traditionnelles. Il faut toujours prendre en compte l’entretien des pièces mécaniques, essentiellement les pneus et amortisseurs, mais aussi quelques éléments obligatoires, comme la direction. Les freins aussi, même s’ils sont moins exploités sur une voiture électrique où la recharge de la batterie suffit souvent à freiner le véhicule.

À l’arrivée, une voiture électrique coûte moins cher à entretenir qu’une voiture traditionnelle. Une étude allemande a montré en 2012 que la différence pouvait être significative : jusqu’à 35 % de moins ! Le moteur électrique a une durée de vie estimée à des millions de kilomètres, mais c’est la batterie qui lâchera bien avant. Quelques années suffiront à la vider, ce qui explique qu’elle est souvent louée avec la voiture, et non vendue : il faut la remplacer régulièrement, et c’est la pièce qui coûte le plus cher.

Le châssis d’une Model S, conçue par Tesla : si on enlève les quatre roues, les deux moteurs au premier plan et les amortisseurs, il ne reste que la batterie. Celle-ci occupe l’essentiel de l’espace et représente la majorité de la masse du véhicule. (Photo Oleg Alexandrov CC BY-SA 3.0)

Une voiture électrique est plus écologique, c’est un argument exploité en boucle par tous les constructeurs, quitte parfois à en faire trop. D’ailleurs, le jury de déontologie publicitaire avait jugé en 2014 que les publicités étaient parfois mensongères, puisqu’un véhicule électrique n’est pas totalement propre. Une décision justifiée par deux arguments :

  • la production de la voiture, et notamment de sa batterie, est une activité polluante ;
  • l’électricité générée pour recharger la batterie n’est pas forcément renouvelable.

Plusieurs études ont montré que la production d’une voiture électrique nécessitait plus de CO2 qu’une voiture à explosion, notamment parce que la batterie est composée de matériaux rares coûteux à exploiter sur le plan environnemental. Par ailleurs, selon les pays, l’électricité utilisée pendant la durée de vie de la voiture peut provenir de sources extrêmement polluantes. Aux États-Unis, en Chine ou encore en Allemagne, les centrales à charbon sont encore très nombreuses, ce qui vient alourdir le bilan carbone de la voiture.

C’est encore pire pour les Bluecar, ces petites voitures à partager que l’on retrouve à Paris (Autolib), à Lyon (Bluely) et à Bordeaux (Bluecub). Leurs batteries nécessitent d’être maintenues en permanence autour de 70° C pour éviter la décharge (sans prise électrique, la batterie se vide en deux jours), ce qui explique que les voitures sont branchées en permanence. Résultat, elles consomment beaucoup d’électricité même quand elles ne servent pas, ce qui permet de démontrer qu’un gros SUV hybride est plus écologique que l’une de ces voitures.

Les Bluecar ne supportent pas d’être déconnectées, sous peine de voir leur batterie se vider. (Image Damien Roué CC BY-NC 2.0)

La question de l’écologie est plus complexe qu’il n’y paraît, on le voit bien, mais il y a un élément indéniable : une voiture électrique est écologique localement. Elle n’émet rien quand elle roule et à cet égard, son bilan écologique est bien meilleur qu’une voiture à explosion. Ce qui veut dire qu’en ville, un parc de véhicules électriques sera nécessairement plus écologique… même si ce n’est pas forcément le cas à l’échelle globale.

Autonome

C’est une autre évidence, la voiture du futur sera autonome. Certains véhicules actuellement sur les routes le sont déjà en partie : la majorité des voitures vendues par Tesla sont capables de conduire toutes seules dans une grande partie des cas. Ce n’est pas encore un véhicule autonome et le conducteur doit rester derrière le volant à tout moment, au cas où, mais c’est un premier pas dans cette direction.

Tesla est probablement le constructeur le plus avancé dans ce domaine aujourd’hui, mais c’est loin d’être le seul. Google travaille depuis des années sur des véhicules totalement autonomes et tous les constructeurs traditionnels avancent aussi sur le sujet. C’est un mouvement général, initié depuis les quatre coins du globe, et il semble évident que les acteurs technologiques, comme Apple par exemple, s'y intéressent également.

Cela ne veut pas dire que l’on aura des voitures autonomes rapidement, il reste de nombreux défis techniques. Même si l'autopilote présenté par Tesla est impressionnant, il n'est pas encore infaillible, comme l'a tragiquement montré le premier accident mortel intervenu récemment. Le plus dur, pour tout système de conduite automatique, c’est de couvrir les innombrables exceptions que l’on peut trouver sur la planète.

Au-delà de la technique, il y a aussi un problème législatif. Même si les voitures peuvent conduire toutes seules sans aucun problème, les législations en place retarderont probablement leur utilisation. Il faut dire que les véhicules autonomes soulèvent plusieurs problèmes difficiles à régler, à commencer par la question de la responsabilité. En cas d’accident, le conducteur est normalement responsable, mais si c’est la voiture qui se conduit toute seule, qui l’est ? Le constructeur ?

Sans les mains aujourd’hui… sans permis demain ?

Dans un premier temps, les conducteurs sont censés garder le contrôle de leur voiture et restent ainsi responsables. Mais si on va vers une autonomie totale, on doit imaginer des véhicules vides ainsi que des véhicules avec uniquement des passagers sans permis.

On imagine souvent que les États-Unis seront pionniers en matière de conduite autonome — de fait, on peut déjà utiliser de tels véhicules dans une quinzaine d’États américains —, mais le pays ne sera peut-être pas le premier à accepter totalement cette technologie. Si l’on devait parier, on mettrait une pièce plutôt sur la Chine, où le nombre de voitures est déjà un énorme problème en ville, alors que le pire n’est pas encore arrivé.

