Chroniques numériques de Chine : une journée (extra)ordinaire

Mathieu Fouquet |

Entre anecdotes personnelles et analyses de faits de société, Mathieu Fouquet poursuit son exploration des pratiques technologiques chinoises décidément bien étrangères.

Nous avons, au fil de ces chroniques, disséqué une myriade d’aspects des usages technologiques en Chine. Paiements mobiles, transports, commerce en ligne... Ce ne sont pas les exemples qui manquent dans ce pays qui a brûlé certaines étapes pour sauter à pieds joints dans une réalité qui fait encore souvent figure de science-fiction dans l’Hexagone.

Cependant, si nous avons souvent observé à la loupe des technologies ou des produits particuliers, nous n’avons eu que peu d’occasions de démontrer comment ces pièces d’un grand puzzle s’emboîtent pour former une image, celle du quotidien des Chinois… ou des étrangers qui habitent en Chine. C’est pourquoi, à l’occasion de la dernière chronique de la deuxième « saison » de notre épopée orientale, prenons un peu de recul et tentons de peindre le tableau d’une journée ordinaire (quoiqu’assez chargée, pour les besoins de la démonstration) dans l’empire du Milieu.

7h : VPN du matin, chagrin

Mon VPN, activé, connecté et paré pour la tempête de tweets quotidienne. Notez le message informatif en bas de l’écran, qui conseille certains serveurs aux utilisateurs situés en Chine.

Comment bien commencer sa journée ? D’aucuns diraient avec un bon jogging et un petit déjeuner équilibré. Ils n’y connaissent rien : la façon idéale de se tirer du sommeil est évidemment de lire toutes les mauvaises nouvelles du jour sur Twitter.

En Chine, cette habitude très saine implique obligatoirement de passer par un VPN parfois capricieux. En général, les services de réseaux privés virtuels proposent à l’utilisateur une longue liste de serveurs situés à l’étranger, dont certains sont plus efficaces que d’autres. Le problème, c’est que cette efficacité peut parfois changer sans prévenir : récemment, par exemple, il m’était impossible de me connecter aux serveurs taïwanais ou hongkongais, qui sont d’ordinaire rapides et fiables. Le Grand Firewall avait-il fait de nouvelles victimes ?

Il y a l’embarras du choix, mais encore faut-il que les serveurs fonctionnent.

Quelques jours plus tard, les serveurs en question étaient débloqués et plus rapides que jamais. Que s’était-il passé en coulisses ? Impossible de le savoir, et c’est bien le problème : en Chine, on ne peut jamais vraiment considérer son accès au web mondial comme un acquis.

Bien sûr, il reste le web chinois… à condition de ne pas employer un VPN, justement. Lorsque se connecter à un service chinois depuis un serveur étranger ne le rend pas inopérant, il réduit au mieux sévèrement sa vitesse. Certes, on peut par exemple s’envoyer des images sur WeChat à travers un VPN à une vitesse d’escargot, mais pourquoi le ferait-on ? Le plus simple, c’est encore d’accepter qu’en Chine, il existe deux modes de navigation largement incompatibles : chinois et non-chinois.

Les « moments » de WeChat (et le contenu extrêmement sérieux que j’y poste).

Alors, que ferais-je si demain la Muraille devenait infranchissable ? Je pourrais toujours me consoler en me disant qu’il restera toujours WeChat et ses « moments » — des messages plus ou moins courts typiquement agrémentés d’images. Des tweets chinois, donc ? Oui et non : comme seuls les messages de vos contacts WeChat apparaissent dans votre historique, il s’agit d’une expérience de lecture davantage personnelle et conviviale (à condition de bien faire le tri dans vos contacts, cela va de soi). Si elle ne peut remplacer Twitter, donc, c’est une fonctionnalité que j’apprécie : elle constitue une alternative rafraîchissante aux timelines parfois trop chargées, en plus de me pousser à lire et à écrire en chinois.

7h30 : l’information, le nerf de la guerre

Une fois tiré du lit, je jette à nouveau un coup d’œil à mon téléphone pour vérifier une information qui demeure hélas vitale en Chine : le niveau actuel de pollution. Pour me faire des cheveux blancs ? Oui, mais pas seulement : il faut bien que je sache si je dois allumer mon purificateur d’air ou porter un masque quand je fais du vélo.

Le widget de l’application Air Matters.

Pour suivre le niveau de particules fines à un moment donné, je me sers toujours de la même application, Air Matters. Si je la lançais auparavant quotidiennement, je préfère désormais la cacher dans un dossier et consulter occasionnellement son widget sur l’écran d’accueil de mon iPhone. C’est plus rapide et ça me fait un peu oublier la pollution.

Pas que j’y pense trop en ce moment. Qui dit été dit ciel dégagé !

Et en parlant de pollution, comment se porte mon arbre virtuel ? Il est temps de récupérer mes bulles vertes avant que mes « amis » (c’est-à-dire des gens qui n’hésiteraient pas à me voler le pain de la bouche) les crèvent à ma place. La vie est un combat.

