Acquisition de PrimeSense : que prépare Apple ?

Stéphane Moussie |

Après quelques tergiversations de dernières minutes, Apple a confirmé au début de la semaine l'achat de PrimeSense, l'entreprise qui est à l'origine du Kinect, le capteur de mouvements de la Xbox.

Estimée à 345 millions de dollars, l'acquisition est la plus importante d'Apple cette année — en tout cas parmi celles qui ont été dévoilées publiquement, mais plus une acquisition est grosse, moins elle reste secrète.

Il faut remonter à l'achat d'AuthenTec en juillet 2012 pour trouver une emplette plus coûteuse. La firme de Cupertino avait alors dépensé 365 millions de dollars pour mettre la main (et les doigts) sur cette société spécialisée dans les lecteurs d'empreintes digitales. Seulement un an a suffi pour que le fruit de cette opération, le capteur Touch ID de l'iPhone 5s, soit disponible à tous.

Il ne s'est pas écoulé beaucoup plus de temps entre l'acquisition de FingerWorks (2005), spécialisée dans le tactile multipoint, et la commercialisation de l'iPhone (2007). Faut-il s'attendre à voir un produit qui embarque la technologie de PrimeSense dans un an ou deux ? 2015, c'est justement le timing avancé par l'analyste Ming-Chi Kuo, qui a souvent du flair, concernant un téléviseur Apple...

Un téléviseur qui obéit au doigt et à l'oeil

Dès 2008, Apple s'est montrée intéressée par la technologie de PrimeSense, sorte de multitouch sans avoir à toucher d'écran. À l'aide d'un émetteur infrarouge, d'un capteur CMOS standard et d'un processeur dédié au traitement de l'image, l'invention de la société israélienne permet d'analyser une scène en 3D : identification des personnes et de leurs mouvements ; reconnaissance des objets ; mesure des distances et de volumes ; localisation des murs et du sol.

Infographie tirée de la fiche produit de Carmine, le capteur à la base du Kinect

Une technologie si intéressante que Microsoft en a pris une licence pour faire le Kinect, vendu à plus de 24 millions d'unités depuis son lancement — une Xbox sur trois en est équipée. Un téléviseur Apple contrôlable avec quelques gestes et commandes vocales — « Bonjour Siri » — n'a rien d'irréaliste, bien au contraire. C'est précisément l'expérience utilisateur que vend aujourd'hui Microsoft avec la Xbox One qui dispose d'une nouvelle version du Kinect. Le Kinect 2.0 n'utilise plus de technologies de PrimeSense mais il donne une bonne idée de l'évolution du concept. En reconnaissant les personnes en face du téléviseur, l'accessoire personnalise automatiquement l'écran d'accueil de la Xbox One en fonction de son profil Xbox Live.

Outre les commandes gestuelles et vocales de base (« Xbox démarrer », « Xbox aller à Forza Motorsport 5 »...), le Kinect 2 permet d'enregistrer des vidéos et d'utiliser Skype. Autant de possibilités offertes à une éventuelle « iTV » moins bête que les autres téléviseurs intelligents (lire : Apple : le Mac, l'iPhone, l'iPad, et après ?).

Un iPhone qui voit le monde en 3D

Si PrimeSense a été placée sous les feux de la rampe grâce au Kinect, l'étendue de ses technologies dépasse le cadre de ce périphérique. Preuve en est avec le Capri, un capteur 3D pour terminaux mobiles. « Intégré directement dans votre smartphone et votre tablette, Capri leur fournit un tout autre niveau d'intelligence en leur permettant de voir le monde en 3D », promeut l'entreprise sur son site. Mais à quoi sert plus concrètement un Kinect casé dans une tablette ?

PrimeSense a donné quelques pistes lors de la dernière conférence Google I/O. La société n'envisage pas de la même manière l'utilisation de son capteur 3D sur grand écran et sur mobile. Contrairement à la tendance prise par Samsung avec ses derniers smartphones haut de gamme, la prise en compte de gestes sans contact avec l'écran (fonctions AirView/AirGesture) n'est semble-t-il pas l'axe de recherche majeur de PrimeSense — rien ne dit qu'Apple ne creusera pas le sujet néanmoins.

La Nexus 10 se servait du capteur, collé sur son dos et relié avec un câble microUSB — il y a encore du travail à faire sur la miniaturisation —, dans une application de réalité augmentée. Capri modélise la pièce en 3D dans laquelle on peut ensuite placer des meubles virtuels. L'idée n'est pas nouvelle, IKEA le fait déjà, mais la technologie israélienne est plus sophistiquée.

Dans la deuxième démo, l'employé de PrimeSense montre qu'il est possible de connaître la taille d'un objet simplement en tapant dessus sur l'écran de la tablette. L'utilité pour des applications de suivi de chantier comme FinalCAD est évident. La technologie est également adapté aux jeux vidéo (le Kinect l'a bien montré) et aux imprimantes 3D. Le terminal peut servir de scanner 3D fournissant un fichier exploitable par les imprimantes tridimensionnelles.

Une poignée de fabricants de smartphones Android (LG en tête) ont eu une lubie sur les écrans et appareils photo 3D qui a fait long feu. La technologie de PrimeSense va plus loin en permettant à l'appareil de « comprendre » cet environnement 3D. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives à l'iPhone ?

Les autres domaines

PrimeSense a encore d'autres trouvailles dans ses cartons. Grâce aux capacités de reconnaissances de ses capteurs, la société peut mettre au point des affichages dynamiques très précis. L'affichage dynamique est utilisé dans les panneaux publicitaires animés qui se multiplient dans les lieux publics.

Certains de ces panneaux sont équipés de caméras qui surveillent les passants afin de comptabiliser ceux qui regardent la pub et pendant combien de temps. Apple n'a certainement pas l'intention de concurrencer JCDecaux et Clear Channel, mais cette technologie pourrait avoir un intérêt dans les Apple Store. Exposé en vitrine, un tel panneau pourrait faire en sorte d'attirer plus efficacement les badauds. Quitte à faire, le panneau pourrait servir d'iBeacon afin d'interagir avec les smartphones.

Le capteur de PrimeSense peut aussi être utilisé comme un Leap Motion. Avec le Carmine, 3Gear Systems a mis au point un outil de suivi des doigts. Ce qui le différencie principalement du Leap Motion est que le capteur est situé au-dessus de l'ordinateur. Reste le problème de l'utilité réelle d'un tel dispositif et des courbatures qu'il entraîne (lire : Aperçu du Leap Motion : le futur de l’informatique, avec des courbatures). Il faut ajouter à cela des usages possibles dans le secteur médical et la robotique.

L'acquisition de PrimeSense est donc une acquisition majeure, qui pave la route à de nouveaux produits aux possibilités inédites chez Apple (reconnaissance gestuelle, 3D). Reste à voir comment la firme de Cupertino va manipuler et modeler ces technologies prometteuses.

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