La patronne d'AMD pense que l'efficacité énergétique va être importante dans les supercalculateurs

Pierre Dandumont |

À l'ISSCC 2023 (IEEE International Solid State Circuits Conference), la PDG d'AMD — Lisa Su — a fait un constat : le défi le plus important dans les prochaines années dans le domaine des supercalculateurs va être l'efficacité énergétique.

Un énorme problème de consommation

Le monde des supercalculateurs est un domaine particulier : le but n'est généralement pas d'obtenir le meilleur rapport performances/consommation, mais bien les meilleures performances1. Si nous allons vérifier le site Top500.org, qui liste les plus puissants ordinateurs du monde, AMD place quatre machines dans les dix meilleurs supercalculateurs, avec des données plutôt étonnantes au niveau de la consommation.

En prenant la valeur brute, le Frontier — premier de la liste — a un gros problème : il demande 21,1 millions de watts. Mais en pratique, ce n'est pas tout à fait le cas : le rapport performances/consommation est très nettement à l'avantage de cette machine par rapport au second — le Fugaku japonais —. Et le troisième de la liste (basé sur des AMD EPYC) obtient environ 80 % de la puissance du second avec une consommation cinq fois moindre. De même, le premier offre des performances très nettement plus élevée que le second. Son principal défaut demeure pourtant une consommation trop élevée, ce qui peut sembler paradoxal.

Les différences de consommation sont importantes, tout comme les performances.

AMD n'optimise pas directement les CPU

Les propos de Lisa Su sont intéressants, car ils mettent en avant des solutions indirectes. Elle parle en effet du 3D V-Cache — vu dans de nouveaux processeurs pour les joueurs — qui améliore l'efficacité en ajoutant de la mémoire cache ou l'usage des cartes « graphiques » de la gamme Instinct, plus efficaces que les CPU pour certains types de calcul.

Par contre, elle ne parle pas de l'efficacité des CPU eux-mêmes, qui devient pourtant un problème avec les puces actuelles. Si les AMD Zen 3 (Ryzen 5000) et Zen 4 (Ryzen 7000) offrent d'excellentes performances, AMD a par exemple dû augmenter en partie les limites de consommation pour arriver à rivaliser avec Intel… qui emploie cette technique depuis quelques générations de Core. Et ce choix va évidemment en partie à contre-courant des propos de Lisa Su : si l'efficacité augmente dans l'absolu, la consommation aussi.

Cette « carte graphique » n'a pas de sorties vidéo.

C'est toujours paradoxal, mais considérer qu'un CPU qui consomme 230 W en pointe (le cas d'un Ryzen 9 7950X) a une meilleure efficacité énergétique qu'un modèle limité à 140 W comme le Ryzen 9 5950X est au mieux biaisé. En effet, les performances sont certes meilleures à consommation identique, mais la consommation elle-même est tout de même pratiquement 65 % plus élevée.

Où est Apple ?

Si AMD arrive à placer ses EPYC — le pendant professionnel des Ryzen — dans les supercalculateurs, c'est essentiellement parce qu'il n'existe pas réellement de concurrence. Et c'est là qu'Apple pourrait trouver sa place, tout comme éventuellement les sociétés capables de concevoir des processeurs compatibles avec l'architecture ARM. Actuellement, le seul représentant des ARM dans le top 10 est le Fugaku de Fujitsu et son rapport performances/consommation est assez mauvais : il s'approche de 30 millions de W pour une puissance environ 3x plus faible que Frontier.

S'il existe des CPU ARM qui visent les serveurs, comme les Neoverse utilisés dans les puces Graviton d'Amazon, ils ne ciblent pas le monde des supercalculateurs. En effet, ils offrent essentiellement un excellent rapport performances/consommation et une bonne densité — c'est-à-dire le nombre de cœurs par processeur — mais pas des performances élevées dans l'absolu.

Apple a placé un jour une machine en tête du Top 500. (Christopher Bowns, CC BY-SA 2.0)

C'est pour cette raison que nous citons les puces d'Apple : les M1 et M2 offrent un excellent rapport performances/prix, d'excellentes performances et une consommation mesurée. Et actuellement, les architectures concurrentes n'arrivent généralement à remplir que deux des trois conditions. Si certaines puces ont un meilleur rapport performances/consommation — c'est le cas des architectures ARM basse consommation — ou de meilleures performances (les Core de 13e génération Raptor Lake par exemple), les trois conditions restent rares et AMD dispose probablement du meilleur compromis actuel. Mais Apple pourrait donc trouver sa place dans ce domaine, souvenez-vous du « Big Mac » en 2003…


  1. Bien évidemment, un bon rapport performances/consommation est un bonus tout à fait intéressant, mais il ne s'agit pas du premier critère.  ↩︎

Accédez aux commentaires de l'article