Paradise Papers : les milliards d'Apple sur l'île de Jersey [màj : la réponse d'Apple]

Mickaël Bazoge |

En mars 2014, des conseillers juridiques d'Apple ont envoyé un questionnaire à Appleby, une firme de finance offshore dont l'objet est d'aider les entreprises et les gens fortunés à « optimiser » leur argent, aux frontières de la légalité. Les représentants du constructeur américain s'interrogeaient sur les atouts de plusieurs paradis fiscaux, comme les Îles Vierges britanniques, les Bermudes, les îles Caïmans, l'île Maurice, ou encore Jersey et Guernesey.

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Est-il possible d'obtenir l'assurance officielle d'une exemption de taxes et d'impôts ? Apple Operations International (AOI), qui gère la plus grande partie du trésor de guerre du constructeur (252 milliards de dollars), ou Apple Sales International (ASI), deux entreprises basées en Irlande, peuvent-elles continuer à opérer depuis une de ces juridictions offshore sans être sujette à des taxes ?

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Ces révélations font partie des Paradise Papers, ces documents fuités provenant d'Appleby, et actuellement décortiqués par un consortium international de journalistes (dont les équipes du Monde). C'est la BBC qui dévoile les petites manigances financières d'Apple pour éviter une imposition trop lourde, le tout dans la plus grande discrétion.

Dans un des courriels envoyés par un cadre d'Apple à Appleby, on lit : « Pour ceux qui ne sont pas au courant, [les dirigeants d'Apple] sont extrêmement sensibles à la publicité. Ils s'attendent à ce que le travail accompli en leur nom ne soit discuté qu'entre personnes ayant besoin d'être au courant ». La discrétion avant tout. C'est finalement l'île anglo-normande de Jersey qui a été choisie par Apple — pas pour son climat vivifiant bien sûr, mais pour son impôt sur les entreprises qui se monte à 0% pour les entreprises étrangères.

Appleby a géré les deux filiales irlandaises d'Apple, AOI et ASI, à Jersey pendant un an, entre début 2015 et début 2016. Les comptes d'Apple pour 2017 montrent que sur les 44,7 milliards de dollars de profits de l'année générés en dehors des États-Unis, 1,65 milliard a été versé aux différents services fiscaux étrangers. Cela représente un taux d'imposition de 3,7%.

Le moment auquel les conseillers financiers d'Apple font appel à Appleby n'est pas innocent. Jusqu'en 2014, le groupe exploitait un système baptisé « double Irish », lui permettant de faire transiter toutes les ventes réalisées en dehors des États-Unis à travers un mécanisme complexe de filiales basées en Irlande (lire : Le secret de polichinelle de l'optimisation fiscale d'Apple).

Une structure qui a permis à Apple d'éviter non seulement le taux d'imposition de 35% appliqué habituellement aux États-Unis, et même l'impôt irlandais sur les sociétés de 12,5%. En bout de course, ce « double Irish » a réduit l'imposition sur les bénéfices réalisés à l'étranger à moins de 5%. Et même à 0,005% durant au moins une année, selon les calculs de la Commission européenne, un chiffre contesté par l'entreprise.

La Commission européenne explique le traitement préférentiel dont a bénéficié Apple de la part de l'Irlande. Cliquer pour agrandir

Mais voilà, en 2013, le gouvernement irlandais remet à plat son système fiscal très avantageux pour les entreprises, d'où la nécessité pour Apple de chercher une autre solution pour optimiser ses impôts. C'est donc là qu'intervient Appleby… Mais l'histoire entre Apple et l'Irlande ne s'arrête pas là. Deux années plus tard, le pays met en place une nouvelle régulation concernant l'impôt sur les sociétés, qui permet à une entreprise d'éviter de payer une taxe sur les profits d'une vente de propriété intellectuelle.

Apple en a profité, mais se défend de toutes malversations : « Quand l'Irlande a changé sa législation sur l'impôt en 2015, nous l'avons respectée en modifiant la résidence de nos filiales irlandaises tout en informant la Commission européenne, l'Irlande et les États-Unis ».

Une modification qui n'a « pas réduit » les paiements d'impôts dans « aucun pays », selon le groupe. Apple assure même que les paiements à l'Irlande ont « augmenté significativement ». Sur les trois dernières années, le constructeur indique avoir réglé pour 1,5 milliard de dollars d'impôts et de taxes en Irlande.

Concernant l'affaire de Jersey, Apple déclare que cette nouvelle structure n'a pas « baissé son imposition ». L'entreprise indique aussi qu'elle est le plus important payeur de taxes au monde avec un total de 35 milliards de dollars d'impôts versés ces trois dernières années. Apple assure également qu'elle respecte les lois. Des lois qui peuvent présenter des échappatoires tout à fait légales…

Mise à jour — Apple a répondu aux découvertes des Paradise Papers sur son site Newsroom. Le constructeur relève des inexactitudes sur les faits rapportés par les journalistes du consortium.

L'opération réalisée en 2015 a été conçue pour préserver les paiements d'impôts aux États-Unis, « pas pour réduire les taxes ailleurs ». Il n'y a eu ni opération ni investissements déplacés en Irlande.

Apple assure aussi être imposée de 35% aux États-Unis et elle verse au fisc US « des milliards de dollars ». Le taux effectif d'imposition de l'entreprise sur ses revenus générés à l'étranger est de 21% et ce, depuis de nombreuses années.

Le constructeur estime qu'une réforme de l'impôt est indispensable à l'international, et il demande une simplification des textes. Une nécessité pour fluidifier la circulation des capitaux, qui permettra d'accélérer la croissance économique et la création d'emplois. « Un effort législatif à l'international supprimera la guerre fiscale entre les pays et assurera la sécurité juridique pour les contribuables ».

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