Ulysses passe à l’abonnement, c’est grave docteur ?

Christophe Laporte |

Après des mois de réflexion, l'équipe d'Ulysses a décidé d'adopter l'abonnement comme modèle économique. Comme à chaque fois qu'un éditeur annonce une telle décision, on a le droit à un véritable tsunami dans les commentaires. Argent trop cher ! On connait la ritournelle.

Moi non plus, je n’aime pas payer

C’était l’une des grandes annonces de la WWDC 2016 : Apple allait encourager la mise en place de ce modèle économique dans ses boutiques en ligne. Beaucoup auraient préféré qu’Apple opte à la place pour un mécanisme de mise à jour payante.

De mon point de vue, le coup des mises à jour payantes s’apparente à une fausse bonne idée, et ce principalement pour trois raisons :

  • Cela aurait inévitablement ajouté une couche de complexité aux App Store d’Apple. Et leur succès tient avant tout dans leur simplicité d’utilisation.
  • Les mises à jour payantes, c’est le développement à la papa. Il fut une époque où les éditeurs revoyaient de fond en comble leurs logiciels tous les deux ou trois ans. A l’époque où les principaux navigateurs web sont mis à jour toutes les trois ou quatre semaines, ce modèle apparait dépassé. On est entré depuis longtemps dans la logique de la nouveauté permanente. Même Apple s’y est mise. Pensez donc, elle s’est autorisée à changer de système de fichiers lors d’une mise à jour mineure d’iOS 10 !
  • Ce système de mise à jour payante, beaucoup de (mauvais) éditeurs en ont abusé. Je pense notamment à Realmac (Typed.com, Ember…) pour n’en citer qu’un.

Apple n’a rien inventé quand elle a décidé de mettre le paquet sur les abonnements. C’est la grande tendance de fond dans l’industrie du logiciel. Cela peut se comprendre d’un point de vue économique (si on se met à leur place bien entendu).

TextExpander. Cliquer pour agrandir

Au passage, le traitement réservé par le grand public aux petits éditeurs sur cette question me dérange un peu. Ils sont systématiquement (sans distinction) trainés dans la boue, peut-être plus durement que si c’était Adobe ou Microsoft, qui ont adopté cette pratique voilà plusieurs années déjà. Il est vrai cependant que ces gros éditeurs dominent leurs marchés respectifs : on peut contester leur modèle économique, mais il est difficile de se passer de leurs logiciels.

Comme beaucoup, il y a des outils que j’utilisais au quotidien qui ont adopté l’abonnement. Cela m’a poussé à reconsidérer l’utilisation que j’en faisais. C’était le cas de TextExpander, une application que j’ai utilisée au quotidien pendant plusieurs années. Qu’ai-je fait quand j’ai appris que TextExpander allait me demander quelques dollars tous les mois ? J’ai rapidement décidé de mettre cette application à la corbeille. Je n'en avais tout simplement pas une utilisation assez poussée.

À la rédaction, je vois certains de mes collègues dont la barre de menus a été victime d’une poussée d’acné : toujours plus d’applications, toujours plus de services.... Et au final toujours plus de processus qui tournent en tâche de fond qui au final finissent par taper dans les ressources de la machine. Sans parler de la stabilité…

Alfred.

À l'inverse, dans le choix de mes applications, j'ai adopté la méthode « Jony Ive » : en faire plus avec toujours moins. C'est à Alfred que désormais incombe la responsabilité de faire de la substitution automatique de caractères. Je m'en sers également (entre autres) pour ses fonctions de presse-papier évolué ou encore pour lancer des scripts. Dans mon cas, Alfred remplace à lui seul 4 ou 5 applications.

Il va sans dire que si son éditeur en arrête le développement, je suis dans de beaux draps. À l’inverse, s’il décide de passer à l’abonnement, cela ne me poserait strictement aucun problème (tant que le prix est raisonnable) de mettre la main au porte-monnaie.

