Chroniques numériques de Chine : la guerre des transports

Mathieu Fouquet |

Il est un pays où les Google, Facebook et autres Twitter dont nous ne pouvons pas nous passer sont quasiment inexistants. Ce pays, c’est la Chine. Expatrié dans l’Empire du Milieu, Mathieu Fouquet nous raconte son périple technologique. Un périple avec de multiples moyens de locomotion disponibles, comme il nous l’explique dans ce nouvel épisode.

À quoi pensez-vous lorsque vous entendez le mot « Chine » ? Si vous n’y avez jamais mis les pieds, il y a fort à parier que votre réponse ne fera pas dans la modération. Peut-être sera-t-il question de pandas géants, d’usines qui obscurcissent le ciel, de culture millénaire ou de censure médiatique. Et vous n’auriez pas tort : toutes ces images — et bien d’autres — font partie de la mosaïque chinoise. Si le pays évoque tous les extrêmes, c’est aussi parce qu’il les contient.

Par exemple, les pandas roux y sont extrêmement mignons. Cliquer pour agrandir

Mais extrême ou non, la Chine est aussi… un pays tout court. Avec ses supermarchés, ses toilettes publiques et ses embouteillages. En se projetant dans des lieux lointains et exotiques, l’esprit tend à ignorer, gommer ou simplifier tous les petits détails prosaïques qui pourtant en font partie intégrante. La proximité, bien sûr, a vite fait de remettre les pendules à l’heure : peu importe que ce soit en Chine ou sur la Lune, il arrive un moment où il faut bien manger, dormir et se déplacer.

C’est aujourd’hui ce dernier point qui nous intéresse : comment faire pour se rendre d’un point A à un point B en Chine continentale, particulièrement en ville ? Et surtout, quels sont les liens qui existent entre technologie, culture et moyens de transport chinois ? Comme d’habitude, j’aborderai la question sous un angle fondamentalement personnel : le sujet est bien trop vaste pour que je sois exhaustif.

Chengdu, une ville qui roule. Cliquer pour agrandir

Culte de la voiture et explosion électrique

Il n’y a relativement pas si longtemps, le mot « Chine » évoquait encore l’image d’une immense flotte de bicyclettes dominant le paysage urbain. Un cliché charmant, mais désuet : le vélo y a depuis longtemps été éclipsé par la voiture. Faut-il seulement préciser que la Chine représente le premier marché automobile mondial ? Sans doute pas : l’échelle étourdissante de ce pays — autant géographique que démographique — suffit bien souvent à en faire mécaniquement le numéro un d’à peu près toutes les catégories imaginables (d’accord, excepté la qualité de l’air).

Mais que cette taille massive n’occulte pas un point crucial : la Chine est toujours un pays en plein développement. Le rapport à l’automobile n’y est donc pas le même qu’en France : frôlant la ringardise dans l’Hexagone (surtout auprès des plus jeunes générations), la voiture est synonyme de statut social et de progrès dans l’Empire du Milieu. Il n’est d’ailleurs pas rare de croiser des voitures allemandes plus ou moins onéreuses sur la route (en 2014, la marque numéro 1 en nombre de véhicules écoulés était Volkswagen).

Anecdote sans aucune valeur statistique : je n’ai jamais vu autant de Tesla que depuis que je vis ici. Cinq ou six, rendez-vous compte ! Cliquer pour agrandir

Attention cependant : si cet attachement à l’automobile peut donner à la Chine une image quelque peu passéiste, le pays fait parallèlement preuve d’un progressisme aussi remarquable qu’il est nécessaire. Il existe en effet un autre type de véhicule qui domine presque autant le paysage chinois : le scooter électrique. Facturé vers les 2 000 yuans (moins de 300 €) pour un modèle d’entrée de gamme, il représente une alternative abordable et silencieuse à la voiture. J’ajouterais bien écologique, mais il reste des progrès à faire : malgré un investissement colossal du gouvernement dans les énergies renouvelables, la majorité de la production électrique chinoise provient toujours du charbon.

Il n’est pas rare de croiser des océans bariolés de scooters électriques (ici à Changzhou, dans le Jiangsu). Cliquer pour agrandir

Plus surprenant encore, les motos à essence ont été bannies de nombreuses agglomérations. Quant au marché des voitures électriques, il est actuellement en forte croissance, propulsé par de conséquentes subventions du gouvernement.

Le vélo contre-attaque

Au milieu de ce décor tiré d’un rêve fiévreux d’Elon Musk, les vélos ne s’avouent pas vaincus. Ils pourraient même faire leur grand retour : certaines start-ups comme Mobike ou ofo proposent depuis peu dans les grandes villes des flottes de vélos de location, sans bornes dédiées [ndr : Tim Cook a d’ailleurs récemment rendu visite à ofo à Pékin].

Ces vélos comprennent typiquement un cadenas ainsi qu’un numéro et/ou un code QR à scanner via smartphone. Les détails du système de chaque société peuvent varier (les vélos ofo sont par exemple moins high-tech que ceux de leur concurrent direct), mais le principe reste le même : localiser un vélo à proximité, le déverrouiller avec son smartphone, payer à la durée d’utilisation (compter 10 ou 20 centimes d’euro par demi-heure), et le garer n’importe où une fois le trajet effectué. Enfin, peut-être pas trop n’importe où non plus…

Seuls inconvénients : il faut payer une caution lors de la première utilisation de l’application (environ 13 € pour ofo et le triple pour Mobike) ainsi que fournir une copie d’une pièce d’identité, probablement pour décourager les vols.

Capture d’écran de la version Android de Mobike. On peut voir ici qu’il y a plusieurs vélos disponibles dans le quartier.