J’ai presque assez de CO2 virtuel pour faire planter un arbre réel depuis l’application Alipay. Ça ne m’aura pris qu’un an ou deux !

8h : l’heure des emplettes

Je verse des flocons d’avoine dans mon bol en céramique avant de réaliser que je suis à court de lait. Pas de problème, il y a une supérette pas très loin de chez moi, j’y achèterai une petite briquette en attendant mieux. Je m’habille et j’attrape au passage mes clés et mon téléphone. Pas besoin de portefeuille : une fois au supermarché, je présente mon code QR WeChat à la caissière, qui débite mon compte sans sourciller.

Reste qu’il faut que je refasse des provisions. Le lait au supermarché peut-être assez cher (surtout le lait importé qui a, depuis le scandale du lait à la mélamine, la réputation d’être plus sain auprès des consommateurs chinois) mais il reste toujours Taobao et ses prix cassés.

Détail amusant : malgré ses sonorités germaniques, ce lait, s’il est bien produit en Allemagne (a priori aux normes européennes), appartient à une société… chinoise.

Je commande un pack de six litres de lait, dont je règle la facture quelques secondes plus tard avec Alipay. D’ici deux ou trois jours, je recevrai un SMS de confirmation de livraison et il me faudra aller retirer le colis dans un point de retrait à quelques pas de chez moi. L’avantage de ce système, c’est qu’il n’y a jamais de mauvaise surprise : le livreur ne laisse pas d’avis de passage, car il ne passe pas. Astuce.

Une fois cette formalité accomplie, je me mets à plancher sur mes exercices de chinois. Après tout, j’ai un cours particulier dans deux heures.

10h : cours de langue

Il est presque impossible de survivre à un cours de chinois sans s’appuyer sur certaines applications (comment diable faisaient donc nos ancêtres ?). Bien sûr, ma professeure est là pour clarifier certains mots, mais il est parfois pratique de lancer mon dictionnaire pour jeter un coup d’œil rapide à certaines définitions.

Un dictionnaire (Pleco) et un traducteur (Baidu Translate) : mes meilleurs amis en Chine.

Et au risque de faire un peu hors sujet, Apple mérite quelques félicitations pour la fonction d’annotation intelligente récemment ajoutée à Pages : grâce à cette magie logicielle, je peux taper des caractères avec le clavier et ajouter les tons au-dessus avec le Pencil. Oui, je pourrais faire la même chose avec un crayon de papier, mais soyons honnêtes : ce serait beaucoup moins amusant.

Une fois le cours terminé, j’envoie à ma professeure sa rémunération habituelle, sur WeChat bien entendu. Elle n’a qu’à ouvrir notre fil de discussion et accepter mon transfert pour que le montant soit ajouté à son solde WeChat.

Il ne faut pas oublier d’accepter le transfert, sinon l’argent finit par être recrédité à la personne qui l’a initié.

14h : je travaille

Le travail. Ce sont des choses qui arrivent.

18h : l’heure des courses

Il faut que je reparte faire des courses. Je me dirige vers le vélo en libre partage le plus proche, lance l’application idoine, scanne le code QR du vélo, l’enfourche et file vers d’autres horizons. C’est-à-dire le supermarché.

Manque de chance, c’était le seul vélo disponible.

Une fois arrivé à cette destination de rêve, je remplis mon panier et je paye avec… mais vous avez déjà compris.

22h : faute de maillots rouges, on soutient les bleus

Après cette journée bien chargée, il ne me reste qu’une chose à faire : me coucher regarder un match de la Coupe du monde. Cela tombe bien, Youku diffuse tous les matchs gratuitement en streaming, avec en bonus des commentaires enthousiastes d’internautes chinois dans une barre latérale. Parfait.

Un match Angleterre-Panama qui démarrait gentiment.

Puisque l’équipe chinoise ne s’est pas qualifiée cette année, il faudra cette fois-ci faire la croix sur une rencontre France-Chine. Allez, ce sera pour dans quatre ans.

Épilogue : le cochon volant ramène la grenouille chez elle

L’année scolaire se termine, il est temps que je songe à préparer mon voyage retour vers cette lointaine contrée romantique (je ne fais que citer les Chinois) qu’est la France. Après de longues recherches sur Feizhu (littéralement « cochon volant »), une application de voyages à tout faire, je finis par trouver un vol qui me convient.

Hôtels, vols, trains… Demandez, et le cochon s’exécutera.

Eh oui : La Chine, c’est bien. C’est même fantastique. Mais après un an sans éclair au café, il est temps de revenir sur mes terres natales.

Au moins l’espace d’un été.

Cet épisode conclut la deuxième saison des Chroniques numériques de Chine. Un grand merci à toutes et à tous pour l’avoir suivie. N’hésitez pas à lire (ou relire) les chroniques précédentes listées ci-dessous !

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