Ulysses : une histoire remarquable en tout point

Il y a beaucoup d’éditeurs qui râlent contre les défauts des App Stores, et plus particulièrement du Mac App Store. D'après mon expérience, ce sont souvent les mauvais. C’est cruel à dire, mais c’est ainsi.

Attention, je ne suis pas aveugle, je connais les défauts des plateformes d’Apple, leur lourdeur, le système de validation pénible (tenez, la dernière mise à jour d’iGeneration a été retoquée en raison d'une capture de l'app Apple Watch montrant une actu sur iOS 11)... mais il y a ceux qui arrivent à faire fi de tout cela et ceux qui n’y arrivent pas.

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On n’a jamais entendu les équipes de développement d’Ulysses, de Pixelmator, d’Affinity Photo ou de PDF Expert se plaindre pour un oui ou pour un non de la politique d’Apple. Ces gens ont mieux travaillé que les autres et ont gagné beaucoup d'argent.

Le cas d’Ulysses est très intéressant à bien des égards. J’utilise cette application au quotidien et j’y suis sincèrement très attaché. C’est typiquement ce genre d’applications qui fait que j’utilise encore des produits Apple. Il y en a d’autres comme Alfred que je citais plus haut, Things ou encore Tweetbot, pour n’en citer que quelques unes. Elles ont toutes comme point commun de pousser chaque point de détail à l’extrême. Un souci quasiment maladif du logiciel qui me fait rester sur les plateformes d'Apple. Si la qualité des logiciels tiers était globalement meilleure sur une autre plateforme, je n’aurais aucun état d’âme à switcher. Au passage, je suis toujours surpris par les gens qui utilisent leur Mac comme un PC avec exactement les mêmes outils mais avec macOS au lieu de Windows. Mais c’est sans doute une question d’appréciation.

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Pour en revenir à Ulysses, succès aidant, cet éditeur emploie un peu plus d’une dizaine de personnes. C’est devenu même l’un des symboles (certes modeste) de réussite d’une ville en plein renouveau, Leipzig. Les logiciels ne s’écrivent pas encore tout seul. C’est un détail qu’on a tendance à oublier. Surtout pour ce type d’applications qui s’adresse malgré tout à une niche.

L’intention des responsables d’Ulysses est louable : s’assurer une pérennité financière pour qu’ils puissent continuer à faire ce qu’ils savent faire le mieux : un éditeur innovant et efficace pour tous ceux qui écrivent beaucoup de texte. C’est pour nous utilisateurs une attention beaucoup plus louable que ces éditeurs qui nous ont promis monts et merveilles et qui ont fermé boutique dès la première offre de rachat arrivée sur le bureau. Sparrow, cela vous rappelle quelque chose ?

L'écran de démarrage d'Ulysses sur macOS — Cliquer pour agrandir

L’un des mérites d’Ulysses et de bon nombre d’éditeurs qui ont réussi sur les App Store d’Apple, c’est de ne pas avoir succombé à la guerre de prix que se livrent certains de leurs concurrents. Ulysses, c’était 45 € dans sa version Mac et 25 € dans sa version iOS. Cela faisait un pack à 70 €. C’est sans doute ce prix qu’il convient de comparer par rapport au prix de l’abonnement : 29,99 € par an pour ceux qui possèdent déjà l’application et 45 € pour les nouveaux clients.

Le prix pour les nouveaux clients est sans doute un peu élevé. Mais en même temps s’il s’agit d’un outil sur lequel vous passez plusieurs heures par jour, un outil qui vous permet de gagner votre vie, est-ce si cher que cela ?

Par contre, de mon point de vue, la grosse maladresse de l’équipe d’Ulysses est, en plus d'une annonce en plein milieu du mois d'août, de ne pas avoir accompagné cette annonce d’une mise à jour majeure, d’une feuille de route ou encore d’une présentation détaillée de la prochaine version. Ce qui est très désagréable et maladroit dans cette affaire, c’est qu’on a l’impression de payer à la caisse sans contre-partie. Nul n’est parfait !

Image une : CafeCredit, CC BY 2.0

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