Ces systèmes commerciaux peuvent bien entendu cohabiter avec les « Vélib’ » locaux, lorsque ceux-ci existent (et c’est bien souvent le cas). Pour ma part, j’ai décidé de faire l’investissement énorme d’une bicyclette d’occasion : autour de 20 €. Autant dire que le casque a coûté plus cher.

Vous avez dit Didi ?

Inutile d’essayer de traiter de l’importance centrale de la voiture en Chine sans évoquer Didi Chuxing. Beaucoup de pixels ont déjà été noircis sur le sujet : l’investissement d’une certaine compagnie fruitière dans la société de Jean Liu, la défaite d’Uber en Chine (décidément, pas si facile de se faire une place de l’autre côté de la Muraille)… Tout cela, c’est bien connu.

Mais ce qui est peut-être un peu moins évident, c’est la réalité dans laquelle Didi évolue. Uber en France, ce n’est pas inabordable, mais ce ne sont pas non plus les alternatives qui manquent, en particulier dans les grandes villes où le service est justement disponible. Paris notamment est émaillé de stations de métro et de bus proposant un service régulier et couvrant la majorité de la journée.

Dans le métro de Chengdu. Cliquer pour agrandir

En Chine, c’est variable. Les grandes agglomérations disposent la plupart du temps d’un métro (il faut dire que ces derniers fleurissent un peu partout à un rythme effréné) et au minimum d’un réseau de bus. Mais là où les premiers fournissent un service régulier, fiable et moderne (j’avais parfois une meilleure 4G sous terre qu’à la maison), les seconds tiennent davantage de la loterie. Tout dépend des villes, mais les bus chinois ont tendance à être lents, peu confortables et parfois peu fréquents. Cerise sur le gâteau, certains arrêtent de circuler vers 20h.

Si vous avez de la chance, vous tomberez à Chengdu sur ces petits bus — parfois gratuits — aux sièges en bois. Il faut leur reconnaître un certain charme. Cliquer pour agrandir

Répétons-le : tout dépend des villes. Par exemple, et malgré mon choix humoristique d’illustration, Chengdu dispose d’un réseau de bus tout à fait correct. Seulement voilà : c’est à Mianyang (la deuxième plus grande ville sichuanaise) que j’habite. Une ville charmante… si l’on fait abstraction de ses transports en commun. Je crois que c’est un soir d’hiver, après avoir attendu une quarantaine de minutes dans le froid un bus aux horaires inconnus, que j’ai compris pourquoi tant de Chinois avaient un scooter électrique.

Le scooter est populaire, tout comme le vélo recommence lentement à l’être, mais ils ne sont pas pour autant universels ou adaptés à tous les trajets (pensons au voyageur qui se rend à la gare, ou au fêtard qui revient du bar). Cet honneur revient bien sûr à cette institution chinoise qu’est la voiture, et aux taxis omniprésents.

Taxis ou Didi ? La différence est dans les détails : Didi est souvent moins cher, ses voitures plus confortables et ses chauffeurs plus… détendus. Mais l’application Didi en elle-même est plus polyvalente que l’on pourrait le penser, et il est techniquement possible d’appeler un taxi traditionnel avec (ce qui est notamment utile quand il n’y a pas d’autres véhicules disponibles). On peut même l’utiliser pour consulter le trajet des bus en temps réel, ce qui est incroyablement pratique (* fonctionnalité non-supportée à Mianyang).

L’écran de l’application Didi pendant une course. Ici, elle indique qu’il reste 5 minutes et 2,5 kilomètres avant d’arriver. Le tarif de la course se met à jour au fur et à mesure, comme dans un taxi classique.

Outre cela, l’app n’a rien de sorcier : l’utilisateur choisit son point de départ (en l’absence d’information supplémentaire, Didi utilise ses coordonnées GPS), son point d’arrivée, reçoit une estimation du prix de la course et peut choisir de la valider. Si un chauffeur répond présent, sa position géographique et son numéro de plaque d’immatriculation s’affichent, et il ne reste plus qu’à attendre. La plupart du temps, le chauffeur appelle l’utilisateur pour s’assurer de sa position, et ce en dépit des données GPS. Didi, c’est donc aussi un entraînement gratuit au chinois oral, un bonus aussi appréciable qu’il est problématique : j’hésite en effet fortement à utiliser l’app lorsque je ne suis pas sûr de pouvoir décrire précisément où je me trouve. Au pire, ce ne sont pas les taxis qui manquent.

Mais si vous aimez les sensations fortes, n’allez pas chercher plus loin que ce véhicule ! Cliquer pour agrandir

Pour finir, insistons sur le fait que Didi en Chine, ce n’est pas Uber en France. L’un est omniprésent sur le territoire, l’autre se limite aux agglomérations majeures. Et l’un est beaucoup plus vital que l’autre, comme nous venons de le démontrer. Nous pourrions aussi aborder l’inévitable écart de prix (Didi facture entre 1 et 2 € pour une petite dizaine de kilomètres), mais ce serait tirer sur l’ambulance.

En conclusion

En dépit d’un développement fulgurant des transports publics chinois, et de l’existence de nombreuses alternatives, l’automobile n’est pas près d’arrêter d’occuper la file centrale dans les villes du pays. Peut-on vivre en Chine sans jamais prendre la voiture ? On peut survivre, sans doute. Mais l’automobile n’y est pas seulement qu’un objet de désir ou qu’une manière rapide de se déplacer : c’est aussi et surtout un filet de secours, toujours fiable lorsque toutes les autres options ont échoué. Quand le bus ne circule plus, quand les horaires sont inconnus ou la situation urgente, Didi vous attend. Patiemment. Méthodiquement. Ce n’est qu’une question de temps.

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