Et si Carl Icahn manipulait Apple et Nuance ?

Anthony Nelzin-Santos |

Nuance craint que Carl Icahn, qui détient 16 % de son capital, ne la force à se laisser acheter par Apple, dans laquelle l'homme d'affaires a récemment investi plus d'un milliard de dollars. Pour prévenir toute tentative d'OPA hostile, le conseil d'administration du spécialiste de la synthèse vocale a confectionné une « pilule empoisonnée ».






Carl Icahn. Image Bloomberg.




Ce plan entrerait automatiquement en action si un individu ou une société devait monter à hauteur de 20 % du capital de Nuance sans l'approbation du conseil d'administration. Pour chaque action qu'il possède, tout actionnaire de la société aurait alors le droit d'acheter 1/1000e d'une action privilégiée à un tarif préférentiel. La participation de chacun serait diluée et une éventuelle OPA serait plus difficile à mener et, surtout, beaucoup plus chère.



Carl Icahn connaît bien les pilules empoisonnées : c'est précisément son appétence pour les OPA hostiles qui a contribué à leur généralisation dans les années 1990. Théoriquement, cette manœuvre dissuasive doit forcer d'éventuels acheteurs à négocier avec le conseil d'administration — mais Icahn a forgé sa réputation de raideur en retournant des pilules empoisonnées jusqu'à forcer des conseils d'administration à négocier avec lui.



Les craintes de Nuance sont sans doute fondées. Alors que Google a développé son propre système de reconnaissance vocale et que Microsoft a acheté celui de TellMe, Apple ne possède qu'une licence sur les technologies de Nuance. Une véritable anomalie, alors que la firme de Cupertino n'a jamais rechigné à développer elle-même des technologies stratégiques. Or Siri, qui fait grand usage de la reconnaissance vocale, est une fonction stratégique à long terme.



Lorsqu'Icahn invite Apple à continuer à racheter ses actions, c'est parce qu'il sait que chaque action rachetée devient une action sans droit de vote. Autrement dit, chaque action rachetée renforce le poids de celui qui se vante d'avoir déjà l'oreille de Tim Cook. Une oreille dans laquelle il pourrait souffler l'idée d'une acquisition de Nuance, lui qui n'a jamais hésité à dicter la conduite des sociétés dans lesquelles il a investi.



Tim Cook ne se laissera peut-être pas si facilement convaincre, d'autant qu'Apple a déjà trouvé un moyen d'acquérir les compétences de Nuance : embaucher ses meilleurs ingénieurs. Qu'importe, Icahn pourra toujours faire valoir ses droits de vote et tenter de convaincre d'autres actionnaires d'en faire de même.



Juge et partie, Icahn a tout intérêt à pousser Apple à acquérir Nuance, amicalement ou pas. Il a créé la surprise en prenant le contrôle de 9,3 % de la société en avril dernier, avant de monter à 16 % il y a quelques semaines à peine. Nuance est entre-temps passée par une phase de restructuration qui ne cache pas les ambitions d'Icahn : la vendre rapidement en réalisant un joli profit au passage. Avondale Partners faisait de Microsoft un acheteur potentiel, la Deutsche Bank évoquait IBM — Apple ne voit sans doute pas d'un bon œil qu'un de ses partenaires tombe dans l'escarcelle d'un de ses concurrents.



La fortune de Carl Icahn est aujourd'hui estimée à 20 milliards de dollars, elle augmenterait d'au moins un milliard de dollars avec une éventuelle acquisition de Nuance. Apple a largement les moyens de s'offrir le spécialiste de la reconnaissance vocale, mais il s'agirait de la plus grosse acquisition de son histoire — et de très loin. C'est sans doute l'élément le moins en faveur de cette théorie, mais à 77 ans, Icahn a peut-être encore plus d'un tour dans son sac.

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