Il y a 30 ans, lorsque l'interface utilisateur du Mac faisait débat

Florian Innocente |

Apple veut que les enfants apprennent à programmer au même titre qu'on leur enseigne à lire et à écrire. Dès lors, la programmation deviendra peut-être la prochaine langue étrangère à maîtriser, au même titre que l'anglais ou le chinois.

C'est un peu comme si l'on était en train de fermer une boucle : au commencement de l'informatique il y avait les programmeurs, une caste réduite mais détentrice d'un savoir complexe, puis sont arrivés les utilisateurs avec les ordinateurs grand public. Maintenant leurs rejetons sont invités à devenir programmeurs à leur tour pour mieux appréhender l'avenir.

Cette nécessité impérieuse, qui n'est pas non plus sans arrière-pensées commerciales, s'exprime chez Apple au travers d'une application comme Swift Playgrounds, par la participation à des initiatives comme l'Heure de Code et prochainement par un programme télé de divertissement.

Cela témoigne du chemin parcouru dans notre rapport aux objets informatiques, et celui des enfants en particulier. On n'en est plus à essayer de leur apprendre à utiliser un ordinateur ou une tablette — ou même à s'efforcer de les sensibiliser à leur emploi. Ce n'est plus la peine, cela se fait tout seul et sans effort. C'est l'exact contraire parfois : on s'efforce de les éloigner de ces écrans.

Il suffit de voir un enfant buter sur l'utilisation d'un écran non tactile pour prendre la mesure du bond réalisé. Dans 10, 15 ou 20 ans peut-être, leurs propres enfants seront probablement interloqués par l'absence de réaction d'un appareil à leurs sommations vocales.

Aujourd'hui aussi, dans n'importe quel foyer (certes relativement aisé), un père ou une mère de famille sont devenus des sortes d'administrateurs système. Il faut gérer l'utilisation des ordinateurs, tablettes et téléphones du foyer, déployer les mises à jour, veiller aux sauvegardes, régler les droits d'accès et recevoir tout l'opprobre familial si le Wi-Fi ne marche plus.

Ce rapport intime, quotidien, aux ordinateurs et à leurs descendants a été rendu possible par l'avènement de l'interface graphique, inventée chez Xerox, mise en musique par Apple et répandue à travers le monde par Microsoft.

Il y a un mois, le Mac fêtait ses 33 ans. Les apports de son interface, évidents et incontestables aujourd'hui, ne coulaient pas de source à son apparition. Dans un billet, Louis Anslow s'est amusé de quelques réactions parues dans la presse au siècle dernier. On ne parle pas de critiques formulées au lendemain de la présentation de Steve Jobs en 1984, mais d'articles et d'études parus 5 ou 6 ans plus tard. Icônes, menus, souris, etc. pouvaient être encore sujet à débats et explications.

via MacMothership

Un journaliste, observant cette « manie des icônes », s'interrogeait sur la réelle valeur ajoutée d'une interface graphique pour un traitement de texte. Qu'est-ce que cela pouvait bien apporter de plus ? L'interface en ligne de commandes était certes plus tatillonne que sa nouvelle concurrente mais pas au point d'être déclassée.

Un article du New York Times en 1990 constatait la montée en puissance des interfaces graphiques et expliquait encore, six ans après le premier Mac, le concept de bureau virtuel basé sur les codes d'un véritable bureau avec ses objets autour.

Plus étonnant, c'est une étude menée en université qui démontrait que des étudiants rédigeant un texte sur un Mac avaient produit des travaux nettement moins bons que ceux réalisés sur DOS. Par exemple, les sujets choisis étaient plus superficiels côté « fast food, drague, télévision », alors que leurs camarades sur PC avaient écrit sur « les grossesses précoces et la guerre nucléaire ».

En voulant être utilisable par tous, le Macintosh allait dévoyer l'esprit des jeunes. L'auteure de l'étude s'alarmait en effet de ce qu'elle pensait être la conséquence du recours à une interface graphique. Cela rendait la machine plus facile d'utilisation et, par conséquent, réduisait les stimulations cérébrales à même de développer des qualités rédactionnelles. Pire, les Mac prospérant dans les écoles, on allait peut-être au-devant d'un vaste problème pédagogique.

Donner une machine comme celle-ci à quelqu'un avant qu'il ne sache écrire correctement, c'est comme confier les clefs d'une voiture de course à un jeune conducteur.

Cliquer pour agrandir

Steve Jobs n'était plus chez Apple à ce moment-là, mais on l'aurait bien imaginé partir à la recherche de la responsable de cette étude comme Jack Torrance déambulant dans l'hôtel Overlook.

Une anecdote qui rappelle que les iPad et les autres tablettes modernes n'ont même pas atteint l'âge de raison que déjà des études s'inquiètent de leur utilisation auprès de jeunes enfants. Dans le cas des précédentes conclusions qui avaient été diffusées dans le milieu de l'éducation et auprès de responsables des achats, des enseignants en informatique étaient montés au créneau pour y relever de nombreux défauts dans sa méthodologie.

Les smartphones et tablettes ont donné l'occasion de franchir une nouvelle étape dans la simplification des interfaces graphiques, avant que peut-être un jour la voix ou la réalité augmentée ne fassent pareil. Mais à la lecture de ces réactions dubitatives ou effarées d'il y a 30 ans, il est amusant de voir que l'on réclame aujourd'hui à iOS sur iPad, système simple s'il en est, de s'inspirer du fonctionnement de macOS afin de s'améliorer. En informatique, tout est un éternel recommencement.

Accédez aux commentaires de l'article