Le Mac App Store n’est pas un modèle durable

Mickaël Bazoge |

Le Mac App Store est loin d’être le paradis des développeurs. Dan Counsell, le fondateur de Realmac, est passé de l’enthousiasme des débuts à une certaine forme de désenchantement, à tel point que les logiciels phare du studio (Typed, Ember et RapidWeaver 6) sont proposés au téléchargement sur son site, ainsi que sur le Mac App Store. En 2011, il assurait pourtant qu’il n’allait plus passer que par la boutique d’Apple…

Plusieurs problèmes sérieux se posent aux développeurs et aux éditeurs. Craig Hockenberry d’Iconfactory se plaignait le mois dernier de la différence de traitement entre les développeurs Mac et iOS, tout particulièrement les outils d’analyse des ventes et TestFlight, qui pointent aux abonnés absents pour le Mac App Store alors qu’ils s’affinent sans cesse sur iOS (lire : Mac App Store : une boutique de seconde zone). Sans oublier les problèmes liés au sandboxing des apps qui restreignent la portée et les fonctions des logiciels (au bénéfice de la sécurité du Mac de l’utilisateur certes, mais c’est un facteur limitant pour les développeurs).

Plus tôt cette année, le même Counsell listait une série de griefs auxquels Apple n’a apporté aucune réponse : la commission de 30% prélevée sur chaque transaction jugée trop élevée ; l’impossibilité de proposer un logiciel vendu sur le Mac App Store dans un bundle ; l’absence d’informations sur les clients (lire : Pourquoi continuer à vendre ses apps en dehors du Mac App Store).

Investir dans une nouvelle version plutôt qu’une mise à jour

Dan Counsell a rappelé hier un problème récurrent : l’absence de mises à jour payantes. Il est impossible à un développeur, peu importe sa taille et ses moyens, de promettre à ses clients un support et des mises à jour continuelles pour un logiciel vendu 4,99 $. Au bout d’un certain temps, il faut pouvoir vendre quelque chose afin de continuer à vivre, explique-t-il, et en l’état sur le Mac App Store, cela ne peut pas être par le biais d’une mise à jour payante puisque Apple ne l’autorise pas. C’est pourtant une réclamation qui revient sur le tapis depuis les premiers jours de la boutique.

Pour gagner sa vie, un développeur doit donc investir son temps dans le développement d’une nouvelle application qui sera vendue à part, sans profiter de la popularité du précédent logiciel, ni de la base de données des clients, ni de l’historique des paiements, rien — il lui faut repartir d’une page blanche ou presque.

Et ce temps investi dans la conception de la nouvelle app a des répercussions sur l’app précédente, qui peu à peu est abandonnée, laissant sur le bord de la route tous les utilisateurs l’ayant achetée… Pour eux, c’est même la double peine puisqu’ils doivent passer à la caisse comme un nouveau client (pas de tarif préférentiel), en conservant une ancienne version qui n’est plus mise à jour.

Un écosystème qui marche sur la tête

Pour illustrer son propos, le patron de Realmac livre ce graphique qui montre à quel point les mises à jour payantes sont importantes pour la bonne santé financière du studio :

Le lancement de la version 6 de RapidWeaver, qui n’est pas disponible sur le Mac App Store, a permis aux caisses de la société de générer un chiffre d’affaires plus important durant quelques temps. Si cette mise à jour avait été gratuite pour la version 5 (toujours vendue sur le Mac App Store), les revenus auraient sans aucun doute été bien moins élevés.

Ne pas pouvoir proposer de mises à jour payantes sur le Mac App Store n’incite pas les développeurs à travailler sur de grosses nouveautés, décrit Counsell, « ce n’est tout simplement pas un modèle durable ». « Les développeurs ne peuvent pas espérer gagner autant d’argent que lors du lancement initial de l’application. Au lieu de réinvestir dans l’application pour l’améliorer, ils passent leur temps à concevoir une autre app pour essayer de gagner assez afin de continuer ».

Les mises à jour payantes récompensent les développeurs pour continuer à améliorer leurs logiciels, conclut-il. « Les développeurs sont rémunérés pour leur travail, et les utilisateurs en obtiennent plus des apps qu’ils aiment. Pour un écosystème durable, les choses doivent changer », professe Counsell qui sait bien qu’il n’est pas Taylor Swift et que sa voix ne porte pas suffisamment pour faire bouger les lignes à Cupertino.

Le Mac App Store conserve des atouts : il s’agit d’une vitrine unique pour présenter à tous les utilisateurs de Mac des logiciels dont ils n’auraient peut-être jamais soupçonné l’existence. Le système de téléchargement de mises à jour est efficace et automatique, et il n’y a pas à se prendre la tête avec des licences. Du côté des développeurs, il reste techniquement intéressant de passer par le MAS si on a l’usage d’iCloud. Il n’en reste pas moins qu’avec ces grands noms de l’édition logicielle qui délaissent ou quittent le navire, la boutique va ressembler de plus en plus à une triste échoppe fantôme.


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