Pourquoi Apple a laissé tomber Aperture (et iPhoto)

Christophe Laporte |

Apple a donc décidé d’abandonner prochainement Aperture et iPhoto. Une surprise ? Oui et non, car la firme de Cupertino avait en quelque sorte annoncé la couleur en présentant Photos pour OS X à la WWDC alors que ce logiciel ne sera pas disponible au téléchargement avant de nombreux mois.

Le timing de l’annonce de l’arrêt d’Aperture (et d’iPhoto) est d’ailleurs tout sauf innocent. Apple a beaucoup communiqué autour de ses nouveautés lors de la WWDC, puis a discrètement annoncé l’abandon de ses logiciels phares dans le domaine de la photo, une fois l’excitation retombée.

Pourquoi Apple avait lancé Aperture

Si certains sont surpris, voire déçus de cette annonce, elle découle d’une certaine logique dans la façon d’Apple de voir les choses. Le Californien reste avant tout un fabricant de matériels. Quand la firme de Cupertino a présenté pour la première fois Aperture en 2005, elle voulait séduire les photographes dont les besoins étaient en plein boom avec l’explosion du numérique. Le lancement de cette application s’inscrivait dans la phase de reconquête des utilisateurs créatifs, qui avaient été un certain nombre à aller voir ailleurs suite aux débuts difficiles de Mac OS X.

À ce titre, Aperture était également une formidable démonstration technologique de ce que l’on pouvait faire à l’époque avec un Mac en exploitant les API d’OS X. Lors de son lancement, Apple était claire : Aperture allait être à la photo ce que Final Cut Pro était à la vidéo. Mais c’était une époque bien différente où le Mac était avec l’iPod la priorité pour Apple (une époque où la marque à la pomme proposait encore à la vente des Xserve et des Xserve RAID).

Le souhait d’Apple était que le Mac devienne la machine par excellence des photographes : que ces derniers n’aient aucun problème de compatibilité entre leur Mac et leur appareil photo puisse traiter des fichiers RAW sans problème… Et, par conséquent, qu'ils continuent à acheter des Power Mac, des MacBook Pro, des iMac…

De ce point de vue, Aperture a parfaitement rempli sa mission. Dans les premières années qui ont suivi son lancement, le logiciel d’Apple a connu un joli succès. Mieux encore, il a contraint les éditeurs à ne pas ignorer la plateforme d’Apple, ce qui n’était pas forcément évident au début. On rappellera que la première bêta de Lightroom a suivi Aperture de quelques mois et que celle-ci était disponible uniquement sur OS X.

Si Aperture a pris à certaines reprises l’ascendant sur son grand rival, Adobe, beaucoup plus concerné par le succès de son application et fort d'une clientèle exclusivement composée de créatifs de tout poil, a tout mis en oeuvre pour devenir la référence dans ce domaine. Depuis sa commercialisation en 2007, il ne s’est quasiment jamais passé une année sans que Lightroom ne fasse l’objet d’une mise à jour importante.

Les logiciels ne sont pas éternels, surtout chez Apple

C’est une constante chez Apple, peut-être plus que chez d’autres éditeurs : ses logiciels ne sont pas éternels à l’exception bien sûr des éléments de base d’un système d’exploitation. Aperture connaît aujourd’hui le même destin qu’AppleWorks, iDVD, iWeb, DVD Studio Pro, Shake, ou encore Soundtrack Pro. Pourtant, à un moment donné, la plupart de ces logiciels ont joué un rôle important dans la stratégie d’Apple.

On aurait pu citer aussi MacWrite et MacPaint…

Mais il y a une règle non écrite chez Apple concernant les applications : au bout de quelques années, soit elle réécrit de fond en comble une app (cela a été le cas de Final Cut Pro X), soit elle la laisse tomber. Les mêmes qui râlent de l’abandon d’Aperture sont peut-être les mêmes qui se plaignent qu’Apple n’a toujours pas revu de fond en comble sa copie avec iTunes.

Dans l’esprit des dirigeants d’Apple, Aperture et iPhoto avaient sans doute un gros défaut en commun : celui d’être passé complètement à côté d’iOS. Certes, il existe une version d’iPhoto pour iPhone et iPad, mais celle-ci a toujours vécu dans l’ombre de Photos.

À quelques exceptions près, pour qu’un logiciel soit actuellement en odeur de sainteté dans les laboratoires de la firme de Cupertino, il faut que celui-ci joue la carte de la complémentarité iOS/OS X (et iCloud). Cette évolution, on a pu la constater avec la suite iWork qui faisait du surplace sur Mac. Depuis que celle-ci est devenue une priorité sur iPad, le développement est devenu beaucoup plus dynamique.

Au passage, Apple continue lentement mais sûrement le démantèlement de sa gamme d’applications iLife qui constituait le fer de lance de sa stratégie logicielle au début des années 2000. Excepté iTunes, l’offre d’Apple se résume désormais à GarageBand et à iMovie. Et à vrai dire, on commence à se faire un peu de souci pour la dernière des deux citées.

Pour en revenir à Aperture, c’est dommage qu’Apple n’ait rien tenté sur iOS. Il y a certainement matière à innover dans ce domaine. Mais le principal problème à une version iOS d’Aperture, c’est sans doute le poids des bibliothèques. Entre-temps, l’application Apple de photos la plus utilisée par ses utilisateurs est devenue Photos.

Photos : le logiciel de photos conçu pour le cloud

Alors, quitte à repartir à zéro pour créer un logiciel de photos sur OS X, le choix entre Aperture, Photos et iPhoto a sans doute dû être rapidement fait par les équipes marketing et développement.

Si en 2005, la grande problématique concernant la photo était l’import et le traitement des images, la donne a évolué dix ans plus tard. La vraie problématique de 2014, c’est le stockage et la possibilité de consulter ses milliers de photos à tout moment et depuis n’importe quel appareil. Telle est la mission de Photos pour iOS 8 et OS X.

N’en déplaise à certains, sur ce point, Apple a tout compris. Combien de fois dans la vie de tous les jours, avez-vous voulu consulter une photo qui n’était pas présente sur votre iPhone ou sur votre second Mac ? D’ailleurs, l’absence de synchronisation était l’un des gros défauts d’iPhoto.

La vie est un éternel recommencement. Tout comme lors de la sortie de Final Cut Pro X, Photos sera à ne pas en douter bien moins puissant qu’Aperture (cela ne signifie pas pour autant qu’il ne disposera pas d’outils permettant de faire des retouches avancées), mais il proposera une façon radicalement différente de gérer sa photothèque numérique. À ce titre, Photos sera également comme Aperture en son temps, une formidable démonstration technologique de ce qu’il est possible de faire avec les nouvelles API iCloud (lire : Apple, la tête dans le nuage).

Accéder à toutes ses données n’importe où et n’importe quand. C’est le crédo d’Apple qui avait déjà commencé il y a quelques années avec la musique et iTunes Match. Place aux photos. Et c’est sans doute ce qui compte pour la plupart des utilisateurs Apple, au grand dam des professionnels.

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