En incitant ses habitants à utiliser des véhicules électriques et autonomes, le pays pourrait optimiser ces flux quotidiens, tout en réduisant la pollution à l’intérieur des villes. Apple n’a pas investi à hauteur d’un milliard de dollars dans Didi, startup spécialisée dans les VTC et le covoiturage, sans raison. Et on peut imaginer que le constructeur fera des essais en Chine avec l’aide de Didi, ou au minimum qu’il apprendra énormément du marché chinois avec cet investissement (lire : Apple et Didi Chuxing : 22 jours seulement pour signer un chèque d’un milliard).

Un feu rouge en Chine, en 2010 (photo Carlos ZGZ).

Plus encore peut-être que pour tous les autres produits, le marché chinois devrait être central pour le monde automobile dans les années à venir.

Différente

Avec une voiture qui conduit pour vous, vous n’aurez plus grand-chose à faire sur la route… ce qui amène à repenser complètement son design. Si l’on n’a plus besoin de volant, l’habitacle peut être entièrement pensé pour le plaisir de ses passagers. Quand on commence à réfléchir à ce genre de considérations, tout devient possible : pourquoi avoir des rangées de passagers qui se tournent le dos ? Pourrait-on transformer les fauteuils en lits pour les longs trajets ?

Sans aller aussi loin, les contrôles d’une voiture autonome seront certainement très différents. On peut imaginer que les volants cèdent leur place à des contrôles simplifiés, réservés aux cas d’urgence, comme un joystick par exemple. En tout cas, si on ne conduit pas l’appareil, il y a un bon nombre de contrôleurs et d’informations qui ne servent plus à rien. On y pense notamment chez Tesla, avec une Model 3 qui pourrait proposer un tableau de bord minimaliste. Un volant, quelques contrôles physiques autour et un écran : c’est tout ce qui a été montré (mais ce n'est pas le design final).

La Model 3 de Tesla est-elle la première voiture pensée avant tout pour la conduite automatique ?

Si l’on ne conduit plus vraiment, le pare-brise pourrait lui aussi être exploité à d’autres fins. Certains constructeurs l’utilisent déjà pour afficher des informations sur la route et on imagine sans mal que cette tendance sera renforcée à l’avenir. Et pourquoi pas un pare-brise reconverti à la demande en écran, pour afficher film ou jeu ?

La voiture du futur sera-t-elle plus petite ? Les composants d’un véhicule électrique prennent moins de place, en particulier le moteur. On le voit avec la Model S : sous le capot avant se cache en fait un coffre. C’est un choix, mais on pourrait aussi opter pour un véhicule plus court, à l’image de la voiture dessinée par Google. Le principal défi, au moins à court terme, sera néanmoins l’autonomie. Si Tesla offre de telles performances, c’est d’abord parce que ses grosses batteries ont une capacité bien supérieure à celles d’une Zoé ou d’une Leaf.

Prototype de Google Car, une petite voiture autonome à partager.

Louée

En partant du principe que notre voiture du XXIe siècle sera électrique et autonome, la conclusion semble assez logique : à quoi bon posséder le véhicule ? Si on peut, à toute heure, appeler une voiture qui vient nous chercher pour nous emmener à l’endroit désiré, à quoi bon s’encombrer d’un produit coûteux et encombrant ? C’est particulièrement vrai en ville, où les parkings sont chers et où les voitures sont plus souvent parquées à ne rien faire qu’en fonctionnement.

Imaginez la place gagnée en ville si l’on n’avait plus que des voitures toujours en déplacement, louées en fonction de la demande, parfaitement autonomes. On pourrait supprimer tous les parkings et les places dans les rues, de quoi aménager des pistes cyclables et construire plus d’immeubles dans les centres urbains. C’est déjà le modèle d’Autolib mis en place par Vincent Bolloré, et ce modèle a du succès : 3 500 voitures à Paris et près de 5 millions de locations par an.

Après quatre ans en France, le monde entier s’y intéresse et les voitures grises pourraient débarquer à Londres, Rome, Turin et même Singapour. Ce ne sont pas les seules sur ce segment, loin de là : c’est l’objectif affiché de Google, mais aussi d’Uber, qui a d’ailleurs commencé récemment à tester ses premières voitures autonomes. Difficile de penser qu’il n’y aura pas de nombreux autres acteurs dans les prochaines années.

L’une des nombreuses stations Autolib à Paris (image Raphael Desrosiers CC BY 2.0).

Ce principe de la voiture en location, « car as a service » comme on dit, pose encore de nombreux problèmes. Il convient surtout en ville, où on peut facilement créer un réseau de voitures et de stations de recharge, mais beaucoup moins dans les zones rurales. Et puis partager une voiture, ce n’est pas toujours pratique, notamment quand on a des enfants, ou pour les trajets plus longs, qu’il s’agisse d’un week-end ou de vacances complètes.

Est-ce qu’Apple adoptera ce modèle ? Si le constructeur choisissait de louer sa voiture, plutôt que de la vendre, ce serait un changement de paradigme complet. L’entreprise a toujours compté sur la vente de ses produits pour gagner de l’argent, pas sur ses services. Vendre une voiture, surtout dans le segment premium, est sans aucun doute bien plus rentable que de la louer et on imagine qu’Apple préférerait vendre, comme Tesla le fait aujourd’hui.

Mais aura-t-elle vraiment le choix ? Si le succès des services de véhicules partagés ne se dément pas, vendre une voiture en 2020 sera peut-être déjà obsolète.

11 000 places de parking dans le futur Campus 2 : espérons pour Apple que le modèle « car as a service » ne décolle pas trop vite…

Image de couverture : le concept Terrafugia TF-X

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