Le Sénat adopte le brevet unitaire sans sourciller

Pierrick Aubert |

Le Sénat a adopté hier le projet de loi ouvrant la porte à une juridiction européenne unifiée en matière de brevet.

Une décision que regrette fortement l'organisation de promotion et de défense du logiciel, l'April. En séance publique, l'examen du texte a été des plus sommaires avec un vote de quelques secondes doublé d'une absence totale de débat. Le brevet unitaire ne fait pourtant pas l'unanimité et la menace de patents trolls guette l'Europe. Concrètement, ce projet de loi est là pour unifier les brevets des différents pays membres et proposer un seul et même tribunal en cas de litige (lire : Le brevet unitaire européen adopté par Strasbourg). L'idée peut sembler bonne, mais les plus sceptiques y voient un danger pour les entreprises de l'UE face aux géants américains et asiatiques.

Certes, les coûts sont réduits lorsqu'un seul et unique brevet suffit dans plusieurs pays. Le texte prévoit un allègement des exigences en matière de traduction et la mise en oeuvre d'une coopération renforcée. Idéalement, un tel projet favorise ainsi l'innovation et la défense de la propriété intellectuelle, mais ce dispositif fonctionne dans les deux sens.

En revoyant et en centralisant le système juridique et administratif, les brevets logiciels pourraient faire leur apparition, chose à laquelle le Sénat n'a visiblement pas pensé. Breveter une technologie c'est une chose, mais breveter une idée ou un concept c'en est une autre ! En acceptant ce projet, entreprises françaises et entreprises européennes pourraient être menacées. Le dépôt de brevets sur des logiciels est pour l'instant encore interdit en Europe, mais l'uniformisation du système pourrait déboucher sur un environnement économique bien différent. La réglementation et les décisions de justice permettraient d'interdire l'exploitation de certains brevets. Outre-Atlantique, les litiges liés aux brevets représentent 60% des affaires judiciaires et en débarquant dans l'UE, cela pourrait aboutir à des procès à tout va. Un risque réel selon des juristes spécialisés. Dans le pire des cas, les patents trolls, ces entreprises qui ne produisent rien d'autre que des brevets destinés à être utilisés dans des accords de licence, pourraient proliférer.

La rapidité du vote des sénateurs présents n'a d'égal que leur incompétence et j'menfoutisme sur un accord qui mettra à mal tout à la fois les entreprises françaises et européennes ainsi que le droit de l'UE, pour le seul profit des grandes entreprises américaines ou asiatiques et surtout de l'Office européen des brevets, dont le sénateur Yung — principal promoteur du projet au Sénat — fut directeur, a commenté Gérald Sédrati-Dinet, expert bénévole sur les brevets à l'April.

À l'échelle européenne, seules l'Espagne et la Pologne n'ont pas donné leur accord quant à cette unification juridique. Dans le cas français, certains avancent la préservation de la langue, puisque Paris serait retenu comme siège pour ce nouveau tribunal, mais est-ce bien suffisant face aux risques ?... Espérons que les députés auront la jugeote de débattre lors du passage de ce texte devant l'Assemblée nationale.

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